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Nouveau protocole des Carabineros au Chili : Moins de produits chimiques et d’éléments mécanisés ; plus d’eau, d’infanterie et de caméras vidéo.

El Mercurio
Presse écrite
Édition National, Cahier C, page 6
Vendredi 14 Mai 2021
De Lorena Cruzat

Les nouvelles mesures s’inscrivent dans le cadre du plan de modernisation de la police, a déclaré le sous-secrétaire à l’Intérieur Juan Francisco Galli : « Tout un changement a été opéré dans les moyens mis à la disposition des Carabineros.

« Cela montre que le processus de réforme des Carabineros est en cours, qu’il se fait à travers différentes mesures. Il s’agit en partie de traduire les enseignements tirés apprises en procédures formelles. Transformer ce que nous avons appris au cours de ces mois de contrôle de l’ordre public en un protocole qui permet aux citoyens d’avoir l’assurance que ce sont les règles que suivront les Carabineros lors de ce type de contrôle ».

De cette manière, le sous-secrétaire de l’Intérieur, Juan Francisco Galli, confirme l’élaboration du nouveau protocole concernant le contrôle de l’ordre public sur lequel la police en uniforme, ainsi que le gouvernement et d’autres organismes tels que l’INDH et le Médiateur des Enfants, travaillent depuis plusieurs mois. Le document réglementera les procédures policières en cas de manifestations, de troubles et d’actes de violence sur la voie publique.

Les tactiques ne sont plus les mêmes. Les Carabineros devront désormais utiliser moins de produits chimiques – comme les gaz lacrymogènes tirés par des carabines ou par des véhicules motorisés – et d’éléments mécanisés – comme les véhicules utilisés pour disperser les manifestants.

Au lieu de cela, le nouveau protocole prévoit une plus grande utilisation de l’eau pour contrôler les débordements, le déploiement d’un plus grand nombre de fantassins et d’agents à pied, et l’utilisation de caméras pour enregistrer les preuves qui peuvent appuyer les arrestations effectuées sur le terrain, comme les images utilisées cette semaine pour condamner trois personnes à des peines de prison pour avoir lancé des cocktails Molotov pendant la crise sociale.

Selon M. Galli, « des progrès ont été réalisés en ce qui concerne les équipements de sécurisation des preuves, qui permettent d’identifier, de filmer et de photographier ceux qui commettent des crimes graves dans le cadre d’une manifestation, afin que les preuves puissent être présentées au tribunal ».

Cinq semaines sans incident

Pour le sous-secrétaire de l’Intérieur, ces changements portent déjà leurs fruits. « L’un des axes prioritaires de la réforme est précisément le contrôle de l’ordre public et cela a impliqué une série de changements qui ont été apportés par les Carabineros à la manière dont il est contrôlé et qui ont probablement eu un impact puisque depuis plus de cinq semaines nous n’avons pas eu d’incidents sur la Plaza Baquedano. Cela a déjà commencé au début de l’année 2020, lorsqu’un changement a été opéré dans les moyens mis à la disposition des Carabineros, en leur fournissant plus de canons à eau : une tactique différente », explique Galli.

Et il ajoute que « lorsqu’il y a des manifestations dans des zones de propriété publique nationale,
la police informe des endroits qui peuvent être utilisés à cette fin, de sorte qu’une manifestation légitime puisse être clairement distinguée des actions violentes qui ne devraient pas être permises et qui constituent des délits. Des progrès ont donc également été réalisés dans ce domaine.

Suggestions de l’INDH et du Bureau du Médiateur des enfants

Alors que le directeur général des Carabineros, Ricardo Yáñez, assure que « pour tout le monde, ce doit être une énorme satisfaction que le centre de Santiago ait pu revenir à une vie normale. La situation a touché de nombreuses personnes, de nombreuses familles, de nombreuses entreprises et a affecté le développement normal de la capitale de notre pays », il ajoute que « les mesures qui ont été adoptées ont eu un certain effet. En ce qui concerne le contrôle de l’ordre public, nous sommes en train de nous restructurer depuis un certain temps déjà, non seulement en ce qui concerne l’administration des unités, mais aussi en ce qui concerne les aspects logistiques, les tactiques et les stratégies opérationnelles qui sont utilisées pour faire face au phénomène du désordre public à Santiago ».

Yáñez affirme que « la partie renseignement a été grandement renforcée, pour pouvoir anticiper, en fonction de la lecture de l’information qui se trouvait dans les sources ouvertes et en surveillant celles qui avaient une plus grande véracité, en fonction de l’appel à la manifestation, pour pouvoir définir le type d’événement qui allait se développer et déployer nos ressources en conséquent ».

