Les habitants de Plaza Dignidad accusent les tribunaux de ne pas les protéger contre l’utilisation aveugle de gaz lacrymogènes

D. Ortiz / J. Riffo / F. Velásquez le 10/01/2021

https://interferencia.cl/sites/default/files/styles/article/public/unnamed.png?itok=a41Chasf&c=8108ec73ce751315a29763450d0b7783

Les habitants des quartiers de Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes ont déposé des recours en protection devant la Cour d’Appel de Santiago contre les tirs de gaz toxiques en quantité abusive dans leurs secteurs. Ces recours ont tous été rejeté par la justice.

Le 29 décembre 2019, un groupe de voisins appartenant à ce qu’on appelle « l’Axe de la Dignité » – qui comprend les quartiers de Parque Forestal, Lastarria, Bellas Artes et les secteurs entourant la zone qui concentre les manifestations depuis la révolte sociale – a déposé un recours en protection contre les Carabineros du Chili et le ministère de l’Intérieur pour sauvegarder les garanties constitutionnelles.

Dans le texte, les plaignants ont indiqué qu’ils étaient « tous des résidents du quartier de Lastarria, Bellas Artes et Parque Forestal de Santiago, un quartier qui, au fil des ans, bien qu’il soit devenu l’un des principaux centres touristiques, gastronomiques et culturels de la ville, conserve encore une importante composante résidentielle, abritant une importante communauté de résidents qui ces jours-ci et après la révolte sociale que connaît notre pays depuis le 18 octobre dernier, a été particulièrement touchée dans sa vie quotidienne en raison de l’utilisation aveugle par les forces de l’ordre, de gaz lacrymogènes, de gaz poivré et d’autres substances qui ont gravement porté atteinte à notre intégrité physique et mentale, ainsi qu’à celle de nos enfants, de nos familles et de nos animaux domestiques ».

L’appel a été accepté mais finalement débouté en mars 2020 par la Septième Chambre de la Cour d’Appel de Santiago, rejetant les arguments des voisins et constatant que « l’occurrence de quelques faits concrets et spécifiques qui équivaut à une affectation des garanties constitutionnelles des appelants n’est pas démontrée, car il n’a pas été suffisamment justifié que, lors des manifestations, il y ait eu un comportement qui, directement, individuellement et spécifiquement, pourrait signifier une atteinte, dans le degré de privation, de perturbation ou de menace, à leurs droits, à l’intégrité physique ou psychologique, à l’inviolabilité du domicile et au droit de vivre dans un environnement exempt de toute contamination ».

La fin de non-recevoir des tribunaux à la demande des habitants de réduire et de contrôler l’utilisation des gaz toxiques dans le secteur n’est pas nouveau. Selon eux, ce recours était l’un des rares à avoir été traité par les tribunaux, d’autres n’ayant même pas été acceptés.

« Nous faisons ici appel à une garantie constitutionnelle de vivre dans un environnement exempt de pollution. Légalement, l’émission systématique d’un produit chimique dans l’environnement nécessite une étude d’impact environnemental, basée sur les éléments connus qui constituent ce type de bombe lacrymogène. Ce que nous soutenons, c’est que le problème était l’utilisation du gaz sans discernement et hors protocole », a déclaré Angello Retamal à Interferencia, l’un des voisins qui a participé à l’action en justice.

En effet, comme notre média l’a rapporté il y a quelques semaines, la récurrence de l’utilisation de cette arme chimique dissuasive dans cet endroit a également fait l’objet d’enquêtes internationales.

Le 20 décembre dernier, Interferencia a révélé une étude menée par l’agence de recherche Forensic Architecture, basée à Londres. Une équipe multidisciplinaire de 12 experts a mesuré la concentration de gaz CS – l’agent irritant des gaz lacrymogènes – sur la Plaza Dignidad lors de manifestations qui ont eu lieu le 20 décembre 2019. En une minute donnée, les concentrations sur le site ont dépassé 135 fois la limite fixée par les Carabineros pour l’utilisation du gaz dans leur « Manuel d’Opérations pour le Contrôle de l’Ordre Public ». De plus, le niveau enregistré de la substance chimique irritante dépassait 27 fois le niveau que les instituts de santé américains qualifient « d’immédiatement dangereux pour la vie et la santé » (Immediately Dangerous to Life and Health).

(https://www.gazlacrymo.fr/2020/12/21/lacrymogenes-lancees-sur-la-plaza-dignidad-une-enquete-anglaise-a-enregistre-des-concentrations-135-fois-superieures-a-la-limite-etablie-par-les-carabineros-du-chili/ )

Parmi les effets nocifs du gaz CS, il a été mis en évidence la production de cyanure dans l’organisme, ce qui représente « un facteur de risque majeur pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux et le système gastro-intestinal » selon une recherche scientifique française menée par le docteur en biologie moléculaire, Alexander Samuel, et le président de l’Association française de toxicologie chimique, le Dr André Picot (https://www.gazlacrymo.fr/2020/09/18/daniel-soto-au-chili/).

