Gilets jaunes: le biologiste qui enquête sur les gaz lacrymogènes arrêté

Lien vers l’article

Samedi 26 octobre, Alexander Samuel, un biologiste qui enquête sur les conséquences du gaz lacrymogène utilisé en masse durant les manifestations des Gilets jaunes, a été arrêté et son matériel perquisitionné, alors qu’il se rendait à un rendez-vous. Il témoigne pour Sputnik.

Alexander Samuel, docteur en biologie moléculaire et professeur de maths, a été arrêté samedi 26 octobre place Masséna à Nice. Ce samedi-là, alors qu’il allait rejoindre une amie, il s’est retrouvé au milieu d’une action dénonçant l’évasion fiscale de la Société Générale et ses investissements dans les énergies fossiles, menée par des Gilets jaunes et des membres des organisations Extinction Rebellion et Attac. Ils ont jeté sur une agence de la banque du blanc de Meudon, un lave-vitre bio, teint avec du charbon. Un mélange qui s’enlève à l’eau, relève Alexander Samuel, avant de raconter son histoire:

«J’attendais mon amie place Masséna, où avait lieu l’action contre la Société Générale, lorsqu’un policier m’a approché et m’a arrêté, affirmant que j’avais participé à l’action en balançant du liquide. Je ne dis pas qu’il connaît mon enquête sur les gaz lacrymo et qu’il m’a reconnu, mais il a menti, je n’ai jamais participé à l’action dont on m’accuse.»

Arrivé au poste, le biologiste appuie sur le fait que c’est une erreur, demandant aux policiers d’appeler son amie qui pourra confirmer le rendez-vous et de regarder les caméras de vidéosurveillance. Une procédure pour dégradation est lancée, Alexander Samuel est placé en garde à vue. Les policiers n’appelleront jamais l’amie en question, prénommée Christelle. Elle confirme à Sputnik.

«C’est bien moi qui ai donné rendez-vous à Alexander place Masséna à Nice. Mais comme à mon habitude, j’étais en retard, et il a dû traîner sur la place en m’attendant. Arrivée sur place, les policiers l’avaient déjà arrêté. Les policiers ne m’ont jamais contacté pour confirmer le rendez-vous, ça m’a un peu étonné.»

Le matériel et les données d’enquête du biologiste ont été perquisitionnés par la police. Il a partagé la liste sur Facebook: une clé USB avec ses cours et ses travaux sur les gaz lacrymo, plusieurs livres sur les gaz lacrymogènes, sa tenue de street médic détruite, etc.

Alexander Samuel a précisé détenir chez lui des capsules vides de gaz ramassés lors des manifestations. Ce à quoi un policier a réagi:

«Vous savez que c’est une arme de guerre et que vous risquez trois ans de prison?» «C’est beau d’apprendre que Macron utilise des armes de guerre sur les citoyens», rétorque Alexander Samuel.

Le biologiste a été relâché au bout de 48 h de garde à vue, aucun élément ne permettant de justifier son arrestation

Depuis plusieurs mois déjà, ce biologiste rentre volontairement dans les nuages de fumée et effectue des tests sanguins et urinaires, pour constater les effets du gaz lacrymogène utilisé à chaque manifestation par les forces de police, qu’il s’agisse de celles des Gilets jaunes ou de celle des pompiers. Ses conclusions concernant la présence de cyanure dans les gaz lacrymogènes sont disponibles sur son site, mais aussi en vidéo, comme celle présentée ci-dessous.

Alexander Samuel ne voit pas de rapport entre la dégradation dont il est accusé et la saisie de son matériel informatique et de ses données par les forces de l’ordre. Des travaux qui dérangent?

L’avocat et journaliste Juan Branco a confirmé l’information sur les réseaux sociaux.

ALEXANDER SAMUEL : « LES GAZ LACRYMO EMPOISONNENT »

Mardi, 5 Novembre, 2019

Emilien Urbach

Lanceur d’alerte. Le jeune biologiste niçois met en lumière des doses importantes de cyanure dans le sang des manifestants exposés à cette arme chimique.

«Du cyanure dans les gaz lacrymogènes utilisés pour le maintien de l’ordre ? Le gouvernement empoisonnerait la population ? Impensable ! » C’est la première réaction d’Alexander Samuel, enseignant en mathématiques et docteur en biologie, lorsque le gilet jaune Julien Chaize, en avril 2019, lui demande d’étudier cette hypothèse. Six mois plus tard, le jeune scientifique niçois en est persuadé, des doses non négligeables de poison circulent dans le sang des manifestants gazés.

Cette conviction dérange. Samedi 2 novembre, Alexander a été placé en garde à vue au motif qu’il serait impliqué dans une attaque symbolique, à la peinture bio, d’une banque. Il s’en défend mais reste enfermé quarante-huit heures. Son domicile est perquisitionné. Son matériel informatique et de nombreux documents sont minutieusement inspectés. Un manuel militaire de 1957, « sur la protection contre les gaz de combat », est saisi et détruit.

À l’écart, il observe les violences

Cet épisode n’est apparemment pas lié à ses recherches sur les gaz lacrymogènes. Quoi qu’il en soit, le biologiste a déjà compilé ses travaux dans un rapport. Il sera publié dans les prochains jours par l’Association Toxicologie Chimie, fondée par André Picot, directeur honoraire de l’unité de prévention du risque chimique au CNRS. Ce dernier sera cosignataire de la publication d’Alexander, aux côtés d’autres chercheurs et médecins.

Rien ne laissait présager un tel résultat quand, au début du printemps, Alexander se rend pour la première fois à une manifestation de gilets jaunes. « J’étais méfiant, avoue-t-il. Dans les Alpes-Maritimes, l’extrême droite était très présente au début du mouvement et mes convictions écologistes étaient en contradiction avec les revendications liées aux taxes sur le carburant. » Curieux, il se rend cependant au rassemblement organisé le 23 mars, à Nice.

À l’écart, il observe les violentes charges de police au cours desquelles la responsable d’Attac, Geneviève Legay, est gravement blessée. Alexander n’assiste pas directement à la scène mais il voit les street medics, ces secouristes militants qui interviennent lors des manifestations, empêchés d’intervenir et se faire interpeller. Alexander filme. Il est immédiatement placé en garde à vue. C’est sa première fois.

« J’ai été choqué, confie le scientifique. Les conditions de ma détention, les mensonges d’Emmanuel Macron et du procureur concernant Geneviève Legay ont fait que je me suis solidarisé avec le mouvement. » Il décide de rassembler tout ce qui pourrait permettre de rétablir la vérité et de le transmettre à des gilets jaunes qui entendent saisir l’ONU. Parmi eux, Julien Chaize veut le convaincre de se pencher sur le cas d’une manifestante qui, à la suite d’une exposition aux gaz lacrymogènes, affichait un taux anormalement élevé dans le sang de thiocyanate, molécule formée après l’assimilation du cyanure par le foie.

C’est un cas isolé. Impossible pour Alexander d’y voir la preuve d’un empoisonnement massif de la population. Incrédule, il participe cependant à d’autres manifestations et observe les réactions des personnes exposées aux gaz. Vomissements, irritations, désorientation, perte de connaissance… ces fumées ne font pas seulement pleurer.

Alexander consulte la littérature scientifique. Le composant lacrymogène utilisé en France est le 2-Chlorobenzylidène malonitrile. Comme il est considéré comme arme chimique, son emploi est interdit dans le cadre de conflits armés. Pas pour le maintien de l’ordre. Pour le biologiste, le verdict est clair, cette molécule, une fois présente dans le sang, libère du cyanure. Plusieurs études, depuis 1950, l’affirment. Aucune ne dit le contraire. Mais ce poison est également présent dans les cigarettes et dans une multitude d’aliments. Sa dangerosité est donc une question de dosage. Comment le mesurer ?

Alexander et trois médecins gilets jaunes proposent alors aux manifestants de faire analyser leur sang afin de déterminer un taux de thiocyanate. Mais ce marqueur n’est pas assez fiable. Il faut quantifier le cyanure. Or, le poison n’est détectable dans le sang que pendant quelques dizaines de minutes. Munis de kit d’analyses, d’ordonnances et de formulaires à faire signer par les candidats à un examen, ils décident de faire des prises de sang et d’urine directement pendant les manifestations du 20 avril et du 1er Mai.

Les résultats sont édifiants

Les résultats des premiers prélèvements confirment bien la présence importante de cyanure, mais n’en donnent pas le dosage précis. Le 8 juin, à Montpellier, l’équipe perfectionne son protocole. Alexander, les trois médecins et quelques complices se font eux-mêmes cobayes de leur expérience. Ils testent leur sang avant la manifestation puis après. Les résultats sont édifiants. La communauté scientifique considère l’empoisonnement au cyanure à partir de 0,5 mg par litre de sang et sa dose mortelle à 1 mg. Parmi les personnes testées, deux affichent des taux voisins de 0,7 mg par litre.

