Question au Gouvernement à l’Assemblée Nationale

Le député Sébastien Nadot a posé une question au Gouvernement, dont voici le texte.

« M. Sébastien Nadot alerte M. le ministre des solidarités et de la santé sur l’utilisation des gaz lacrymogènes dans le cadre du maintien de l’ordre public, compte tenu de la dangerosité démontrée pour la santé des gaz lacrymogènes. Le 11 janvier 2020, semaine 61 du mouvement des « gilets jaunes », des manifestants s’étaient donné rendez-vous dans le centre-ville de Toulouse. Après quelques heures de déambulation, certains se retrouvent place Saint-Georges. Les policiers qui les suivent jettent alors des grenades de gaz lacrymogène dans leur direction. À quelques mètres derrière les manifestants se trouve un espace de jeux avec des enfants. Très vite le gaz se propage sans épargner toboggans et tourniquets. Prise au dépourvu, une maman affolée avec un enfant en poussette quitte la zone à la hâte. Apeurée, une petite fille pleure, figée debout. Un policier se dirige alors vers elle pour l’évacuer de la place. En bon père de famille, il la prend dans ses bras, tente de la rassurer et l’éloigne rapidement des dernières fumées blanchâtres. Les exemples de « dommages collatéraux » dans l’usage de grenades lacrymogènes ces deux dernières années, dont certains de la plus grande gravité, sont légion en France. Il est impossible d’évaluer le nombre de personnes exposées à ces gaz, qu’il s’agisse des participants à un rassemblement illégal, de ceux qui exercent l’un de leur droit fondamental à manifester sans excès ou des « badauds » pris au piège des hasards d’un affrontement entre forces de l’ordre et manifestants, jusqu’à ces enfants innocents. Avec cinquante ans d’utilisation derrière lui, plusieurs drames récents qui lui sont directement liés et un stock d’images sur les réseaux sociaux de manifestants, parfois de badauds, piégés dans ses fumées blanchâtres, on pourrait imaginer qu’une documentation scientifique complète consacrée aux effets du gaz lacrymogène est accessible. Jusqu’ici rien n’était véritablement documenté en France sur le sujet. Aussi, le rapport intitulé « Le Gaz lacrymogène CS – effets toxiques ? » de Samuel Alexander et André Picot publié en juin 2020 par l’association toxicologie-chimie vient combler cet étonnant vide et pose des questions de santé publique majeures. Les effets biologiques à court et long termes sont nombreux. Au 21ème siècle, dans un pays comme la France, il lui demande si le simple fait que des enfants puissent être exposés à des gaz lacrymogènes à la toxicité démontrée n’est pas suffisant pour les interdire. »

Une réponse lui a été faite, et je me permets de la commenter avec des références :

« Corollaire de la liberté d’expression, le droit de manifester est une liberté garantie par la Constitution. Les forces de l’ordre concourent au libre exercice de ce droit en déployant des services d’ordre qui ont pour but d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Dans un Etat de droit, il est impératif que le recours à la contrainte et aux armes soit gradué et proportionné et s’exerce dans le respect du droit. C’est pour répondre à ces exigences que les forces de l’ordre disposent d’une législation et d’une gamme de techniques et de moyens pour préserver ou rétablir l’ordre public, assurer la sécurité des personnes et des biens ou faire face aux menaces auxquelles elles sont exposées. Le niveau d’exercice de la contrainte prend en compte les situations particulières et se traduit par la mise en œuvre de la force physique, l’emploi d’armes de force intermédiaire et, en dernier lieu, le recours à des armes à feu.« 

Je suis d’accord avec cette introduction dans les grandes lignes qui fixe le cadre de la réponse.

« Les armes de force intermédiaire permettent de faire face à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est souvent insuffisante mais qui nécessitent une riposte immédiate, notamment pour faire face à des groupes armés ou violents. Dans bien des situations, elles évitent le recours aux armes létales et abaissent le niveau de risque, tant pour l’intégrité physique des personnes ciblées que pour celle des tiers ou des forces de l’ordre.« 

Cette affirmation semble inexacte. En effet, Paul Rocher a montré, malgré le peu de transparence du ministère au sujet de l’introduction et l’augmentation de l’emploi des armes « de force intermédiaire », que celle-ci ne s’était jamais accompagnée d’une réduction de l’emploi d’armes à feu.