En outre, de nombreuses études internationales ont montré que le gaz CS, lorsqu’il est utilisé par des canons à eau – et donc mélangé à de l’eau – produit des brûlures sur la peau. Des recherches militaires et civiles menées en Australie, aux États-Unis, en Uruguay, au Japon et en France, entre autres, concluent que l’irritant chimique est capable de provoquer des brûlures plus ou moins graves sur le corps humain. (https://interferencia.cl/articulos/evidencia-cientifica-global-muestra-que-gas-cs-usado-por-guanaco-causa-quemaduras-en-la).

Irací Hassler, conseillère municipale (PC) de Santiago, habitante du secteur touché et actuelle candidate à la mairie, a déclaré à ce journal numérique que « des gaz toxiques entrent dans nos appartements même les jours où il y a très peu de gens qui manifestent. Au lieu d’un dialogue ou d’une forme de dissuasion, le cas échéant, ils affectent l’ensemble du quartier, sans aucune proportionnalité. C’est ce que nous avons essayé de rendre visible, sans une réponse favorable des autorités et malheureusement sans un bon accueil de la part de la justice ».

Hassler a ajouté qu’« il y a un mal-être chez de nombreux habitants, certains ont même migré hors du quartier. Il existe une incertitude permanente quant au moment où les forces spéciales arriveront pour réprimer d’une manière qui ne nous permet pas de vivre normalement notre quotidien. Quand nous allons marcher et que soudain il y a un énorme déploiement de bombes lacrymogènes ou de canons à eau, cela provoque un stress qui affecte la santé mentale des habitants du quartier, cela en raison de l’état de belligérance constant. Et nous sommes également attentifs aux conséquences que l’exposition à ces gaz peut avoir sur la santé des membres de notre communauté ».

Entre les gaz lacrymogènes

Récemment, le groupe de voisins « El Barrio Que Queremos » qui réunit le secteur du Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes, a mené une enquête auprès de la communauté afin de connaître la situation sanitaire et environnementale de ses membres, entre Novembre et Décembre 2020.

En considérant des éléments tels que l’état de la flore et de la faune du quartier, la situation en matière de santé physique, la situation en matière de santé mentale, le sentiment de sécurité et les informations personnelles pour les statistiques, les résultats ont montré une nette tendance à imputer l’utilisation de gaz toxiques par les Carabineros aux changements de la flore et de la faune du secteur et à la santé physique et mentale des habitants.

Elena Stephen, présidente de « El Barrio Que Queremos », a déclaré à Interferencia que « les gens ont commenté que les plantes étaient en train de mourir. Quatre animaux de compagnie sont morts, parce qu’ils ont été emmenés au Parque Forestal et ont été intoxiqués par les résidus de poudre lacrymogène. Nous avons eu des diagnostics médicaux d’intoxication au gaz, nous avons dû prendre des médicaments pour nous soulager. Les voisins âgés ont choisi de laisser leur maison à leurs proches tous les vendredis afin de ne pas être là lorsque la répression des Carabineros commence. Il en va de même pour les enfants, de plus en plus de parents décident de quitter le quartier pour protéger leurs enfants qui, depuis Septembre, doivent être enfermés chaque vendredi.

Pour sa part, Hector Juan Vergara, président du conseil de quartier 1 de Santiago Parque Forestal, qui s’étend de la Plaza Dignidad à la colline de Santa Lucia, entre Alameda et le fleuve Mapocho, nous a dit que « c’est un gros problème pour nous. Les pathologies déclenchées par le gaz lacrymogène sont des problèmes respiratoires et même des problèmes gastriques. Compte tenu de l’âge avancé de nos voisins, la grande quantité de gaz que nous devons supporter les place en danger, voir un danger vital. Nous avons de nombreux voisins qui souffrent de maladies sous-jacentes, ce qui rend ce scénario plus complexe ».

Vergara ajoute que « nous avons envoyé des lettres et tenu des réunions avec des conseillers municipaux, des maires entres autres, pour leur faire comprendre à quel point nous voyons de manière négative les actions des Carabineros et nous n’avons eu aucune réponse. Les actions de la police sont disproportionnées par rapport au nombre de personnes qui manifestent, même lorsqu’il y a moins de manifestants, la répression est maintenue et s’est même accrue dernièrement ».

                                                Photo : https://www.nomaslacrimogenas.com

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