En Mars, les Carabineros ont lancé une stratégie de « renforcement de l’infanterie » avec davantage de troupes à pied pour empêcher les manifestations violentes de pénétrer dans le quartier de la Plaza Baquedano.

Concernant le nouveau cadre d’action en matière de maintien de l’ordre public, il explique « qu’un protocole a été élaboré en mars 2019 et que, plus tard en 2020, un réajustement a été apporté à ce document, notamment dans l’utilisation du fusil anti-émeute. Il y a maintenant l’incorporation de nouveaux éléments pour le contrôle de l’ordre public, liés à la nouvelle stratégie d’utilisation des moyens que nous avons et qui doivent être pris en compte dans un manuel d’opérations, qui est d’ailleurs en plein développement ».

Les modifications portent, par exemple, sur les « éléments mécanisés qui utilisent le spray au poivre ». Le directeur général conclut que « tous les éléments évalués par différentes organisations, telles que l’INDH et le bureau du Médiateur des Enfants, seront incorporés dans ce manuel d’opérations ».

Citation :

« Tous les éléments évalués par les différentes agences, comme l’INDH (Institut National des Droits de l’Homme) et le Bureau du Médiateur de l’Enfance, sont incorporés dans ce manuel d’opérations qui doit être construit une fois que les protocoles seront définitivement approuvés ».

Ricardo Yáñez

Directeur général des Carabineros

« L’un des axes prioritaires de la réforme est précisément le contrôle de l’ordre public et cela a impliqué une série de changements apportés par les carabiniers à la manière dont il est contrôlé ».

Juan Francisco Galli

Sous-secrétaire d’État à l’Intérieur

F. J. Newman, analyste canadien de renseignements criminels : « Les Carabineros sont une force de police incontrôlée et leur destin est de disparaître ».

par Roberto Bruna12 février, 2021   

Voici le diagnostic d’un professionnel chilien, membre de l’une des plus prestigieuses forces de police du monde, qui rend compte des lacunes des Carabineros. Ce citoyen chilieno-canadien fournit aussi une série de recommandations pour créer une nouvelle force de police, probante, efficace, compétente et respectée par les citoyens.

La fin du système de double rang hiérarchique, la création d’un conseil d’administration de la police indépendant qui intègre les organisations sociales et la création d’une unité de relations communautaires semblent être trois actions indispensables dans cette entreprise.

Reforma a Carabineros de Chile

Il a été curieux de voir les officiers des Carabineros distribuer des bâtons à la volée lors des manifestations qui ont accompagné la révolte sociale. L’obsession des bombes lacrymogènes et un penchant malsain à tabasser des personnes non armées lui ont montré que la police chilienne en uniforme avait peu changé depuis les années 1970, lorsqu’il a quitté le pays, étant jeune. « Il s’est avéré qu’il s’agissait essentiellement de la même police de la dictature, et c’est grave », dit-il. « Saviez-vous que dans la ville où je travaillais, l’une des plus grandes d’Amérique du Nord, une seule fois une bombe lacrymogène a été utilisée ? Juste une fois. Et ce n’est arrivé qu’une fois, et la police a averti par mégaphone avant de tirer », dit-il.

Cette curiosité initiale s’est transformée en surprise lorsqu’il a appris l’utilisation aveugle des armes anti-émeutes, dont l’usage est strictement interdit dans les manifestations de rue dans le pays où il est devenu policier. La surprise se transforme en horreur lorsqu’il apprend les cas de Fabiola Campillay et de Gustavo Gatica (rendus aveugles par les tirs de la police NDT) ou le cas d’un jeune homme écrasé par deux véhicules policiers.

Sans parler des coups atroces qui ont laissé un jeune homme de Maipú dans un état quasi végétatif. Tout l’étonnement qui l’a accompagné s’est transformé en indignation totale lorsqu’il a vu un officier des forces spéciales jeter d’un pont un adolescent dans la rivière Mapocho, plusieurs mètres plus bas.

INDH valoró como
Gustavo Gatica
Fabiola Campillay

Les choses ont empiré lorsqu’il a vu à la télévision comment deux policiers et un garde municipal se sont causé des blessures plus ou moins graves par leurs propres tirs croisés, tout cela au milieu d’une procédure visant à arrêter un « motochorro » à Providencia (digne d’un film comique selon lui…). Puis il a commencé à ressentir un étrange sentiment de tristesse. Et la pertinence de l’adjectif « étrange » est due au fait que, bien que le tableau invite à l’amertume et à l’inquiétude, à la longue, il a eu envie de rire, ce qui est plus ou moins ce que nous ressentons chaque fois que nous assistons à un spectacle pathétique, hilarant, extrêmement ridicule, « comme cette conférence de presse dans laquelle un général a dit que les troupes des forces spéciales utilisent du Mentholum pour lutter contre les effets des gaz lacrymogènes (alors qu’elles étaient soupçonnées de « sniffer » de la cocaïne :

« C’est incroyable le manque de modestie en ces temps de transparence qu’entraînent les réseaux sociaux. Des choses comme tirer sur des enfants dans une maison d’enfants est quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant. J’étais stupéfait », dit l’analyste des renseignements de la police.