« Le code de la sécurité intérieure liste de manière exhaustive ces armements et définit les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés. Il en est ainsi, par exemple, des moyens lacrymogènes (diffuseur, grenade lacrymogène et fumigène, etc.). Leur emploi permet en particulier d’éviter, lors de mouvements de foule ou lorsque les forces de l’ordre sont prises à partie par des groupes violents, les risques inhérents à des contacts physiques directs ou l’usage d’autres moyens présentant plus de risques. Il permet la dispersion de foules et d’éviter l’enfoncement ou le contournement des dispositifs de sécurité. Il peut aussi viser à la neutralisation d’une personne menaçante ou dangereuse pour elle-même ou pour autrui. L’emploi de moyens lacrymogènes relève du cadre légal d’emploi de la force.« 

Il manque des éléments pour étayer ces affirmations, qui sont cependant contredites par bien des études

« La solution pour une meilleure sécurité et des interventions policières responsables dans des situations potentiellement dangereuses ne devraient pas être recherchées du seul côté de la technologie, mais surtout en améliorant les compétences tactiques et techniques des policiers » par Adang Otto

L’emploi de ces armes se fait majoritairement dans des situations où il n’y a pas de violences ou de menaces pour la sécurité publique imminente comme l’indique Rohini Haar.

L’emploi du spray OC aux Etats-Unis, aux effets directs très similaires au CS, a par exemple été corrélé à une augmentation des blessures sur policiers comparée à des situations similaires où l’ordre a été rétabli sans leur emploi.

De plus, ces armes causent des dégâts sur la santé des officiers de police, lorsque des rapports sont faits, contrairement à ce que fait la France selon un rapport rendu à la Commission Européenne en 1998, dénonçant tout simplement l’absence de rapports sur l’usage des gaz lacrymogènes.

« A ce titre, il n’est possible que lorsque les conditions requises par la loi l’autorisent et répond aux critères de nécessité, de proportionnalité et de gradation. L’emploi de certains moyens lacrymogènes répond en outre à des règles supplémentaires spécifiques particulièrement strictes (emploi uniquement sur ordre hiérarchique, nécessité de disposer d’une habilitation individuelle obtenue après une formation et avec le suivi d’une formation continue, etc.). L’usage des grenades de ce type n’intervient qu’après un ordre de dispersion et trois sommations qui annoncent l’usage de la force (sauf en cas de violences ou de voies de fait exercées contre les forces de l’ordre). Si une exposition résiduelle au produit lacrymogène peut être subie par des manifestants qui quittent la zone où elles sont lancées, ceux qui se maintiennent délibérément sur place sont auteurs, a minima, du délit prévu à l’article 431-4 du code pénal. Aussi, si l’effet d’une grenade lacrymogène peut toucher de manière indifférenciée un groupe de manifestants, ceux-ci ont pour point commun d’avoir voulu s’inscrire et se maintenir dans l’illégalité. »

Pourtant les témoignages de personnes n’ayant jamais entendu la moindre sommation avant d’être exposés sont nombreux (et vous pouvez prendre le mien en personne : cela m’est arrivé à 4 reprises l’an dernier, dont une Place d’Italie documentée en détail par des vidéos en direct où il est aisé de constater que j’ai été exposé sans jamais avoir entendu la moindre sommation, tout en étant nassé et en n’ayant aucune possibilité de me disperser). De même, les nasses empêchent toute dispersion et sont donc en contradiction avec l’ordre donné. Il faudrait donc faire évoluer le cadre d’usage de ces grenades en les interdisant a minima en cas de nasse, et en améliorant les ordres de dispersion.