Leur démarche inquiète certains gilets jaunes et dérange les autorités. Alexander et les trois médecins font, depuis mai, l’objet d’une enquête préliminaire pour « violence aggravée et mise en danger de la vie d’autrui ». L’affaire suit son cours. Les chercheurs-suspects ont même été entendus, pendant l’été, par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Alexander a subi une nouvelle garde à vue au mois de septembre. Ils ont reçu de nombreuses menaces. Mais rien ne les a empêchés de continuer. La population doit être informée. Les policiers, eux-mêmes exposés, doivent savoir. La vérité doit éclater.

Émilien Urbach

Alexander Samuel, l’homme qui enquête sur le gaz lacrymogène utilisé contre les « gilets jaunes »

Alexander, au cours d’un rassemblement national des « gilets jaunes » à Montpellier. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse)

Docteur en biologie, Alexander Samuel enquête sur les dangers du gaz lacrymogène, utilisé massivement en France contre les “gilets jaunes”. Sa méthode : entrer dans les nuages et effectuer ensuite des tests sanguins et urinaires.

Par Emmanuelle AnizonPublié le 24 juillet 2019 à 14h00

On l’a vu, à plusieurs reprises, entrer dans le nuage blanc, et en ressortir quelques minutes plus tard, longue crinière rousse en pétard, yeux et visage écarlates, pleurant, toussant, titubant, à la limite du malaise… Alexander Samuel, 34 ans, docteur en biologie moléculaire, prof de maths dans un lycée professionnel de Grasse et amateur de philosophie, n’aurait jamais imaginé humer volontairement du gaz lacrymogène au cœur de manifestations. Ni traverser la France avec des flacons de sang et d’urine dans le coffre de sa voiture, tel un passeur de drogue, à la recherche d’un labo susceptible d’accepter sa cargaison. Encore moins se retrouver convoqué par la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Lui, dont la seule violence assumée consiste à hurler régulièrement dans un micro, entouré de son groupe de metal.

Alexander s’est engagé par inadvertance, le 23 mars 2019. Ce jour-là, le prof dont le cœur penche « très à gauche », vient « en observateur » à une manifestation de « gilets jaunes » à Nice. Il est contacté par un groupe, SOS ONU, qui recense les violences policières. « Quand ils ont su que j’étais docteur en biologie, ils m’ont demandé si je pouvais les aider à analyser les effets des gaz lacrymogènes. Ils décrivaient des symptômes nombreux : maux de ventre, nausées, vomissements, douleurs musculaires, migraines fortes, mais aussi pertes de connaissance, problèmes pulmonaires, cardiaques, hépatiques… Des “gilets jaunes” avaient été hospitalisés.Ils évoquaient une possible intoxication au cyanure. Au cyanure ! Je les ai pris pour des dingues ! Mais vu qu’il y avait beaucoup de témoignages, je me suis dit que j’allais creuser. »

Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)
Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)

Alex adore creuser. Déjà, à l’université de Nice, le thésard brillant, mi-français, mi-allemand, s’était fait remarquer par sa propension à plonger son nez obstiné dans les affaires – détournements de subventions, corruption de syndicats étudiants et autres passe-droits. « Alex est un chercheur qui trouve, témoigne Guillaume, un ancien camarade de l’époque. Il accumulait des preuves, récupérait des documents, enregistrait les conversations. Il combinait les méthodes d’un enquêteur et d’un scientifique. »

Le prof se plonge dans la « littérature », comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire tout ce qui a été publié scientifiquement sur le sujet. Et rend compte méthodiquement de ses découvertes sur son site. Il apprend que le gaz « CS » utilisé par les forces de l’ordre ne contient pas de cyanure en tant que tel, mais qu’un de ses composants, le malonitrile, se métabolise en cyanure quand il entre dans le corps.

Une question de santé publique

On peut supporter le cyanure à petites doses ; les fumeurs, les mangeurs de chou, d’amandes ou de manioc en ingèrent. A plus haute dose, le cyanure provoque une hypoxie, un manque d’oxygène.Et peut tuer, même s’il n’y a pas de décès par gaz lacrymogène recensé en France. Alex explique :« La personne gazée subit comme un étranglementÇa fait quoi sur la santé de se faire étrangler un peu chaque week-end ? On nous dit que le gaz lacrymogène n’est pas dangereux, mais on ne connaît pas vraiment ses effets à long terme sur la santé ».

Le chercheur passe ses journées et ses nuits sur ce qu’il considère être « une question de santé publique : le gaz lacrymo est utilisé aujourd’hui massivement par les forces de l’ordre, et pas que sur les “gilets jaunes” : les écolos du pont de Sully, les jeunes de la Fête de la Musique à Nantes, les riverains et les commerçants, tous se sont retrouvés sous le gaz. Et les policiers, qui sont les premiers exposés ! » Ceux-ci portent la plupart du temps des masques à gaz qui les protègent, mais le 28 juin, sur le pont de Sully, un commandant a perdu connaissance à cause des lacrymos.« Où est Steve ? », voilà LA question

Le cyanure disparaît moins de trente minutes après l’exposition au gaz lacrymo. En revanche, il laisse dans le corps un marqueur, le thiocyanate, qui, lui, peut être détecté pendant plusieurs semaines. « J’ai vu des résultats d’analyse de “gilets jaunes” avec des taux plus de trois fois supérieurs à la normale ! » affirme Alex, qui contacte alors moult toxicologues, médecins, chercheurs en France et à l’étranger. Les réactions sont contrastées, entre ceux qui lui disent qu’il fait fausse route, comme Jean-Marc Sapori, du centre antipoison de Lyon, et ceux qui l’encouragent à poursuivre un travail « remarquable », comme André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie, sans oublier ceux qui lui glissent au passage :« Faites attention à vous, vous vous attaquez à un sujet trop dangereux. »

Il appelle beaucoup, on l’appelle de plus en plus. Un barbouze veut lui refiler des documents confidentiels sur les victimes de gaz pendant la guerre d’Algérie. Des « gilets jaunes », par dizaines, veulent témoigner, envoient leurs analyses :« On compile leurs symptômes dans un tableau, on voit remonter de nouveaux trucs bizarres. Par exemple, beaucoup de femmes, même ménopausées, se retrouvent avec des règles abondantes. »

Une praticienne du CHU de Lyon lui écrit pour un patient, gazé à de multiples reprises, ayant un « problème hépatique de cause inconnue » : « Je me demande si cela pourrait expliquer sa pathologie », dit-elle.

Comment prouver le lien entre pathologie et gaz lacrymo ?

Que répondre ? Comment prouver irréfutablement ce lien ? Puisque les autorités de santé ne s’emparent pas du sujet et que le ministère de l’Intérieur martèle « Circulez, il n’y a rien à voir », Alex, trois médecins – Renaud, anesthésiste-réanimateur, Josyane, généraliste, et Christiane, ophtalmologue – et quelques « gilets jaunes » décident d’effectuer des prélèvements sanguins à chaud, en manifestation.

Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)
Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)

Lors de ses recherches, Alex a découvert qu’une société suisse, CyanoGuard, fabriquait des kits pour mesurer le taux de cyanure dans le sang : « Ça marche comme un éthylotest. Si la couleur reste orange, c’est bon. Si elle vire au violet, c’est qu’il y a un taux de cyanure dangereux. Ils sont sérieux, ils ont publié dans l’excellente revue de la Royal Society of Chemistry, et le FBI utilise leurs outils ! » Alex et les médecins achètent dix kits, à 15 euros l’unité, et prévoient d’envoyer aussi en parallèle des tubes de sang en labo pour mesurer le taux de thiocyanate : « En combinant les deux méthodes, on renforce la fiabilité des résultats. » Et c’est ainsi que, samedi 20 avril à Paris, des « gilets jaunes » ont vu, au milieu des fumées, crachats, tirs de LBD et mouvements de foule, un petit groupe équipé de casques, lunettes, seringues et tubes effectuer des prises de sang, à même le trottoir.

Les résultats sont décevants : le changement de couleur du cyanokit est difficilement interprétable. « Cyanoguard nous disait : “C’est positif”, mais j’avais des doutes. » Autre surprise : les résultats du thiocyanate, analysé par le seul labo compétent de France, à Lyon, reviennent pour la plupart négatifs. « Même ceux des fumeurs, ce qui n’est pas possible ! » pouffe Alex, qui pouffe beaucoup, en rougissant et en plissant le nez, comme le font les enfants. Le prof ne veut pas croire que ces résultats aient pu être truqués volontairement, mais trouverait judicieux néanmoins de faire analyser de nouveaux tubes par un labo étranger « indépendant ».