« Dans le contexte de la révolte sociale, nous avons vu des choses terribles, mais aussi beaucoup de choses déroutantes, très mystérieuses, des actes qui auraient dû être étudiés et clarifiés. Mais rien de tout cela ne se produit, car il est clair que personne ne contrôle les Carabineros. Au contraire, le gouvernement est tellement affaibli qu’il semble devoir son maintien au pouvoir aux Carabineros », déclare FJ. Newman, dont le CV fait état de plus de 20 ans d’expérience dans l’unité d’analyse des renseignements criminels de l’une des plus grandes forces de police du Canada.

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Le Président Piñera et le nouveau directeur de Carabineros Yañez.

La police chilienne en uniforme doit partir

Les événements récents l’ont convaincu : « La police chilienne en uniforme doit tout simplement disparaître parce qu’elle est déjà morte, et elle doit faire place à une autre police, avec un autre uniforme. Mais surtout, il faut que ses membres apprennent les valeurs démocratiques d’une société du XXIe siècle », dit-il.

    « Ce qui est urgent, c’est d’assumer que cette force de police est moralement en faillite aux yeux des citoyens, des citoyens qui la considèrent comme un ennemi et comme une partie du problème. Il est clair que les Carabineros sont perçus comme une institution qui fait partie du vieux Chili, le Chili dont ils ne veulent plus jamais entendre parler. Il n’y a pas de police efficace et performante lorsqu’elle est rejetée par le peuple. C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas d’autre option que de créer une nouvelle force de police dans les cinq ans », dit-il.

Et il ajoute : « Dans la première étape, les deux coexisteront. Il y aura une force de police émergente et une autre qui sera progressivement supprimée au fur et à mesure que la nouvelle force de police augmentera en taille. Cette force doit être formée de manière très différente, de manière plus professionnelle, avec une approche différente de ce que signifient la démocratie et la protestation sociale. Ce qui semble très rare dans un pays aussi autoritaire et oligarchique que le Chili.

El Soberano : C’est-à-dire qu’il faut leur apprendre ce que signifie vivre en démocratie. À partir de là…

– Exactement. Exactement, parce qu’il est clair qu’ils ne le comprennent pas, et c’est clair quand on voit les mauvais traitements infligés aux gens dans le cadre de la protestation sociale. Il suffit de se souvenir de ces images de Valparaíso où des officiers des Carabineros frappent des personnes qui descendent au plan pour exercer leur droit légitime de protester.

Nous devons leur faire comprendre qu’ils sont là pour protéger les citoyens même lorsqu’ils décident de descendre dans la rue pour protester. Au Canada, c’est comme ça : la police protège les manifestants, s’assure que personne ne les attaque, qu’ils ne les écrasent pas. Il faut apprendre aux nouveaux policiers que manifester n’est pas une mauvaise chose et que, au contraire, cela fait partie de la démocratie, et d’une démocratie saine en plus. Au Canada, nous préférons même qu’ils brûlent les voitures de police afin de pouvoir y canaliser leur énorme indignation. C’est mieux que de mettre le feu aux transports publics, n’est-ce pas ? C’est là que réside l’un des problèmes des Carabineros : leur entraînement militaire.

E.S. : L’armée est-elle en conflit avec le concept de démocratie ?

–           Bien sûr. C’est un problème grave parce que les militaires ont tendance à croire que les sociétés doivent fonctionner comme un régiment, et la société n’est pas un régiment: il y a des civils, des gens de différentes confessions, avec des visions du monde différentes, idéologiquement et culturellement différents, d’âges différents, avec des points de vue très différents, avec des goûts et des préoccupations divergents et souvent contradictoires ; certains sont supporteurs de Colo Coloet d’autres de la Chile (Clubs de footbal rivaux – NDT) … Carabineros est, en ce sens, une force de police archaïque et problématique dans une société qui se dit démocratique et libérale. À moins, bien sûr, que nous ne déclarions être une dictature ou une ploutocratie. Dans ce cas, oui ; les Carabineros sont l’institution appropriée pour maintenir un ordre dictatorial.