« S’agissant des produits eux-mêmes, communément appelés « gaz lacrymogènes », ils ne sont en fait ni gaz, ni agents incapacitants. En ce qui concerne leur éventuelle toxicité, parmi les policiers chargés du maintien de l’ordre, qui sont régulièrement soumis à une exposition à des produits lacrymogènes, la médecine de prévention du ministère n’a eu à connaître d’aucune remontée significative qui pourrait évoquer un lien direct entre, d’une part, l’exposition au CS (produit de synthèse chimique – ortho-chlorobenzylidène malononitrile – de faible toxicité, qui constitue la molécule active) et, d’autre part, certaines pathologies chroniques ou évolutives possibles (pathologies respiratoires, ophtalmologiques, etc.).« 

Sachant qu’il existe un précédent sur la volonté de ne pas faire de rapports sur l’usage de ces armes, nous demandons davantage de transparence : comment une remontée aurait-elle pu avoir lieu ? Comment distinguez-vous les effets des gaz lacrymogènes d’autres facteurs confondants dans les remontées sur les pathologies neurologiques long terme par exemple, ou sur les cataractes décrites clairement dans le dossier ? Le volume expiratoire est-il mesuré régulièrement chez les forces de l’ordre ? Comment distinguez-vous la perte de vision liée à l’âge de la perte de vision générale, quelles études sont disponibles publiquement ?

« Les effets recherchés ont une incidence sur les yeux, les poumons et la peau mais sont réversibles. Les effets du CS ont une durée brève, conséquence d’une exposition aigüe généralement bénigne, mais liée à la dose et à la durée d’exposition. Les symptômes observés habituellement sont dus à une telle exposition aiguë. L’exposition aigüe n’implique généralement pas d’effet à long terme : l’effet irritant disparaît rapidement (15 à 30 minutes) après « décontamination » (à grande eau et éviction du produit).« 

Quels moyens de décontamination sont mis à disposition des personnes exposées parmi les habitants des quartiers, les passants, les manifestants pacifiques et même les manifestants violents qui restent des citoyens avec des droits même s’ils ont pu contrevenir à la loi ?

« Les éventuels effets secondaires disparaissent généralement dans la journée. Les irritations sont les plus fréquentes et se manifestent sur l’œil, la peau, le tractus respiratoire. Peuvent s’y ajouter des troubles digestifs et des céphalées. Des phénomènes allergiques peuvent également survenir. Il convient de souligner que ces produits sont acquis par les forces de l’ordre en tenant compte de la composition (excipients et produits solvants) et du dosage des composants. Comme rappelé plus haut, leur usage obéit par ailleurs à des règles de droit et conditions d’emploi strictes (emploi très encadré en milieu fermé par ex.). Toutes les précautions sont donc prises pour limiter les risques, tant pour les utilisateurs que pour les manifestants.« 

Au regard des connaissances sur ces armes, ces précautions sont largement insuffisantes.

« Il convient enfin de souligner que la molécule active des produits employés dans d’autres pays (OC – mélange de capsaïcine, capsaïcinoides, diterpènes et autres substances, PAVA – vanillylamide de l’acide pélargonique, etc.) n’est pas celle (CS) composant les moyens en dotation au sein des forces de l’ordre en France.« 

Le CS est employé partout dans le monde, notamment dans les grenades. Par exemple, à Portland durant le mouvement Black Lives Matter, c’est bien le CS qui a posé un problème de santé publique. Le maire a d’ailleurs fini par interdire son usage de ce fait.

C’est aussi le cas à Hong Kong lors du siège de l’université polytechnique, où le CS a posé également un problème de santé publique.

Enfin c’est le cas au Chili, où c’est toujours le CS qui est en cause.

« S’agissant du rapport de l’association toxicologie-chimie, il ne s’agit pas d’une étude scientifique de recherche sur les effets du CS : O-chlorobenzylidène malononitrile sur l’homme, mais d’un document qui agrège des données issues de différents horizons bibliographiques. Il n’y figure aucun élément qui ne soit déjà connu.« 

A l’évidence, l’auteur de la réponse n’a pas lu le dossier.