Les médecins sont présentés comme des assassins

Le 1er mai, lors de la manifestation très agitée de Paris, le petit groupe récidive, cette fois dans un hall d’immeuble protégé des regards. « Des “gilets jaunes” nous attendaient à la porte, pour nous casser la gueule. » Car le groupe inquiète. Sur fond de guerre intestine au sein de SOS ONU, qu’Alex et les médecins ont quitté, une polémique a éclaté. Des vidéos des prélèvements circulent sur les réseaux sociaux, où les médecins sont présentés comme des assassins.On a suivi des « gilets jaunes » devenus black blocs

Les médias relaient les propos d’une « gilet jaune » prélevée accusant l’équipe d’avoir profité de sa faiblesse ; le Conseil national de l’Ordre des Médecins, interpellé, explique qu’il n’est pas interdit en soi d’effectuer une prise de sang dans la rue, mais que celle-ci obéit à certaines conditions. « Nos prélèvements ont été faits dans le respect de ces conditions de sécurité, et tous ceux qui ont donné leur sang ont signé un consentement éclairé », assurent les trois médecins de l’équipe. Une enquête préliminaire est ouverte. Au lycée d’Alex, le proviseur reçoit des messages dénonçant « l’illuminé ».

L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse
L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse

Avec cette tempête, certains dans le groupe prennent peur et abandonnent. Pas Alex, qui décide de repartir de zéro avec un noyau de téméraires. On leur reproche de prélever du sang chez les autres ? Ils le prélèveront sur eux-mêmes. Pas dans la rue, mais au premier étage d’un restaurant de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin (grâce à la complicité du gérant, pro- « gilets jaunes »). Ce jour-là, « l’Obs » était présent, et le fabricant suisse du cyanokit aussi, venu en personne surveiller l’opération. Cette fois, le taux de cyanure a pu être chiffré. Alex analyse :« On est passé de 0 ou 0,1 avant gazage à 0,7 aprèsle seuil de dangerosité étant fixé à 0,5. C’est bien le signe que le cyanure et le gaz sont liés ! »

Sauf que, pour les toxicologues, les chiffres de ce kit non homologué ne constituent pas une preuve officielle. Parallèlement, pour l’analyse du thiocyanate, Alex est allé déposer lui-même des tubes dans une prestigieuse université belge. Vingt-quatre heures de route. Les professeurs, manifestement intéressés, l’ont reçu longuement, mais leur labo s’est finalement déclaré incompétent. « Ils n’ont pas envie de se mouiller, ils savent qu’il y a l’Etat français en face », interprète Alex. Peur ou pas, il a fallu chercher ailleurs. Les Allemands ont hésité, puis l’ont renvoyé vers un labo anglais, qui a accepté. Les tubes sont arrivés… mais trop tard : « Pfff… ils étaient hémolysés », soupire Alex. Traduisez : trop datés.

Ils risquent la correctionnelle

Le feuilleton a continué, on vous en passe les épisodes. On retiendra quand même une analyse d’urine par « spectrométrie de masse », avec distribution de pots aux « gilets jaunes ». « Ils sont restés très méfiants. On a récolté deux urines seulement… dont la mienne », avoue Alex. Deux, c’est peu. Mais, à 50 euros l’analyse, il n’aurait pas pu en faire beaucoup de toute façon. Entre les cyanokits, les frais d’envoi, d’analyse et d’avocat, les trajets en voiture, le prof dit avoir dépensé quelque 5 000 euros, soit une bonne partie des économies qui devaient servir aux travaux d’installation dans son appartement.

Il le raconte avec son immuable sourire, nez et yeux plissés. Il dit qu’il s’en fiche. Ce qui l’embête davantage, c’est cette enquête préliminaire ouverte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « recherche interventionnelle prohibée ». Début juillet, lui et les trois médecins ont été convoqués par la justice, et longuement interrogés. Ils risquent la correctionnelle. Ça devrait les refroidir ? Pourquoi s’acharner encore dans ce nid à emmerdes ? « On ne lâchera pas tant qu’une étude épidémiologique sérieuse ne prendra pas le relais. » Avec son trio de médecins, Alex va lancer un appel à la Haute Autorité de Santé. Et en attendant, il continue de creuser.A propos du gaz lacrymo

Le gaz lacrymogène est un composé chimique qui provoque une irritation des yeux et des voies respiratoires. Comme toute arme chimique, son utilisation est interdite dans le cadre d’un conflit armé par la Convention internationale de Genève (1993). Paradoxalement, cette interdiction ne s’applique pas au cadre du maintien de l’ordre public.

Il existe plusieurs sortes de gaz. En France, les forces de l’ordre utilisent du CS (chlorobenzylidène malononitrile), et ce de plus en plus massivement, comme l’ont montré les manifestations de ces dernières années. La dangerosité de ce gaz est proportionnelle à sa concentration et aux conditions de son utilisation. Officiellement, il n’est pas létal, mais des décès ont été rapportés après une utilisation en lieu clos, comme lors dusiège de Waco en 1993 aux Etats-Unis, ou encore en Egypte et à Bahreïn lors de soulèvements de population.

En France, « la concentration de CS dans les grenades est de 10% », nous dit la direction générale de la police, qui précise : « Cela fait plus de vingt ans qu’on utilise ces gaz, s’ils avaient été dangereux, on en aurait été les premières victimes, et les syndicats l’auraient dénoncé. »

Emmanuelle Anizon

Qu’est-ce que l’on inhale quand on respire du gaz lacrymogène ?

Lien vers l’article

23/12/2019 (MIS A JOUR 18:16)
Par Pierre Ropert

Depuis des mois, les manifestants inhalent à plein poumons du gaz CS, qu’on retrouve dans les grenades lacrymogènes. Mais quelles en sont les conséquences et les dangers pour l’organisme, alors qu’un chercheur alerte sur la possible création de molécules de cyanure après avoir respiré ces gaz ?

Un manifestant tente d'échapper aux gaz lacrymogènes en se couvrant les yeux, lors du mouvement social du 5 décembre 2019.
Un manifestant tente d’échapper aux gaz lacrymogènes en se couvrant les yeux, lors du mouvement social du 5 décembre 2019.• Crédits : Bulent Kilic – AFP

Avec cinquante ans d’utilisation derrière lui, on pourrait s’imaginer qu’une documentation scientifique complète consacrée aux effets du gaz lacrymogène est accessible. Pourtant, en France, peu d’études se sont penchées sur le sujet, et il faut se tourner du côté des rapports anglo-saxons pour en apprendre un peu plus sur les conséquences possibles de l’absorption de gaz lacrymogène, ou gaz CS.

Le gaz CS, ou 2-chlorobenzylidène malonitrile, a pourtant près d’un siècle d’existence. Inventé dès 1928 par les chimistes américains Ben Corson et Roger Stoughton, dont il porte les initiales, il est synthétisé dès les années 1950 dans une version proche de celle qu’on utilise encore aujourd’hui. Il succède alors à un autre gaz, la chloroacétophénone, pour ses « vertus » : il est à la fois moins toxique et « ses effets irritants sont plus prononcés et plus variés« .

Son but ? Des effets incapacitants immédiats 

En manifestation, l’utilisation du gaz lacrymogène par les forces de l’ordre se traduit la plupart du temps par des scènes où les manifestants reculent pour échapper aux fumées blanches, toussant, pleurant et tentant de se protéger le visage. Et pour cause, l’effet du gaz CS est quasiment instantané : il touche avant tout les yeux et provoque, en quelques dizaines de secondes à peine, une activation des voies lacrymales. Une fois inhalé, il irrite les voies respiratoires, déclenchant de violentes quintes de toux pouvant aller, selon les doses, jusqu’à des vomissements. Il peut également provoquer de fortes démangeaisons ou sensations de brûlures quand il entre en contact avec la peau. Autant d’effets qui viennent neutraliser les personnes exposées en les contraignant à se déplacer, ou en les empêchant de résister à une attaque.

Chimiquement, l’effet du gaz CS est simple à comprendre : ses molécules viennent se lier aux récepteurs de notre corps impliqués dans la perception de la douleur et chargés de détecter les produits toxiques, les TRPA1 et TRPV1. L’organisme se met alors à produire du mucus, des larmoiements ou encore à déclencher des toux, dans un violent réflexe de rejet de ce qu’il considère comme toxique.