E. S. : En Espagne, ce que vous me dites s’est produit : avec le retour à la démocratie, après la mort de Francisco Franco, la Garde civile, police militaire très semblable aux Carabineros, a dû céder son espace dans les grandes villes à une nouvelle Police nationale et à d’autres forces de police autonomes au Pays basque et en Catalogne. Aujourd’hui, le rôle de la Guardia Civil se limite aux bâtiments publics, aux autoroutes et aux petites villes…

– Ce pourrait être une formule à envisager. Mais il y a un problème supplémentaire : tous les éléments formés dans les Carabineros ne pourront pas être recyclés dans une nouvelle force de police, et la raison en est qu’ils sont formés dans une culture d’abus et d’impunité. Certains, une minorité des 60 000 officiers de l’institution, pourront faire partie du nouveau corps, mais ils seront très peu nombreux. Ce qui se passe, c’est qu’il y a beaucoup de dommages accumulés. D’autre part, la police d’investigation (PDI) a effectué cette transformation à temps, au début des années 1990, et a pu se sauver elle-même. On remarque que ses éléments sont mieux formés et préparés, même s’ils devraient encore faire partie de la réforme car nous devons insister sur le respect de la civilité et des droits de l’homme. Cependant, le cas des Carabineros est encore plus grave. En ce sens, il serait bon d’uniformiser les processus de formation et d’éducation de la police entre le PDI et le nouveau corps.

E. S. : La marque des Carabineros a-t-elle été à ce point dévaluée ?

– Totalement. Beaucoup de gens disent que les Carabineros sont une force de police corrompue, abusive, cruelle, non professionnelle, inefficace, incompétente et tout le reste. Je préfère dire que les Carabineros sont une police amateur, qu’elle est complètement hors de contrôle et que son inexorable destin n’est autre que de disparaître pour le bien de la démocratie et de la République. En ce qui concerne le cas spécifique du jeune jongleur de Panguipulli,

je peux seulement dire qu’il s’agit d’une affaire importante et que pas beaucoup de policiers canadiens hautement professionnels pourraient partager l’idée de légitime défense, soutenue par l’avocat du policier. Mais, indépendamment du cas spécifique, il est évident qu’une partie importante de la population – la majorité, je dirais – en a assez des Carabineros, de leurs abus et de leur impunité, et à ce titre, ils sont a priori contre la police dès qu’ils apprennent un événement aussi controversé et regrettable que celui-ci. Cet acte immédiat de condamnation est un symptôme de cette rupture, et cette rupture est définitive. Bien sûr, des efforts devront être faits pour sauver les agents qui travaillent dans des groupes hautement spécialisés, comme le GOPE, par exemple, dont la formation est coûteuse et complexe. Nous arrivons ici à un autre élément qui affecte l’efficacité de la police chilienne en uniforme, et c’est quelque chose d’aussi simple que son double rang hiérarchique. C’est incroyable qu’une telle chose existe dans le monde d’aujourd’hui.

Les effets du double classement

E. S. : Ce qui se passe également dans l’Armée…

–           C’est de la folie. C’est inconcevable à notre époque. La première chose est que cette odieuse division entre officiers et sous-officiers va à l’encontre du principe méritocratique que les politiciens et les hommes d’affaires chiliens affectionnent tant. Mais deuxièmement, et c’est le plus important, ce système pervers réserve les postes de direction à ceux qui ont les moyens de payer, qui sont ceux qui seront formés à l’école des officiers des Carabineros. Au fond, et d’un point de vue de classe, nous disons à la société dans son ensemble que ceux qui dirigent l’institution sont ceux dont les parents ont de l’argent et des contacts. Et que se passe-t-il alors ? Eh bien, l’institution reproduit le regard oligarchique de ceux qui la dirigent, et ce regard imprègne toute la base.

La police devient une garde prétorienne de ceux qui sont nés avec le privilège du berceau. Si les Carabineros sont maladroits et incompétents, c’est parce qu’ils ne sont pas dirigés par ceux qui ont de meilleures idées ou qui sont mieux formés. C’est pourquoi, en Amérique du Nord, il n’existe pas de double échelon hiérarchique. Il faut que cela cesse maintenant parce que c’est nocif.

E. S. : Les secteurs les plus conservateurs défendront ce double système de hiérarchie au sein de la Convention constituante.

–           Je suis sûr qu’ils le feront, mais c’est compréhensible au vu de la défense naturelle du privilège. Il est important de préciser que cette incompétence, ces abus, cette vision classiste des Carabineros, n’est pas une coïncidence, mais est le produit d’une conception délibérée des élites pour créer une force de police qui, en fait, est orientée pour se protéger en ordonnant le territoire. Les hommes politiques au pouvoir et les hommes d’affaires ont une police pour eux et seulement pour eux.