D’une part, celui-ci remet en cause un « élément connu », un calcul théorique sur la quantité de cyanure formée par métabolisme, car les conditions de calcul théorique (il ne s’agit en fait pas d’une mesure, comme certains auteurs vont le dire par erreur par la suite) repose sur une exposition d’une minute à 20 mètres d’une grenade. Ceci est décrit en page 38 du dossier.

D’autre part, le dossier présente un tableau de mesure de CYANURE (et non de thiocyanates) sur lequel nous reviendrons, en page 41.

Enfin en annexe du dossier, on peut trouver page 123 des éléments factuels sur les niveaux de cyanure (encore une fois, et non de thiocyanate) mesurés à l’autopsie des personnes décédées dans le cadre de l’incident de Waco aux Etats-Unis en 1993, avec la démonstration qu’ils ont très probablement été intoxiqués par le cyanure provenant des grenades lacrymogènes et non par l’incendie du complexe.

« Ce document, clairement à charge, débute par un catalogue des agents chimiques (de guerre, dont l’ypérite, etc.), au sein duquel figure le CS sans que ne soit précisé que les agents anti-émeute ne sont en aucun cas des agents incapacitants ni des gaz (ainsi que rappelé plus haut). »

Je cite une phrase dans le document décrivant l’une des expériences pour ce qui concerne le fait qu’il ne s’agit pas d’un gaz à proprement parler :

« La Grenade qui brûle pendant environ 30 secondes libère un nuage de Particules en suspension généré thermiquement pendant environ 10 à 15 minutes. »

En page 9 du dossier, il est indiqué une définition des agents incapacitants, et le CS ne figure pas dans cette liste, mais figure dans la catégorie suivante, celle des « irritants ».

Ces dénominations, comme de nombreux auteurs l’ont signalé, sont souvent assez poreuses. Un agent irritant peut devenir incapacitant selon le contexte, la concentration, la personne affectée… C’est pour cela que certaines études ont nommé le CS « incapacitant ».

De plus, un document qui décrit la littérature scientifique de façon exhaustive n’est pas « à charge contre le CS », mais est plutôt un moyen d’alerter sur des dangers pour la santé publique. Je ne comprends pas l’emploi du terme « à charge » pour décrire ce dossier.

« Les aérosols cités ne sont en outre pas utilisés par les forces de l’ordre françaises. Le gaz lacrymogène CN (chloroacétophénone) n’est plus employé et le MIBK (solvant) n’entre pas dans la composition des aérosols CS utilisés par nos forces de police et de gendarmerie.« 

Merci pour cette dernière information, j’ai posé la question à de nombreuses reprises car les sprays CS fabriqués en France par la compagnie Alsetex contenaient ce solvant, ce qui a fait scandale en Angleterre à la fin des années 1990.

« Par ailleurs, lorsque ce document évoque les lésions provoquées par le CS, il n’apporte aucune précision sur les concentrations du principe actif du produit concerné (concentrations pourtant essentielles) et fait référence à des constatations après utilisation en milieu clos. »

Une simple recherche dans le document fait apparaître le mot « concentration » 90 fois dans le dossier. A l’évidence, il n’a pas été lu correctement par les auteurs de la réponse. Sur tous les effets décrits d’après la littérature, lorsque la concentration était disponible, elle a été indiquée dans le document.

Cependant, il est exact que nous n’avons aucune donnée sur la concentration du nuage effectif en France. J’aurais souhaité faire des mesures mais Airparif a décliné par exemple, et il n’a pas été possible d’obtenir une telle mesure de quiconque contacté en France, il suffit pourtant d’appareillages largement disponibles comme des Hapsites. Pour approximer la concentration en France, nous nous sommes basés sur les données du fabricant, probablement sous-estimées, décrites en détail page 122 :

Par ailleurs, aucun élément comparatif n’est abordé, notamment sur la concentration létale des produits, la dose efficace, les excipients.