« L’action des agents anti-émeute est presque immédiate. Les symptômes apparaissent quelques secondes après la dispersion du toxique et ne persistent que quelques minutes après la fin de l’exposition« , détaillent les chercheurs A. Gollion, F. Ceppa et F. May dans un rapport intitulé Toxicité oculaire des agressifs chimiques publié par la revue Médecine et armées

De potentiels effets à long terme

Nausées, sensations de brûlures, conjonctivites, difficultés respiratoires, voire même évanouissements (y compris chez les forces de l’ordre)… Les effets principaux des gaz lacrymogènes sont bien connus et sont réputés pour se dissiper rapidement, une fois les victimes sorties du nuage de gaz lacrymogène. Cependant, les conséquences sur le long terme du gaz CS sont très peu étudiées en France, alors même qu’il existe une bibliographie conséquente sur le sujet à l’étranger. En 2017, une revue de 31 études dans 11 pays, intitulée L’Impact sur la santé des irritants chimique utilisés pour le contrôle des foules : une revue systématique des blessures et morts causées par les gaz lacrymogènes et les sprays au poivre recensait ainsi 5 131 personnes blessées sur les 5 910 personnes exposées aux gaz irritants ayant sollicité des soins médicaux, soit 87 % des personnes concernées. En tout, 9 261 blessures avaient ainsi été recensées, l’essentiel d’entre elles étant localisées sur les yeux, la peau, et le système cardio-pulmonaire. Si l’étude rappelait que dans l’immense majorité des cas (98,7 %) les victimes avaient rapidement récupéré de leurs blessures, 67 personnes (1,3 %) souffraient de dommages permanents. 

  • Les yeux : conjonctivite, kératite et cataracte

Les yeux sont, de fait, la cible principale des gaz lacrymogènes. Ils sont les plus rapidement et directement touchés par les émanations, qu’elles proviennent des grenades ou des sprays. A priori, l’impact du gaz CS est assez faible et les séquelles disparaissent vite dans le temps. Mais une documentation anglophone complète montre que, lorsque la source du gaz est très proche des yeux, il peut exister des complications, les plus fréquentes d’entre elles étant des cas de conjonctivites ou encore de blépharospasme (des clignements répétés des paupières). Dans de rares cas, des effets à long terme peuvent être autrement plus handicapants : le docteur en ophtalmologie de l’hôpital Saint Thomas de Londres notait ainsi dès 1995 de possibles complications avec entre autres des kératites infectieuses (des lésions de la cornée), des glaucomes secondaires ou encore de la cataracte. 

« À des concentrations plus élevées, des brûlures chimiques accompagnées d’une kératite, d’une perte de l’épithélium cornéen et d’une diminution permanente de la sensation cornéenne peuvent être observées, précise le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du QuébecLe CS étant un composé solide, il se peut que des particules s’enfoncent dans la cornée ou la conjonctive, causant des dommages tissulaires. L’œil humain est plus sensible au CS en aérosol par rapport au CS en solution. L’ensemble des effets oculaires est plus sévère chez les individus portant des lentilles cornéennes ».

  • La peau : démangeaisons, érythème et brûlures

Les démangeaisons et rougeurs provoquées par le gaz CS sur la peau, si elles sont la plupart du temps bénignes, peuvent également avoir de sérieuses conséquences. Une étude de la faculté de médecine de Thessalie, en Grèce, publiée en 2015 et intitulée Exposition à l’agent anti-émeute CS et effets potentiels sur la santé : examen systématique des données probantes liste ainsi les effets les plus communs, pouvant durer de quelques heures à deux semaines, en citant de nombreuses autres études : 

Les signes cutanés courants sont de l’érythème, des éruptions cutanée ou des ampoules, des sensations de brûlure cutanée, des irritations cutanées avec ou sans douleur et des brûlures.

De nombreux cas de dermatites ou d’eczéma, particulièrement dans le cas de réactions allergiques, sont également signalés. 

  • Le système respiratoire : une fragilisation globale ?

A en croire les études, le système respiratoire est certainement le plus touché, sur le long terme, par les effets du gaz CS. Selon le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du Québec, après une exposition au gaz CS, les premiers symptômes (irritation de la gorge, des poumons, éternuements, toux, etc.) “peuvent être suivis de maux de tête, de brûlures de la langue et de la bouche, d’une salivation et de difficultés respiratoires (après délai) et d’une sensation d’oppression (à de fortes concentrations)”.

Une étude de l’université et faculté de médecine d’Istanbul, en Turquie, s’est d’ailleurs penchée sur les effets à long terme des gaz lacrymogènes sur le système respiratoire : elle concluait que, chez les sujets exposés, certains troubles étaient 2 à 2,5 fois plus élevés que la moyenne, comme l’oppression thoracique, les difficultés de respiration ou la toux hivernale. Les sujets étaient également plus sensibles à un risque de bronchite chronique plus élevé. Une exposition prolongée ou excessive au gaz peut également être à l’origine d’un œdème pulmonaire.

Si on a fait de gros dégâts sur les voies respiratoires, ça va rester. La muqueuse est plus sensible à toutes les infections, et les virus et bactéries vont avoir un terrain beaucoup plus propice pour se développer. Le chercheur Alexander Samuel

Des "street medics" accompagnent une manifestante touchée par des gaz lacrymogènes, lors de manifestations à Toulouse.
Des « street medics » accompagnent une manifestante touchée par des gaz lacrymogènes, lors de manifestations à Toulouse.• Crédits : Getty

Une arme létale en intérieur 

En 2012, au Bahreïn, les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes pour réprimer des manifestations politiques. L’ONG Physicians for human rights relate dans un rapport que plusieurs femmes ont subi une fausse couche après avoir été exposées au gaz lacrymogène et  qu’un homme asthmatique a trouvé la mort. Certaines personnes sont en effet plus vulnérables aux effets de ces gaz, comme les enfants, les personnes âgées, les personnes asthmatiques ainsi que les femmes enceintes. 

Sous certaines conditions, le gaz CS peut même s’avérer mortel. Les grenades lacrymogènes sont en effet prévues pour être diffusées dans des endroits aérés, permettant d’éviter une saturation de l’air en 2-chlorobenzylidène malonitrile. Mais dans un lieu clos, il serait possible d’atteindre “la concentration de CS qui serait létale pour 50 % des adultes en bonne santé, estimée entre 25 000 et 150 000 mg/m³ par minute” selon une estimation du rapport publié en 1989 dans The Journal of the American Medical Association : Gaz lacrymogènes : un agent de contrôle ou une arme chimique toxique ?

Lorsqu’une grenade lacrymogène explose en extérieur, le centre du nuage de gaz peut atteindre une concentration en 2-chlorobenzylidène malonitrile oscillant entre 2 000 à 5 000 mg/m³. En intérieur, la concentration augmente donc rapidement. Ainsi en 2014, en Egypte, des grenades lacrymogènes tirées à l’intérieur d’un camion transportant des prisonniers ont provoqué la mort de 37 détenus

A Notre-Dame-des-Landes, en 2018, une zadiste marche au milieu des gaz lacrymogènes.
A Notre-Dame-des-Landes, en 2018, une zadiste marche au milieu des gaz lacrymogènes.• Crédits : LOIC VENANCE – AFP

Des intoxications au cyanure ?

Depuis plusieurs mois, une autre inquiétude agite cependant les manifestants, gilets jaunes en tête, qui dénoncent de possibles intoxications au cyanure suite à des inhalations de gaz lacrymogènes. Cette théorie est avancée par le docteur Alexander Samuel : selon lui, la métabolisation du CS après son absorption entraînerait la formation de ce poison dans notre organisme.

Cette hypothèse divise les chercheurs qui estiment ou bien qu’il n’est pas possible de métaboliser suffisamment de cyanure pour que les quantités deviennent dangereuses, ou bien que les méthodes de prélèvement en manifestation ne sont pas fiables. 

Pour Alexander Samuel, le premier argument n’a plus lieu d’être étant donné le changement de paradigme : 

Le problème aujourd’hui c’est qu’on n’est plus à lancer une grenade avec un seul palet, avec des manifestants à 20 mètres du palet. On en est à une fête de la musique avec Steve Maia Caniço par exemple, où il y a 33 grenades jetées en 20 minutes… Ça change les doses, ça change les expositions. Ce sont des expositions beaucoup plus fortes, avec des effets beaucoup plus lourds sur la santé et, sur le long terme, ce qui m’inquiète ce sont les taux de cyanure totalement passés à la trappe, qui peuvent provoquer des cirrhoses du foie, des calculs rénaux, des problèmes au niveau des reins et des problèmes neurologiques, comme Parkinson par exemple.