E. S. : Comment cela ?

– Bien sûr. Que dit la devise des Carabineros ? « Ordre et patrie ». Bien sûr, l’ordre est compris comme le contrôle de l’espace public face à ces Chiliens qui sont moins chiliens que ceux qui font partie des secteurs les plus riches du Chili. Il ordonne le territoire en disant à l’enfant à l’air pauvre qu’il ne doit pas se promener dans Las Condes et Vitacura (quartiers riches de Santiago). Il ordonne le territoire en refusant la circulation de ceux qui protestent, manifestent et exigent une action de l’État. Souvent, la police détermine quels crimes sont commis et lesquels ne le sont pas, ceux sur lesquels elle ferme les yeux et ceux qu’elle ne commet pas.

Il est incroyable de voir combien de membres des Carabineros ont le sentiment de faire partie des privilégiés simplement parce qu’ils agissent pour protéger les privilégiés. Beaucoup doivent se sentir importants dans leur démonstration de pouvoir. Il y a une question de reconnaissance dans tout cela.

E. S. : Cela explique-t-il pourquoi un carabinero jetterait un manifestant d’un pont ? (référence à un politique d’extrême droite qui disait qu’un jeune des quartiers pauvres n’avait pas à manifester au centre de Santiago – NDT)

– Je suis très frappé par la défense de ce policier, qu’il se soit embrouillé, qu’il soit devenu nerveux et tout ça. Un policier anti-émeute ne peut pas déraper dans des tâches visant à contrôler le désordre de la rue ! C’est pour ça qu’ils sont formés ! Pourquoi sont-ils allés à l’académie de police alors ! Ainsi, en étant moins naïf, on en arrive inévitablement à la conclusion que l’accent n’est pas mis sur la pacification ou le rétablissement de l’ordre, mais sur la discipline et la punition. Les Carabineros ne sont là que pour punir les pauvres et protéger les riches et les politiciens. Rien d’autre. Je regarde les infos et je vois les forces spéciales qui tirent des gaz lacrymogènes et des jets d’eau… Et ils n’en tirent aucun résultats ! Tout cela est inutile ! Pour couronner le tout, je vois des rapports sur l’utilisation d’agent chimique dans l’eau des guanacos (canons à eau). Il est évident qu’il y a quelque chose de très mal dans cette institution. Un changement de gouvernance et de direction semble donc essentiel.

E. S. : Qui devrait contrôler les Carabineros ?

– Les Carabineros ne peuvent pas être sous le contrôle du ministère de l’intérieur, car la tentation de la gestion politique de ses cadres est très grande. La nouvelle police ne peut être placée sous le contrôle d’un ministère, mais d’un conseil composé de citoyens et d’organisations sociales, ainsi que de représentants politiques et autres. Au Canada, c’est comme ça. Les citoyens et les organisations ont une voix et un vote au sein de ce conseil. Ce conseil est une entité indépendante. Je ne sais pas si cette indépendance est commode ou non, mais je peux vous assurer que l’indépendance de la police doit être totale par rapport aux autorités et au cycle politique. Total.

E. S. : En Amérique du Nord, la police dépend des municipalités.

–           Bien sûr, et le président du conseil est généralement le commissaire du maire, la personne que le maire délègue pour représenter le conseil. Le commissaire est presque toujours un ancien officier de police avec une énorme connaissance territoriale et opérationnelle, très professionnel, un expert avec une connaissance du sujet et de tout ce qui est lié à la ville. Ainsi, comme il possède d’énormes connaissances techniques, il est généralement la figure qui dirige le conseil. Mais il existe des exceptions à la règle, ce qui montre que ce ne sont pas toujours d’anciens policiers qui président ces conseils. Il dépend de la qualité du projet qu’il présente, qui peut être d’une durée de trois, cinq ou dix ans, et ce mandat peut être prolongé ou révoqué en fonction des résultats.

E. S. : Et la gestion de l’argent ? Dans les Carabineros, il y a des officiers qui ont ramené chez eux plus de 28 milliards de pesos (malversations pour plus de 40 Millions d’euros – NDT).

– Autre point essentiel : la nouvelle police ne doit avoir aucun pouvoir de décision ni d’ingérence dans la gestion financière de l’institution. Zéro. La police ne doit pas entrer en contact avec l’argent, mais doit présenter ses besoins matériels et logistiques pour remplir sa tâche efficacement, en justifiant par des chiffres toutes ses demandes et exigences, mais rien de plus. Et puis le conseil prendra une décision. Les chefs de police ne doivent pas manipuler les ressources financières de quelque nature que ce soit, ni même entrer dans cette discussion. C’est un gros risque. Autre chose : les fautes de la police doivent faire l’objet d’une enquête par un organe indépendant de la police et du conseil. De même, une force de police ne peut être efficace si elle consacre une grande partie de ses ressources à des guerres qu’elle n’a aucune chance de gagner.

E. S. : Vous voulez dire la guerre contre la drogue ? Nous avons dépensé une quantité infinie de ressources pour une stratégie prohibitionniste sans obtenir de résultats positifs.