Encore une fois, l’auteur de la réponse n’a pas lu le dossier. La concentration létale est décrite sur la même page 122 :

De même, le détail des concentrations et leurs effets sur l’homme :

Les excipients ne nous ayant pas été communiqués par le fabricant malgré les nombreuses relances et tentatives de savoir, nous avons donc « deviné » les excipients possibles et décrit leurs effets. Ceci était pourtant visible dans la table des matières, qui n’a donc même pas été consultée par les auteurs de la réponse.

« Sans surprise, l’accent est mis sur le risque lié au cyanure, qui est un des produits de métabolisation du CS, mis en avant pour avoir été retrouvé dans le sang de manifestants (fumeurs ?) lors de manifestations du mouvement dit des « gilets jaunes ». »

Des concentrations en thiocyanate élevées ont été retrouvées chez des fumeurs comme chez des non-fumeurs, sur une cinquantaine de personnes au total, données couvertes par le secret médical, mais résultats diffusés et rendus publics par certains gilets jaunes eux-mêmes. Toutes dépassaient le seuil maximal de leur état (il est différent entre fumeur et non-fumeur).

Or, s’il est établi que le cyanure peut être nocif, les concentrations sont un élément indispensable à prendre en compte. Un article des Annales de toxicologie analytique (« Cyanures et thiocyanates en toxicologie hospitalière », vol. XII, n° 2, 2000) montre ainsi que le niveau de thiocyanates habituel chez un fumeur est de 20 mg/ l dans le sang. Trouver 15,9 mg/l dans le sang, comme ce fut le cas lors de manifestations, n’a donc rien d’étonnant.

Précisons bien cette donnée essentielle en citant la phrase exacte de la référence :

« Les valeurs habituelles des cyanures et thiocyanates dans le sang sont respectivement de 0,02 mg/l (non-fumeurs) à 0,05 mg/l (fumeurs) pour les cyanures et de moins de 4 mg/l (non-fumeurs) à 20 mg/l (fumeurs) pour les thiocyanates. »

Il s’agit d’une fourchette large, sans détails précis, et sans aucune référence. Quelles mesures ont été faites exactement pour affirmer cela ? On n’en sait rien.

Pourtant, des mesures, il en existe dans des études présentant de réels résultats et non une fourchette (réaliste, mais « à la louche »).

La moyenne pour les fumeurs dans une étude sur 135 sujets plus récente était de 6,5 mg/l comparée à 2,4 mg/l pour des non-fumeurs. Dans cette étude, le niveau le plus élevé enregistré pour un fumeur était de 8,6 mg/l (conversions réalisées à partir de concentrations molaires).

Une autre étude a présenté une mesure moyenne de 8,3 mg/l de thiocyanates (écart-type de 0,18) dans le sérum sanguin des fumeurs comparée à 3,4 mg/l (écart-type de 0,14) de thiocyanates pour des non-fumeurs.

Dans un essai clinique randomisé incluant 29 patients par groupe la moyenne est de 6,67 mg/l pour un maximum de 9,3 mg/l chez des fumeurs contre une moyenne de 3,5 mg/l (maximum à 4,5 mg/l) chez des non-fumeurs.

Une étude a comparé les niveaux de fumeurs et de non-fumeurs exposés ou non de par leur profession à du cyanure. Les mesures ont été faites dans les urines et dans le sang, avec des niveaux exprimés en mg/100ml, il faut les multiplier par 10 pour les lire. Le niveau le plus élevé enregistré, pour un fumeur exposé de par sa profession, était de 9,2 mg/l.

Les concentrations les plus élevées que nous avons pu trouver est de 16,8 mg/l dans la littérature indiquent pour de très gros fumeurs (groupe S4, le plus élevé, consommant plus de 20 cigarettes par jour. Le nombre de cigarettes de chaque personne n’a pas été détaillé, mais la concentration moyenne dans ce groupe était de 7,7 mg/l).

La patiente dont le niveau a été mesuré à 15,9 mg/l et dont le résultat a été médiatisé ne fumait pas plus de 20 cigarettes par jour, elle nous a affirmé être à moins de 10 cigarettes par jour.