Pour pallier le scepticisme de certains spécialistes, Samuel Alexander, diplômé d’un doctorat en biologie, lui-même ayant cru ayant d’abord cru à une « fake news », est en train de préparer un rapport complet, doté d’une large bibliographie, que nous avons pu consulter. Il s’est entouré d’autres chercheurs sous la tutelle du chimiste spécialisé en toxicologie André Picot. Directeur honoraire au CNRS et président de l’Association Toxicologie-Chimie, c’est un soutien de poids :

Le CS est une molécule organique : ça signifie qu’elle contient du carbone et de l’hydrogène. Ces hydrocarbures composent le corps de base. C’est un peu difficile pour les non-chimistes à comprendre, mais […] concernant l’effet lacrymogène, tout se joue sur la libération d’une molécule, le malonitrile. Elle contient trois atomes de carbone et deux atomes de cyanure reliés à un atome de carbone. Cette molécule intermédiaire est utilisée pour faire des synthèses en chimie organique, elle est lacrymogène et peut être très toxique. Quand le gaz CS arrive en milieu aqueux, par exemple dans le sang, l’eau va se fixer dessus. Cette hydratation va rendre cette molécule CS, elle-même déjà instable, encore plus instable. Elle va ainsi  être attaquée par des systèmes d’enzymes qu’on a dans le sang, qui vont l’oxyder. Cela va libérer le malonitrile [de la molécule CS, soit 2-chlorobenzylidène malonitrile, ndlr] qui à son tour, toujours par oxydation, va libérer du cyanure. Au final, pour une molécule de gaz CS vous libérez dans le sang une molécule de cyanure.

Une fois la molécule libérée dans le sang, elle va être assimilée par l’organisme, détaille André Picot : “C’est ce qu’on appelle la métabolisation. C’est soumis, bien entendu, à des contrôles génétiques. Et les individus sont inégaux, en général, devant cette métabolisation. Il peut y avoir des personnes qui vont réagir très vite à ce produit et avoir des effets toxiques du cyanure, alors que d’autres vont résister. Cette susceptibilité individuelle est très importante, parce qu’elle explique pourquoi vous en avez qui peuvent être très malades et d’autres qui tous les samedis montent sur les barricades et n’ont pas vraiment de symptômes. »

Un manifestant au milieu d'un nuage de gaz lacrymogène, lors des manifestations du 1er mai 2019.
Un manifestant au milieu d’un nuage de gaz lacrymogène, lors des manifestations du 1er mai 2019.• Crédits : Martin Bureau – AFP

Pourquoi ce cyanure est-il dangereux ? Parce qu’il bloque la respiration cellulaire explique le toxicochimiste, le processus qui permet de fournir de l’énergie à notre organisme. Ce faisant, il asphyxie les cellules indispensables à notre survie : 

Il y a trois organes qui sont très sensibles à la respiration cellulaire et ce sont ceux qui bossent le plus. Il y a le cerveau et donc l’asphyxie cérébrale commence d’abord par des maux de tête, de la fatigue, des dépressions, etc. Vous avez le cœur parce que c’est un moteur et il a besoin de carburant. Donc, vous allez avoir des troubles cardiovasculaires, des palpitations, vous allez peut-être vous évanouir, etc. Et puis, il y en a un autre qui est sensible aussi, c’est l’œil, la rétine. La rétine travaille beaucoup et il semblerait que dans le cas du cyanure c’est le cristallin, cette lentille, qui prend un coup. On ne sait d’ailleurs pas exactement pourquoi, étant donné qu’elle n’est pas oxygénée. 

La formation de cyanure après une exposition au gaz CS n’a rien d’une surprise. Elle a d’ores et déjà été démontrée et étudiée chez les animaux, raconte André Picot :

Chez les rongeurs, c’est très bien démontré qu’une molécule de gaz CS, lors de sa dégradation, libère une molécule de cyanure. Les détracteurs de cette libération de cyanure à partir du gaz CS, disent que dans les expériences chez les animaux, il n’y a qu’une petite quantité de cyanure, et que, par ailleurs, rien n’est prouvé chez l’homme. Ils sont un peu de mauvaise foi parce qu’il y a eu quelques études avant. Il n’y en a pas beaucoup bien sûr, par rapport aux études expérimentales, c’est évident. Mais les armées, la police, ont des données précises auxquelles nous n’avons pas accès. On aimerait bien avoir accès à ce genre de données, c’est tout l’enjeu.

Une fois dans le sang, le cyanure peut cependant être métabolisé par l’organisme. Et pour cause, il existe à l’état naturel : on en retrouve par exemple dans le manioc ou le laurier rose, et le corps sait donc s’en prémunir. Les fumeurs en absorbent également de manière régulière sans que cela ne les tue directement. Notre organisme est ainsi capable de détoxifier le cyanure en lui ajoutant un atome de soufre grâce à la rhodanèse, une enzyme présente dans la salive et dans le foie. Cette opération crée le thiocyanate, ensuite éliminé par filtration rénale dans les urines. C’est avec ce biomarqueur qu’on peut déterminer l’augmentation ou non des taux de cyanure… Sans connaître pour autant son origine précise : consommer du manioc la veille peut par exemple fausser les résultats.

C’est tout d’abord en se basant sur des mesures des taux de thiocyanates qu’Alexander Samuel et son équipe ont cherché à déterminer s’il existe un risque pour l’homme. Les premiers résultats, pris sur des manifestants gilets jaunes en marge des manifestations, ont permis de découvrir des taux de thiocyanates qui, s’ils n’étaient pas dangereux, restaient anormalement élevés. Un constat qui les a amené à mesurer, avec des cyanokits, le taux de cyanure directement dans le sang avant exposition au gaz CS, entre cinq et quinze minutes après l’exposition, puis vingt minutes après cette dernière (ce qui a par ailleurs déclenché l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, malgré les autorisations de consentement signées par les manifestants). Ces tests, réalisés sur neuf individus, ont permis de réaliser que le niveau de cyanure, après exposition au gaz lacrymogène, atteignait des niveaux supérieurs au seuil de dangerosité de 0,5 mg/L de sang (il est considéré comme létal à 1 mg/L).

L’échantillonnage peut paraître faible, mais pour Alexander Samuel il ne s’agit pas d’un problème dans le cas présent :

La force statistique est nécessaire lorsque l’on fait de l’épidémiologie, par exemple si on veut relier un symptôme (cancer) avec un comportement (fumer). Dans le cas précis de la métabolisation en cyanure, il n’est pas nécessaire d’avoir une telle force statistique puisqu’on étudie un mécanisme et non une corrélation. Les “case report” médicaux ne se font que sur des cas uniques, l’étude du décontaminant utilisé massivement par la police, par exemple, se base sur une étude menée sur cinq gendarmes.

Cependant je n’ai rien contre davantage de résultats et de vérifications, si le Parquet de Paris nous indique qu’il classe l’affaire concernant les prises de sang sans suites et qu’on a bien le droit d’en faire sans qu’elles ne soient considérées comme des « violences aggravées » et des « mises en danger de la vie d’autrui », ou si une autorité compétente décide d’enfin mettre à disposition un spectromètre de masse par exemple. A l’heure actuelle, nous sommes totalement bloqués pour les analyses terrain.

Face à ce qu’il juge être un enjeu de santé public, Alexander Samuel espère que le travail mené, qui sera publié d’ici quelques semaines, permettra d’appliquer “un principe de précaution” ou, a minima, “la formation des forces de l’ordre pour que leur discernement soit meilleur sur les risques potentiels (même hors cyanure) lorsqu’ils emploient ces grenades lacrymogènes”. D’autant que les forces de l’ordre sont, souvent, des victimes collatérales des effets des gaz lacrymogènes : 

Chlorobenzylidène malonitrile et TNT ? Des compositions méconnues

Mais à l’exception du gaz CS, que contiennent, au juste, et dans quelles proportions, les grenades lacrymogènes ? Leur « recette » reste un mystère : en France, on ignore leur composition exacte. Deux entreprises françaises fournissent les forces de l’ordre, Nobelsport et Alsetex. Contactées, la première fait savoir que « la direction ne souhaite pas répondre sur ce sujet » et la seconde ne répond pas plus. Il faut se tourner du côté du collectif militant « Désarmons-les » pour trouver un portait assez précis de la composition d’une grenade lacrymogène : 

O-Chlorobenzalmalononitrile (CS) : agent lacrymogène et irritant, il provoque le larmoiement et irrite les muqueuses du nez, de la gorge et de la peau en général.
Charbon : lors de la combustion, il se transforme en carbone pur.
Nitrate de potassium (salpètre) : lors de l’allumage, il dégage de grandes quantités d’oxygène pur qui alimentent la combustion du charbon.
Silicone : lors de la combustion du charbon et du nitrate de potassium, le silicone forme des gouttes de dioxyde de silicone qui vont servir à allumer les autres composants.
Sucre : carburant, il fond à 186°C, chauffe et vaporise le produit chimique sans le détruire. Il entretient également la combustion en s’oxydant.
Chlorate de potassium : oxydant. En chauffant, il libère une forte quantité d’oxygène pur et se transforme en chloride de potassium, qui produit la fumée de la grenade.
Carbonate de magnésium : le chlorate de potassium ne s’entendant pas avec l’acide (le mélange est explosif), le chlorate de magnésium maintient les niveaux de pH légèrement basiques, neutralisant tout contenu acide causé par des impuretés chimiques ou de l’humidité. Lorsqu’il est chauffé, il dégage du CO2, dispersant davantage les gaz lacrymogènes.
Nitrocellulose : explosif fulminant. Lors de la combustion, elle dégage de grandes quantités de gaz et de chaleur. Faible en azote, elle sert aussi de liant collant pour garder tous les autres ingrédients mélangés de manière homogène.