– Il est prouvé que cette stratégie est un échec. J’ai bien étudié ce sujet, et je connaissais très bien la guerre contre la drogue que Richard Nixon a commencée en 1970 avec le Drug Prevention and Control Act et que (Ronald) Reagan a intensifiée aux États-Unis avec son Anti-Drug Abuse Act, qui a réussi à réduire le trafic mais avec un coût social énorme, car cela s’est fait au prix de la persécution des pauvres et de la criminalisation des personnes de couleur, ce qui est la façon que beaucoup ont trouvée pour les empêcher d’exercer leur droit de vote. Qu’est-ce que le Mexique a réalisé avec la guerre contre la drogue que Felipe Calderón a commencée ? Rien, sauf qu’il a réussi à renforcer les cartels et obtenir 300 000 morts environ. Peu à peu, au Canada, nous avons commencé à réaliser que le problème de la drogue est un problème de santé, et non un problème de police. La première chose que le Chili devrait faire est de légaliser la consommation et la vente de cannabis.

E. S. : La fameuse loi 20.000…

– C’est un non-sens. Il s’agit essentiellement d’une guerre contre les pauvres. Le contrôle d’identité est également un moyen de contrôler les personnes pauvres. Tout le reste n’est qu’un ramassis de conneries. C’est une action extrêmement inefficace et dangereuse car elle se prête aux abus. Le problème ne réside pas dans les utilisateurs ou les petits trafiquants, mais dans les mafias qui sont « en amont ». Le Chili devrait mettre en place un système comme celui que le Canada a créé en 1976, le Système automatisé de renseignements sur la criminalité (SARC), qui est une plateforme en ligne. Cette base de données est le National Intelligence Repository, qui doit être utilisé par tous les membres des services de renseignements criminels, pour coopérer à la collecte d’informations, à l’évaluation et à l’analyse des activités criminelles. Il n’y a rien de tout cela dans ce pays. Il suffit de regarder ce qui se passe en Araucania (Territoire Mapuche – NDT), où personne ne sait qui est derrière les incendies de camions et des biens agricoles.

E. S. : Mais ils disent que le contrôle d’identité est efficace pour arrêter les criminels qui recherchés par la justice…

– Encore un autre non-sens. L’objectif de chaque force de police dans le monde est la prévention de la criminalité. C’est-à-dire que le moins de crimes possible soient commis dans mon quartier, dans ma ville et dans mon pays dans son ensemble. L’accent ne doit pas être mis sur la recherche efficace de la responsabilité de ceux qui commettent des crimes, mais sur la prévention de leur survenance, et la première étape consiste à commencer à combler les écarts sociaux. Nous devons comprendre que l’inégalité est pernicieuse car elle corrompt les démocraties et menace la paix sociale, et dans ce cadre les sociétés ne peuvent pas se développer ou prospérer.

Sur cette question, nous avons un autre besoin impératif en tant que pays : la nouvelle force de police doit disposer d’une division des relations communautaires. Tout comme elle dispose d’une division antiterroriste et d’intervention spéciale comme le GOPE, d’une division anti-émeute, d’une préfecture d’aéropolice, etc.

E. S. : Et quel est le travail de cette division des relations communautaires au sein de la police canadienne ?

– Dans chaque commissariat, il y a cette unité composée de policiers qui sont en relation avec les citoyens, avec les organisations communautaires, avec les conseils de quartier, avec les voisins eux-mêmes, et qui écoutent leurs plaintes, leurs problèmes, leurs angoisses… Au Chili, les gens vont au commissariat et laissent un dossier ou une plainte et il ne se passe jamais rien. C’est juste une connerie de témoignage. Pas au Canada, car cette division a l’obligation de traiter cette énorme quantité de données pour guider son action préventive. Pour faire partie de cette division, il faut avoir des caractéristiques très particulières et être éduqué. Beaucoup ont fait des études de troisième cycle en anthropologie, sociologie, psychologie sociale, etc.

E. S. : Mais au Chili, il y a un problème : la dictature a rayé de la carte la dimension communautaire de la vie, au point que les conseils de quartier sont presque inexistants, ce qui empêcherait la création de ce lien entre la communauté et les forces de police qui contribuerait à prévenir la criminalité. En d’autres termes, il n’y a pas de tissu social.

– Mais attention, la nouvelle police peut contribuer à reconfigurer ce tissu social, et cela peut se produire tant que les citoyens remarquent qu’il s’agit d’une police différente, avec de nouveaux protocoles, avec un nouveau look qui est en accord avec l’idée d’une société diverse et complexe. Cela va bien au-delà d’un plan de quartier.