« Par ailleurs, les prélèvements nécessaires au dosage du cyanure doivent respecter un protocole rigoureux.« 

Cette remarque montre que les auteurs de la réponse font quelques confusions. En effet, ce sont les thiocyanates qui sont dosés dans les chiffres annoncés précédemment, et non le cyanure.

Le cyanure apporté par l’alimentation ou par les cigarettes n’implique que de très faibles doses de cyanure. En effet, dès 0,5 mg/l dans le sang, le cyanure devient très dangereux et le risque de létalité est atteint dès 1 mg/l. L’organisme va très rapidement le métaboliser en thiocyanate pour éviter une augmentation de la concentration aigüe. Un apport faible mais constant en cyanure ne présente donc pas le même danger qu’un apport conséquent instantané. Pour s’en faire une idée simple, cela reviendrait à comparer le fait de fumer 10 cigarettes en une journée à en fumer 10 d’un coup en même temps.

Le thiocyanate est éliminé très lentement par filtration rénale. Dans l’essai clinique cité précédemment, après arrêt de consommation de cigarettes, la réduction du niveau de thiocyanate dans les urines n’est que de 30% au bout de 5 jours. Ainsi, le thiocyanate peut refléter une consommation de faibles doses répétées (cigarettes et alimentation) comme il peut refléter un niveau d’absorption instantané élevé.

Pour contourner ce problème, nous avons mesuré non pas les niveaux de thiocyanates dans le sang, mais le niveau de cyanure directement, comme présenté précédemment. Et des niveaux dangereux immédiatement pour la santé ont été relevés. Je rappelle donc le tableau déjà ignoré par les auteurs de la réponse précédemment, page 41.

« Par ailleurs, si la littérature scientifique est relativement rare sur le sujet, d’autres études méritent cependant d’être prises en compte, notamment l’article « Effects of tear gases on the eye » dans la Survey of Ophthalmology (vol. 61, 2016) ou l’étude « Riot Control Agents – Exposure and Treatment » de M. F. Dorandeu (pharmacien, chef des services, professeur agrégé du Val-de-Grâce, titulaire de la chaire de recherche appliquée aux armées, conseiller technique de la directrice centrale du service de santé des armées pour les questions de défense médicale contre les risques chimique) présentée au 36e congrès de la European Association of Poisons Centres and Clinical Toxicologists, à Madrid le 26 mai 2016. »

Loin de contredire le contenu de mon dossier, effectivement, la première étude n’aborde pas le métabolisme en cyanure d’une part, et aborde les effets sur la santé d’autre part.

Kim discute les effets et le traitement des gaz lacrymogènes de tous types (OC, CS et CN) en s’appuyant sur des références concernant le CS, l’OC et le CN… Pour le CS, il cite des références (numéro 7, 9, 13, 18, 22, 25, 36, 38) que nous avons également citées dans notre dossier. Par exemple Hill, avec le cas d’un patient qui est resté 6 mois en soins intensifs après une exposition au CS :

“Hill presented a case of multisystem hypersensitivity reaction to CS that lasted 6 months and required an intensive care unit (ICU) stay”

Il n’est pas utile de citer une revue des mêmes éléments bilbiographiques, et qui dit sensiblement la même chose, tout en répétant certaines erreurs chimiques publiées dans la littérature scientifique que nous sommes en train de corriger dans la version définitive du dossier de l’ATC concernant les propriétés d’agent alkylant SN2, et s’appuyant sur un mécanisme d’action désuet puisque depuis cette revue nous savons que le mode d’action, décrit dans le dossier de l’ATC également, passe par les récepteurs TRPA1/TRPV1.

“CS is an SN2 alkylating agent”

Pour ce qui concerne l’étude de Dorandeu, malheureusement, son nom n’apparaît pas dans le rapport du 36ème congrès de l’EAPCCT.

Il ne se trouve aucune référence nulle part à ce travail et il est donc impossible d’en dire plus dans cette réponse.