En réalité, parler de « gaz CS » est un écart de langage : le 2-chlorobenzylidène malonitrile n’est pas tant un gaz qu’une poudre blanche qui se volatilise dans l’air lorsque la grenade lacrymogène se déclenche. La plupart des composants d’une grenade lacrymogène ont donc pour but d’assurer la diffusion du gaz CS, responsable des effets irritants et lacrymaux. « Ce ne sont, en général, pas du tout du tout des produits toxiques, précise à ce sujet le chimiste spécialisé en toxicologie André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie. Les grenades sont à base de gaz CS et le reste, après, c’est pour la propulsion et la stabilisation, car c’est une molécule instable« .

Aux côtés des grenades lacrymogènes « classiques » qu’elles soient à main ou non, on trouve également un modèle de grenade bien particulier, la GLI-F4, une grenade lacrymogène assourdissante à effet de souffle créée par la société Alsetex. Elle utilise quant à elle 26 grammes de TNT pour produire une explosion tout en diffusant le gaz CS. Elle est notoirement connue pour être à l’origine de plusieurs cas de mutilations et des collectifs d’avocats ont demandé, jusqu’ici sans succès, son interdiction pure et simple. Si la grenade n’a pas été interdite, le gouvernement a en revanche fait savoir qu’elle ne serait plus fabriquée. De son côté, le docteur en biologie Alexander Samuel, en l’absence de données fournies par Alsetex et Nobelsport, s’appuie sur l’ouvrage « The Preparatory Manual of Black Powder and Pyrotechnics » de J. Ledgard pour connaître les composants des grenades lacrymogènes dans leur version américaine :

La principale recette connue implique l’utilisation de 45% d’ ortho-chlorobenzylidène malononitrile [ou CS, ndr], 30% de chlorure de potassium, 14% de résine époxy, 7% d’acide maléique anhydre et 3% de 4,7-méthanoisobenzofuran-1,3-dione.

Le chercheur précise que, globalement, ces produits ne sont pas dangereux ou bien ont, a priori, des effets similaires et/ou moindres que ceux déjà provoqués par le gaz CS dans des conditions d’utilisation « normales ». C’est donc bel et bien le 2-chlorobenzylidène malonitrile qui est le principal agent chimique à l’origine des réactions de l’organisme. 

Enfin, les gazeuses à main, utilisées par les forces de l’ordre, permettent d’asperger des manifestants directement au contact. Certains modèles utilisent un gaz créé à partir de la  capsaïcine, un principe actif du piment : là où, sur l’échelle de Scoville, qui mesure la force des piments, la sauce Tabasco rouge se situe entre 1 500 et 2 500 unités, les bombes aérosols des forces de l’ordre montent à plus de 5 millions d’unités… 

En France, on privilégie cependant le gaz CS à la capsaïcine. En 1998, les aérosols utilisés par les forces de l’ordre contenaient ainsi 5 % de gaz CS, quand aux Etats-Unis la dose se situe autour de 1 %. Faute d’informations, il est difficile de connaître aujourd’hui la contenance exacte de 2-chlorobenzylidène malonitrile dans les aérosols mais en 1996, la police britannique, qui s’était munie d’aérosols fournis par l’entreprise Alsetex, a conduit des tests afin de s’assurer que les sprays acquis ne dépassaient pas les 5 %… avant de réaliser que leur concentration en CS se situait entre 5,4 % et 6,8 %. Face aux récriminations, Alsetex a reconnu, dans une note de février 1997, que l’entreprise ne mesurait pas les concentrations de gaz CS, avant de s’engager à durcir les contrôles. Sans qu’il soit possible de vérifier si des protocoles ont été mis en place depuis, faute de réponses. 

Dans un article de Libération, un cadre de la société Alsetex précisait néanmoins que le dosage des grenades lacrymogènes obéit à une réglementation officielle qui veut qu’il n’y ait pas plus de 20 % de CS dans les grenades. Une concentration « 2 600 fois plus faible que la dose létale« , selon le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du Québec. En France, on ignore néanmoins si les autorités vérifient les concentrations de gaz CS émises par les grenades lacrymogènes ou les aérosols. Nos tentatives de contacter la gendarmerie pour être mis en relation avec des spécialistes du sujet sont restées sans réponses. 

Dans un rapport remis en 1999 au Parlement européen intitulé Une évaluation de la technologie de contrôle politique _(« _An Appraisal of the technology of political control »), le Dr Steve Wright, professeur à The School of Applied Global Ethics de l’université de Leeds au Royaume-Uni et ancien directeur de l’Omega Fondation, qui travaillait avec la Commission européenne pour traquer les ventes d’armes technologiques à des régimes autoritaires, retenait toutefois que « la gendarmerie française ne conservait pas de statistiques ou d’enregistrements à propos du CS afin de suggérer que ce dernier est sûr« .

Pierre Ropert

Le cas de Nelly Luksenberg

Lien vers son post

Nelly a vu le travail de l’équipe de près, elle a passé du temps à l’observer et sait donc parfaitement pourquoi nous préconisons les analyses et elle connaît les problèmes que nous soulevons. Lorsqu’elle a été exposée aux gaz lacrymogènes place d’Italie les 16 et 17 Novembre 2019 à Paris, elle a su faire les bonnes analyses complètes.

Non-fumeuse, elle portait des lunettes et un masque imbibé de vinaigre, peu de peau exposée aux gaz lacrymogènes, elle s’était donc protégée autant que possible mais une exposition de plusieurs heures totalement inattendue est survenue.

Dès le départ, son taux de thiocyanates urinaires est monté à 27,6 mg/l. Son mari a également eu un taux élevé de thiocyanates dans les urines. Après 10 jours, selles beiges persistantes pendant quelques jours. Le médecin a soupçonné une atteinte foie/pancréas. Le niveau de thiocyanates descend doucement, arrivant à 20,8 mg/l à J+25.

Les aventures d’Alex – Répression

1) Filmer tue

J’ai décidé de revenir sur plusieurs faits qui se sont produits en cette année 2019 pour essayer de ne rien oublier, et de garder une mémoire précise et documentée des événements que j’ai vécus au niveau répressif et coercitif de la part des forces de l’ordre.

Tout d’abord, je n’étais pas un gilet jaune de la première heure, j’avais même évoqué des intérêts économiques étrangers à l’oeuvre pour accentuer cette mobilisation sur la base de cet article en m’exprimant même publiquement, en tant que spécialiste Fake News de l’académie de Nice, lors de la conférence Neuroplanète organisée par le magazine « Le Point ».

Pourtant, je me suis rendu à Nice le 23 Mars 2019 pour l’appel national des Gilets Jaunes, histoire de voir comment ça se passe, de discuter, puisqu’un gros événement avait lieu directement à côté de chez moi. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais lorsque je suis arrivé, j’ai surtout vu des forces de l’ordre qui avaient nassé des personnes âgées. J’ai été sommé de me disperser, et j’ai obtempéré, nous avons été repoussés en-dehors de la place Garibaldi, laissant à leur sort les pauvres manifestants restés sur la place et subissant alors des charges dans tous les sens.