De temps en temps, F. J. Newman vérifie son téléphone pour obtenir des informations et des données pour étayer ses opinions. Dans la dernière partie de l’interview, il fixe l’appareil et dit : « Regardez ça », tout en montrant l’écran, où l’on peut lire le titre d’un média national rapportant le dernier joyau des Carabineros : deux policiers abandonnent un homme mourant juste à côté du service de médecine légale à Calama (Nord du Chili),. « On a toujours dit que les Carabineros ne pouvaient pas faire plus. Mais cette police va toujours un cran plus bas », conclut-il. 

Les habitants de Plaza Dignidad accusent les tribunaux de ne pas les protéger contre l’utilisation aveugle de gaz lacrymogènes

D. Ortiz / J. Riffo / F. Velásquez le 10/01/2021

https://interferencia.cl/sites/default/files/styles/article/public/unnamed.png?itok=a41Chasf&c=8108ec73ce751315a29763450d0b7783

Les habitants des quartiers de Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes ont déposé des recours en protection devant la Cour d’Appel de Santiago contre les tirs de gaz toxiques en quantité abusive dans leurs secteurs. Ces recours ont tous été rejeté par la justice.

Le 29 décembre 2019, un groupe de voisins appartenant à ce qu’on appelle « l’Axe de la Dignité » – qui comprend les quartiers de Parque Forestal, Lastarria, Bellas Artes et les secteurs entourant la zone qui concentre les manifestations depuis la révolte sociale – a déposé un recours en protection contre les Carabineros du Chili et le ministère de l’Intérieur pour sauvegarder les garanties constitutionnelles.

Dans le texte, les plaignants ont indiqué qu’ils étaient « tous des résidents du quartier de Lastarria, Bellas Artes et Parque Forestal de Santiago, un quartier qui, au fil des ans, bien qu’il soit devenu l’un des principaux centres touristiques, gastronomiques et culturels de la ville, conserve encore une importante composante résidentielle, abritant une importante communauté de résidents qui ces jours-ci et après la révolte sociale que connaît notre pays depuis le 18 octobre dernier, a été particulièrement touchée dans sa vie quotidienne en raison de l’utilisation aveugle par les forces de l’ordre, de gaz lacrymogènes, de gaz poivré et d’autres substances qui ont gravement porté atteinte à notre intégrité physique et mentale, ainsi qu’à celle de nos enfants, de nos familles et de nos animaux domestiques ».

L’appel a été accepté mais finalement débouté en mars 2020 par la Septième Chambre de la Cour d’Appel de Santiago, rejetant les arguments des voisins et constatant que « l’occurrence de quelques faits concrets et spécifiques qui équivaut à une affectation des garanties constitutionnelles des appelants n’est pas démontrée, car il n’a pas été suffisamment justifié que, lors des manifestations, il y ait eu un comportement qui, directement, individuellement et spécifiquement, pourrait signifier une atteinte, dans le degré de privation, de perturbation ou de menace, à leurs droits, à l’intégrité physique ou psychologique, à l’inviolabilité du domicile et au droit de vivre dans un environnement exempt de toute contamination ».

La fin de non-recevoir des tribunaux à la demande des habitants de réduire et de contrôler l’utilisation des gaz toxiques dans le secteur n’est pas nouveau. Selon eux, ce recours était l’un des rares à avoir été traité par les tribunaux, d’autres n’ayant même pas été acceptés.

« Nous faisons ici appel à une garantie constitutionnelle de vivre dans un environnement exempt de pollution. Légalement, l’émission systématique d’un produit chimique dans l’environnement nécessite une étude d’impact environnemental, basée sur les éléments connus qui constituent ce type de bombe lacrymogène. Ce que nous soutenons, c’est que le problème était l’utilisation du gaz sans discernement et hors protocole », a déclaré Angello Retamal à Interferencia, l’un des voisins qui a participé à l’action en justice.

En effet, comme notre média l’a rapporté il y a quelques semaines, la récurrence de l’utilisation de cette arme chimique dissuasive dans cet endroit a également fait l’objet d’enquêtes internationales.

Le 20 décembre dernier, Interferencia a révélé une étude menée par l’agence de recherche Forensic Architecture, basée à Londres. Une équipe multidisciplinaire de 12 experts a mesuré la concentration de gaz CS – l’agent irritant des gaz lacrymogènes – sur la Plaza Dignidad lors de manifestations qui ont eu lieu le 20 décembre 2019. En une minute donnée, les concentrations sur le site ont dépassé 135 fois la limite fixée par les Carabineros pour l’utilisation du gaz dans leur « Manuel d’Opérations pour le Contrôle de l’Ordre Public ». De plus, le niveau enregistré de la substance chimique irritante dépassait 27 fois le niveau que les instituts de santé américains qualifient « d’immédiatement dangereux pour la vie et la santé » (Immediately Dangerous to Life and Health).