« En employant des moyens lacrymogènes comme en toute autre circonstance, les forces de l’ordre interviennent dans le respect du droit, notamment des dispositions du code pénal et du code de la sécurité intérieure relatives au délit d’attroupement et à l’emploi de la force pour le maintien de l’ordre. Leurs actions sont soumises au contrôle de l’autorité judiciaire et de différentes autorités administratives indépendantes. Si des comportements inappropriés sont relevés, ils donnent systématiquement lieu à des suites administratives, voire judiciaires. »

Malheureusement, les délais de traitement sont très longs, et peu d’affaires aboutissent réellement. De nombreux sociologues évoquent ces problèmes très connus, comme Sébastian Roché ou Olivier Fillieule.

« Les forces de l’ordre, qui sont fréquemment prises à partie et victimes de violences dans le cadre de débordements qui surviennent en marge de certaines manifestations, interviennent toujours avec professionnalisme, sang-froid et discernement.« 

Le mot « toujours » semble être un peu catégorique. Tout être humain peut perdre son professionnalisme, son sang-froid et son discernement, surtout dans des situations de tensions, notamment lorsqu’il y a escalade de la violence.

« Dans des situations fréquemment difficiles, face à des enjeux multiples, les policiers et les gendarmes ont à cœur de mener à bien leur difficile mission dans le respect des personnes et avec pour souci constant la garantie de l’ordre public républicain. Il convient enfin de souligner que, pour tenir compte des nouveaux enjeux de l’ordre public, qui résultent de la violence croissante observée depuis plusieurs années dans les manifestations mais aussi des exigences accrues de communication, le ministre de l’intérieur a présenté le 11 septembre un nouveau schéma national du maintien de l’ordre. Ce schéma développe une doctrine protectrice pour les manifestants et ferme avec les auteurs de violences. Il réaffirme la priorité à l’intervention face aux auteurs de violences (notamment grâce aux armes de force intermédiaire). »

Ce nouveau schéma a suscité de nombreuses inquiétudes et interrogations, notamment auprès des journalistes.

« Mais il renforce également les conditions de la légitimité de l’action de l’Etat et les garanties du libre exercice du droit de manifester en dynamisant et modernisant les actions de communication et de prévention des tensions.« 

Une telle intention est louable.

« Il doit par ailleurs être souligné que cette nouvelle doctrine pérennise le retrait décidé en janvier 2020 des grenades lacrymogènes instantanées modèle F4, à caractère explosif en raison de leur teneur en tolite, et qui avaient un triple effet lacrymogène, assourdissant et de souffle. Elles sont désormais remplacées par la GM2L (la composition explosive que l’on trouvait dans la GLI F4 est dans cette munition remplacée par une simple composition pyrotechnique). »

La composition « pyrotechnique » remplaçant la composition « explosive » ne semble pas avoir un effet final extrêmement différent. Ceci a été documenté sur des sites dédiés et relayé par la presse.

Les Carabineros du Chili ont tiré 193.000 cartouches lacrymogènes et lancé 45.000 grenades lacrymogènes pendant la Révolte Sociale.

par Diego Ortiz

10/10/2020

Grenade lacrymogène CS et cartouche lacrymogène CS 37 mm

Les deux moyens de dissuasion – utilisés plus de 238 mille fois entre Octobre 2019 et Mars 2020 – ont comme principale agent actif le composé chimique CS qui, selon une étude scientifique française publiée par INTERFERENCIA (https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de), génère par son métabolisme du cyanure dans l’organisme. A titre de comparaison, c’est 1.200% de plus que lors des manifestations à Hong Kong pendant lesquelles, sur une durée de six mois également, 16.000 cartouches ont été percuté.

D’Octobre à Mars, les Carabineros du Chili ont utilisé 193.000 fois leurs carabines lacrymogènes de 37 millimètres et ont fait exploser 45.000 grenades lacrymogènes. Au total, ils ont utilisé cette dissuasion chimique 238 mille fois en 183 jours, selon les informations fournies par l’Institution Carabineros de Chile grâce à la loi sur la transparence. (Consultez ici la réponse de Carabineros de Chile à la demande d’information d’INTERFERENCE concernant l’utilisation de gaz lacrymogène).