Ce qui devait arriver arriva, Geneviève Legay fut gravement blessée. Mais je ne l’ai pas vu. J’étais déjà dispersé, sorti de la place Garibaldi, et en train d’attendre un ami, qui avait été expulsé de l’autre côté de la place et devait me rejoindre. Une rangée de policiers me barraient la vue et m’empêchaient de voir la place. J’ai alors entendu des gendarmes appeler au secours des médics, puis le commissaire Rabah Souchi, qui venait d’ordonner dispersion et charge, vêtu de son écharpe tricolore, ordonner l’interpellation de ces médics. J’ai décidé de filmer cette scène surréaliste, ce qui m’a valu également d’être pris. Je relate ces faits ici :

https://www.facebook.com/anne.francois.5473/videos/10157984780469179/

Fort heureusement, j’ai filmé comment je me suis fait interpeller :

Il est à noter qu’une autre personne a filmé une perspective très intéressante ici :

Et tout ceci est confirmé par le témoignage d’un des street médics :

https://www.facebook.com/thierry.paysant/videos/10216829638480628

https://www.facebook.com/thierry.paysant/videos/10216829638480628/

C’est alors que commence ma première expérience avec le système de répression français. Je n’avais pas imaginé que cela était possible. Dans un premier temps, un policier m’amène menotté à un fourgon. Ce fourgon nous transporte près de la caserne Auvare. C’est serré, inconfortable, dangereux même. On ne voit rien, on est menotté dans un espace extrêmement étroit et on se demande ce qui va se passer. Heureusement, d’autres voix montrent qu’on n’est pas seul, les médics sont là, ils plaisantent, pensent à sortir rapidement. Bonne ambiance, on essaie de faire contre mauvaise fortune bon coeur, et puis on se dit que c’est une erreur. Mais nous allons être parqués comme du bétail dans un enclos au soleil, attendant notre tour pour être présentés à un « OPJ », un officier de police judiciaire. Après de longues minutes – on n’a plus de notion du temps, car nos affaires nous ont été prises – à attendre, c’est une délivrance de pouvoir parler à cet « OPJ ». Mais il ne fait que nous informer de choses fausses et absurdes. Alors on conteste, mais il nous certifie que ce n’est qu’une information, qu’on aura tout le loisir de contester ensuite, qu’il faut signer comme quoi on nous a bien notifié ce motif. Mes souvenirs me disaient qu’il ne fallait rien signer, mais ça, c’est quand on a quelque chose à se reprocher non ? Je me dis que, n’ayant rien à me reprocher, je ferais mieux de collaborer pour sortir plus vite, comme tout le monde me l’affirmait. J’ai donc obéi. Pour sortir plus vite. Pas d’avocat, puisqu’on m’a dit que c’était certes gratuit mais que les « frais de déplacement seraient à ma charge » (mensonge). Pas de médecin, je vais bien. Juste, faites moi sortir rapidement s’il vous plaît parce que j’aimerais bien rentrer chez moi ce soir, c’est une grossière erreur là.

Eh bien non, me voilà placé dans une cellule pendant des heures et des heures. Une cellule consiste en un espace très réduit, quelques 6 m² tout au plus, avec trois banquettes en béton et des restes de fluides corporels divers (urines, sang, selles) sur les murs. Pas de matelas. Les habits en partie retirés au cas où le suicide nous aurait tentés. Et puis une attente. Aucune notion de temps. Rien à faire. Attendre. Un médic souhaitait aller aux toilettes, nous appelons timidement. Pas de réponse. Nous insistons, et recevons des insultes pour toute réponse. Mon estime pour les officiers de police commence à décliner. Après quelques heures d’attente – du moins je suppose – ce pauvre médic ne tient plus. Alors un gilet jaune un peu plus habitué décide de prendre les choses en main et tambourine à la porte. Son déferlement de violence contre cette pauvre vitre finit par payer, un officier vient pour lui proposer de se battre, provoque, essaie de le pousser à la faute pour pouvoir ajouter un outrage à son casier. Mais il n’y parvient pas. Et nous parvenons alors à exiger les toilettes – et ce gentil policier nous dira même l’heure : nous avions attendu 7 heures avant de pouvoir aller aux toilettes.

Mon audition a été très brève, et on changeait les pauvres bougres de cellule de temps à autre, on ne nous laissait pas trop dormir, certains étaient libérés le soir même, d’autres restaient…

Au petit matin, j’étais étonné d’être encore enfermé contrairement aux autres, et le geôlier a eu la gentillesse de me donner son idée : « c’est à cause du président Chinois en visite là… Ils ont décidé de libérer les gilets jaunes qu’ils connaissent et de garder les gens qu’ils connaissent pas au cas où…. ». Pour éviter qu’un dangereux black bloc ne s’en prenne au président Chinois, il fallait donc que je reste en cage 24 heures complètes. Et à la fin, on m’a remis ce papier :

J’étais outré. Révolté. Mais je n’ai pas basculé dans la violence, je ne souhaitais pas vengeance mais justice. J’ai donc contacté mes codétenus une fois sorti, essayé de motiver tout le monde, il fallait porter plainte collectivement.

C’est là que j’ai été confronté à tous ces étranges « aidants » qui nous disent quoi faire, qui démarcher, comment porter plainte et où. Entre les legal team, les associations officielles, toute une flopée de mythomanes a pris le parti de se faire passer pour telle ou telle association, d’assister à telle ou telle démarche, et me voilà passant d’un collectif à un autre, accompagné à saisir l’IGPN, le défenseur des droits, l’ONU… Un de ces collectifs m’a lancé sur les gaz lacrymogènes cependant. Et c’est donc pour cette raison que je m’y suis intéressé.

2) La trottinette volante

Un journaliste s’était intéressé aux gaz lacrymogènes et avait décidé de venir me suivre en manifestation à Paris. Nous nous sommes donc donnés rendez-vous au centre de Paris arrêt de métro Saint-Augustin, dès le matin de ce Samedi 21 Septembre 2019, pour aller à la rencontre des personnes ayant été exposées aux gaz lacrymogènes, afin que le journaliste se rende compte des effets sur la santé.Nous avons appris que des gaz lacrymogènes avaient été utilisés en intérieur et que des enfants avaient été exposés gare Saint-Lazare vers 9h30. Nous nous y sommes donc rendus et avons croisé des personnes nous confirmant ces faits. Cependant, les forces de l’ordre ayant fait barrage un peu plus loin, et tous les manifestants se rendant aux Champs-Elysées, nous avons décidé de faire demi-tour et de marcher en direction de l’avenue des Champs-Elysées. Nous avons été contrôlés et l’officier portant le RIO 1146648 a pris nos équipements de protection individuels sans dresser de procès-verbal de saisie, mettant en danger notre vie et notre santé face à l’arme chimique qu’est le gaz CS. Petite vidéo de l’ambiance le matin avant que je ne me fasse fouiller à mon tour :

Après plusieurs fouilles et barrages, nous avons été séparés : le journaliste a pu traverser les barrages sans fouille et est allé vers les Champs-Elysées, observant les gazages intensifs et discutant avec les personnes gazées pour connaître leurs symptômes, tandis que moi-même et le médecin qui m’accompagnait avons été fouillés assidument. Après plusieurs barrages, nous sommes arrivés sur l’avenue Friedland. J’ai vu au loin une personne au sol, qui venait d’être passée à tabac par des forces de l’ordre que j’ai vu partir en courant, monter dans leurs camions et démarrer à ce moment, abandonnant le jeune homme gravement blessé au sol.

J’ai appelé le médecin et nous nous sommes approchés de lui pour lui porter assistance, il était environ 11 heures. Après une longue attente, des habitants du quartier nous ont dit « ce n’est pas normal, les pompiers arrivent beaucoup plus vite d’habitude ». Je me suis donc décidé à aller au coin de la rue, cherchant des officiers de police, pour leur demander s’ils savaient où étaient positionnés les camions de pompier (j’en avais croisé certains sur le chemin mais ne me souvenais plus de leur position exacte). Ils m’ont indiqué une direction, et tout en m’y rendant, j’ai vu le camion de pompiers arrivés. Les officiers de police auxquels j’avais demandé le renseignement ont décidé de s’approcher pour sécuriser le lieu et l’évacuation du blessé, et je suis arrivé en leur compagnie. Pendant près d’une dizaine de minutes, nous sommes restés à proximité. Dès le départ du camion de pompiers, des officiers cagoulés et sans RIO, refusant de décliner leur identité, m’ont emmené pour « jet de trottinette » et « destruction de véhicule », m’ayant notifié ce motif à ma demande. Je leur ai signalé qu’ils faisaient erreur et que j’ai un physique suffisamment reconnaissable pour être disculpé. Mais ils ont persisté à indiquer qu’ils « me reconnaissent sur la vidéo » qu’il ne m’a pas été donné de visionner cependant. Très étonné je n’ai opposé aucune résistance mais n’ai cessé de leur répéter qu’ils faisaient erreur sur la personne.

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10217880332533794

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10217902856536880

Arrivé au commissariat du cinquième arrondissement, mes droits m’ont été notifiés et j’ai demandé à voir un avocat et un médecin. Un officier de police m’a dit « de toutes façons votre arrestation est politique ». On m’a donc placé en garde à vue pendant 24 heures. Durant ce temps j’ai demandé plusieurs fois à consulter les différents procès-verbaux y compris d’audition sans que ce droit ne m’aie été accordé. Les officiers de police se moquaient de moi et me traitaient comme si j’avais réellement jeté une trottinette : « on n’est pas ici par hasard ». Le médecin m’a signifié qu’il « n’aime pas les gilets jaunes » lorsqu’il m’a observé. Il n’y avait pas de couvertures car les officiers de police « nous faisaient une faveur en ne nous les proposant pas vu leur état ». Nous étions sept dans une petite cellule, dormant à même le sol.

Mes codétenus ont également eu leurs droits fondamentaux bafoués. Trois d’entre eux se trouvaient en garde à vue pour avoir eu des « armes » dans leur sac. Les armes étaient, en l’espèce, des masques à gaz et des lunettes de protection, soit des équipements de protection individuelle contre l’arme chimique équipant les forces de l’ordre et causant un problème de santé publique. Aucune autre arme ne se trouvait dans leur sac sauf pour l’un d’entre eux, qui avait pris des « objets incendiaires », ce qui lui a valu une prolongation de sa garde à vue. Ces objets n’étaient autres que cinq petits pétards festifs. Un détenu a été passé à tabac lors de son interpellation et est arrivé blessé. Il a été jugé n’étant pas apte à effectuer une garde à vue par le médecin, mais il est tout de même resté dans la cellule toute la nuit. Enfin un dernier codétenu devait prendre des médicaments, le médecin l’a confirmé, mais on lui a refusé les médicaments et la consultation du procès-verbal d’auscultation du médecin.

Lors de mon audition, il m’a été indiqué qu’un témoin ayant soi-disant une vidéo de moi en train de lancer la trottinette ne répondait pas au téléphone, et que je resterai en garde à vue avec prolongation possible tant que ce témoin n’a pas été retrouvé. J’ai pourtant fourni toutes les preuves indiquant que je ne pouvais être l’auteur de ces faits, et indiquant que j’avais des rendez-vous importants avec des scientifiques reconnus à honorer.

J’ai été relâché après 24 heures complètes de garde à vue, et des remarques désobligeantes des officiers de police m’indiquant que « j’avais de la chance qu’il n’y avait pas de caméras ». En sortant j’ai découvert le twitter du ministre de l’intérieur, indiquant publiquement (21 Septembre, 19h56) :

« Gratitude aux forces de l’ordre déployées sur tout le territoire pour préserver l’ordre et garantir la libre expression. Des individus violents ont été interpellés et les exactions stoppées. Le ministère de l’Intérieur reste vigilant et mobilisé : force doit rester à la loi. »

J’étais secoué par ces événements et j’ai eu besoin de communiquer à ce sujet sur le ton de la plaisanterie et de l’humour :

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10217878821576021

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10217880532938804

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10217880549699223?__tn__=-R

3) La terreur du lave-vitre bio

Je pensais que ces aventures étaient enfin passées, que j’allais pouvoir envisager des choses plus sereines. J’avais un rendez-vous en centre-ville, et je m’étais accordé un samedi de pause, sans manif Gilets Jaunes, sans activités, juste voir une amie. Elle m’a donné rendez-vous place Masséna, le lieu le plus neutre de Nice. Je n’avais pas imaginé à ce moment que de dangereux terroristes avaient préparé un attentat. Et quel attentat. 9 d’entre eux ont comploté pour préparé une attaque de la banque Société Générale dans le cadre d’un mouvement global lancé par Attac. Je n’en avais pas connaissance, mais je connaissais de vue, car ils étaient présents en manifs, deux de ces odieux criminels. L’action était programmée pour 13h30, heure à laquelle j’ai péniblement trouvé une place pour garer ma voiture, assez loin de la place Masséna. Je me suis donc mis à marcher en direction de la place, passant à proximité de la banque vers 14h. Mon amie était en retard. C’est ainsi que j’ai vu ces militants se faire arrêter. Etonné du traitement qui leur était réservé, je suis allé saluer ceux que je connaissais et leur ai demandé ce qui se passait. Cela m’a valu un contrôle d’identité, auquel j’ai répondu en contrôlant l’identité des contrôleurs, leur demandant leur identifiant RIO obligatoire. Tous n’ont pas accepté de me le donner.

Un de ces officiers de police a alors décidé de mentir, et de m’accuser d’avoir participé à l’action, il m’a vu lancer de la peinture. Ce mensonge est sans doute dû au fait qu’il a refusé de me donner son RIO. J’ai été embarqué et j’ai immédiatement filmé ce qui se passait.

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218175996765215/

Il s’agissait alors d’un simple contrôle d’identité, mais une fois arrivé à Auvare, on m’a indiqué que ce serait garde à vue. J’avais l’habitude : médecin, avocat commis d’office, attente, OPJ… Je me suis ennuyé encore une fois pendant 24 heures. J’ai eu le temps d’apprendre que l’action de ces camarades de garde à vue était très bien préparée : du lave-vitre bio mélangé à du charbon, et non pas de la peinture, partant à l’eau et rendant une plainte ridicule. Mais ce que je ne pensais pas possible est arrivé : perquisition à mon domicile. Et quelle perquisition , on en a trouvé des choses !

https://www.facebook.com/alexsamtg/posts/10218202126858451

Après prolongation, ma garde à vue ayant duré 48 heures complètes, je suis allé soutenir ces militants dont j’ai découvert l’histoire. Et là encore, le respect des forces de l’ordre n’était pas trop au rendez-vous. Un peu de lecture, des échanges, et une tentative de sensibiliser ces officiers à la santé publique se sont malheureusement avérés être très infructueux. Je suis sorti dépité. Mais la presse s’en est un peu mêlée, qu’elle soit russe, française de gauche ou de droite.

Aucun des enquêteurs n’a jugé utile d’écouter mon répondeur cependant, alors que je leur avais proposé dès le départ. J’y ai donc trouvé ceci une fois que je suis sorti :

4) Joyeux anniversaire !

Pour l’anniversaire des 1 an des gilets jaunes, j’ai été place d’Italie. Nous avons été coincés, empêchés de sortir, et gazés toute la journée. j’ai voulu sortir, me disperser comme on me l’ordonnait, j’ai essayé de sortir par tous les côtés de la place : rien à faire.

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218363596575093/

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218364172669495/

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218364457636619/

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218364713363012/

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218365038651144/

Le soir, dépités, nous sommes allés aux Champs Elysées, et nous avons vu tous les journalistes se faire fouiller, contrôler, tous le monde avoir peur, il régnait une ambiance de couvre-feu sans couvre-feu, comme si la police s’était transformée en milice pour empêcher toute expression publique. J’ai voulu casser cette ambiance de peur, j’ai été le seul à mettre son Gilet Jaune devant l’Arc de Triomphe.

Je ne manifestais pas vraiment, vu que j’étais seul. J’ai simplement donné une interview au seul journaliste qui a réussi à passer jusque-là (mais qui ne l’a semble-t-il jamais publiée) :

Ceci m’a valu une belle petite amende que voici :

5) Josiannnnne

Enfin, comme si ça n’avait pas suffi, le lendemain, en se préparant à rentrer, nous décidons de passer par Les Halles avec Josiane, médecin généraliste qui m’accompagne dans mes aventures. Nous avons été fouillés, un masque à gaz a été trouvé et voilà que Josiane se fait embarquer :

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218372922448234/

https://www.facebook.com/alexsamtg/videos/10218373121053199/

Sites d’identification des grenades

http://romarm.ro/en/product/cartus-fumigen-lacrimogen-cc-38-f-l-calibrul-38mm

https://www.armyrecognition.com/eurosatory_2014_show_daily_news_coverage_report/alsetex_presents_its_landcougar_12_and_56-mm_range_in_live_demonstration_during_eurosatory_2014.html

http://titus2h.e-monsite.com/pages/maintien-de-l-ordre/55-gamme-lacroix-alseltex.html

https://riotid.com/downloads/RiotID_Guide/RiotID_Guide_FRENCH.pdf

https://eodbuyersguide.com/ordnance___munitions

https://www.caat.org.uk/resources/companies

http://www.nonlethaltechnologies.com/pdf/FRENCH_NLT_Brochure.pdf

http://www.mikelewisresearch.com/2011/11/tahrir-ammo.html/

https://www.files.ethz.ch/isn/195222/Tear%20Gassing%20By%20Remote%20Control%20Report.pdf

http://bprd.nic.in/WriteReadData/userfiles/file/201704071029428052382STUDYREPORT27.03.2017-ilovepdf-compressed.pdf

https://www.combinedsystems.com/_pdf/SpecSheets/3300%20CTS.pdf