Ces chiffres, bien que vertigineux, ne sont pas facile à appréhender. Pour mettre les choses en perspective, au cours de ces six mois d’Octobre à Mars, les Carabineros ont utilisé en moyenne 1.300 armes lacrymogènes par jour. En comparaison, la police de Hong Kong, selon le média chinois The Standard, a tiré 16.000 cartouches de gaz CS en six mois, 12 fois moins que les 193.000 tirs des Carabineros au cours de la même période. (Consultez l’article en anglais du média chinois The Standard, intitulé 2.393 étudiants arrêtés depuis Juin; 16.000 cartouches de gaz lacrymogène tirées: https://www.thestandard.com.hk/breaking-news/section/3/138217/2,393-students-arrested-since-June;-16,000-rounds-of-tear-gas-fired).

Le mois qui a vu le plus de gaz lacrymogène dispersé dans les rues chiliennes a été celui d’Octobre 2019, malgré le fait que les manifestations massives n’ont commencé que le 18 de ce mois. A partir de cette date et pendant seulement deux semaines, 61.024 cartouches de 37 mm ont été utilisé et 17.022 grenades à main ont été lancé soit en moyenne un peu moins de 5.500 agents de dissuasion chimiques par jour (la moyenne n’est pas exacte car il y a eu des manifestations où les gaz ont été utilisés à moindre échelle, principalement contre les lycéens). 

Le mois de Novembre a connu un niveau similaire d’utilisation des cartouches de lacrymogènes, avec 60.082 tirs, mais  une baisse pour les grenades avec 5.253 unités lancées. 

Ensuite, jusqu’en Mars 2020, les Carabineros ont effectué une moyenne mensuelle de 18.208 tirs de carabine et 5.739 jets de grenades lacrymogènes.

Il est à noter que les deux armes chimiques contiennent du gaz CS – le chlorobenzylidène malononitrile -, un composant responsable des irritations et qui selon une étude française publiée par INTERFERENCIA se métabolise dans l’organisme en un composé chimique hautement toxique et potentiellement mortel, le cyanure.

Outre la toxicité que cet agent chimique implique tant pour les manifestants que pour les habitants des rues ou des places où ils sont utilisés – un risque aussi encouru par les forces de l’ordre eux-mêmes d’ailleurs – l’utilisation aveugle des cartouches à gaz de 37 mm représente également un risque mortel immédiat pour quiconque se trouvant sur sa trajectoire. Le cas de Fabiola Campillai en est un exemple : alors qu’elle se rendait au travail à la société Carozzi, Fabiola Campillai a été frappé en plein visage par une cartouche de gaz lacrymogène de calibre 37 tiré par un Carabineros. Les conséquences pour elle : perte de la vue, de l’odorat et du goût. Elle a dû subir plusieurs interventions chirurgicales en raison de ses blessures et séquelles, la dernière en date le mercredi 16 septembre 2020, près d’un an après que les Carabineros lui aient enlevés trois de ses cinq sens.

Les informations obtenues par cette rédaction s’ajoutent à celles qui ont été découvertes par CIPER Chile, qui grâce à la loi sur la transparence a obtenu le relevé d’utilisation des cartouches en plomb/caoutchouc en Octobre, Novembre et Décembre. En seulement trois mois, l’institution a tiré 152.000 fois avec ses fusils antiémeutes – chiffre atteignant même les 104.000 tirs au cours des deux premières semaines de la Révolte -, causant des blessures aux yeux à 340 personnes entre le 18 octobre et fin novembre 2019. (Consultez l’article de CIPER, Carabineros révèle qu’il a été tiré 104 mille balles au cours des deux premières semaines de la Révolte Sociale : https://www.ciperchile.cl/2020/08/18/carabineros-revela-que-disparo-104-mil-tiros-de-escopeta-en-las-primeras-dos-semanas-del-estallido-social/).