(https://www.gazlacrymo.fr/2020/12/21/lacrymogenes-lancees-sur-la-plaza-dignidad-une-enquete-anglaise-a-enregistre-des-concentrations-135-fois-superieures-a-la-limite-etablie-par-les-carabineros-du-chili/ )

Parmi les effets nocifs du gaz CS, il a été mis en évidence la production de cyanure dans l’organisme, ce qui représente « un facteur de risque majeur pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux et le système gastro-intestinal » selon une recherche scientifique française menée par le docteur en biologie moléculaire, Alexander Samuel, et le président de l’Association française de toxicologie chimique, le Dr André Picot (https://www.gazlacrymo.fr/2020/09/18/daniel-soto-au-chili/).

En outre, de nombreuses études internationales ont montré que le gaz CS, lorsqu’il est utilisé par des canons à eau – et donc mélangé à de l’eau – produit des brûlures sur la peau. Des recherches militaires et civiles menées en Australie, aux États-Unis, en Uruguay, au Japon et en France, entre autres, concluent que l’irritant chimique est capable de provoquer des brûlures plus ou moins graves sur le corps humain. (https://interferencia.cl/articulos/evidencia-cientifica-global-muestra-que-gas-cs-usado-por-guanaco-causa-quemaduras-en-la).

Irací Hassler, conseillère municipale (PC) de Santiago, habitante du secteur touché et actuelle candidate à la mairie, a déclaré à ce journal numérique que « des gaz toxiques entrent dans nos appartements même les jours où il y a très peu de gens qui manifestent. Au lieu d’un dialogue ou d’une forme de dissuasion, le cas échéant, ils affectent l’ensemble du quartier, sans aucune proportionnalité. C’est ce que nous avons essayé de rendre visible, sans une réponse favorable des autorités et malheureusement sans un bon accueil de la part de la justice ».

Hassler a ajouté qu’« il y a un mal-être chez de nombreux habitants, certains ont même migré hors du quartier. Il existe une incertitude permanente quant au moment où les forces spéciales arriveront pour réprimer d’une manière qui ne nous permet pas de vivre normalement notre quotidien. Quand nous allons marcher et que soudain il y a un énorme déploiement de bombes lacrymogènes ou de canons à eau, cela provoque un stress qui affecte la santé mentale des habitants du quartier, cela en raison de l’état de belligérance constant. Et nous sommes également attentifs aux conséquences que l’exposition à ces gaz peut avoir sur la santé des membres de notre communauté ».

Entre les gaz lacrymogènes

Récemment, le groupe de voisins « El Barrio Que Queremos » qui réunit le secteur du Parque Forestal, Lastarria et Bellas Artes, a mené une enquête auprès de la communauté afin de connaître la situation sanitaire et environnementale de ses membres, entre Novembre et Décembre 2020.

En considérant des éléments tels que l’état de la flore et de la faune du quartier, la situation en matière de santé physique, la situation en matière de santé mentale, le sentiment de sécurité et les informations personnelles pour les statistiques, les résultats ont montré une nette tendance à imputer l’utilisation de gaz toxiques par les Carabineros aux changements de la flore et de la faune du secteur et à la santé physique et mentale des habitants.

Elena Stephen, présidente de « El Barrio Que Queremos », a déclaré à Interferencia que « les gens ont commenté que les plantes étaient en train de mourir. Quatre animaux de compagnie sont morts, parce qu’ils ont été emmenés au Parque Forestal et ont été intoxiqués par les résidus de poudre lacrymogène. Nous avons eu des diagnostics médicaux d’intoxication au gaz, nous avons dû prendre des médicaments pour nous soulager. Les voisins âgés ont choisi de laisser leur maison à leurs proches tous les vendredis afin de ne pas être là lorsque la répression des Carabineros commence. Il en va de même pour les enfants, de plus en plus de parents décident de quitter le quartier pour protéger leurs enfants qui, depuis Septembre, doivent être enfermés chaque vendredi.

Pour sa part, Hector Juan Vergara, président du conseil de quartier 1 de Santiago Parque Forestal, qui s’étend de la Plaza Dignidad à la colline de Santa Lucia, entre Alameda et le fleuve Mapocho, nous a dit que « c’est un gros problème pour nous. Les pathologies déclenchées par le gaz lacrymogène sont des problèmes respiratoires et même des problèmes gastriques. Compte tenu de l’âge avancé de nos voisins, la grande quantité de gaz que nous devons supporter les place en danger, voir un danger vital. Nous avons de nombreux voisins qui souffrent de maladies sous-jacentes, ce qui rend ce scénario plus complexe ».

Vergara ajoute que « nous avons envoyé des lettres et tenu des réunions avec des conseillers municipaux, des maires entres autres, pour leur faire comprendre à quel point nous voyons de manière négative les actions des Carabineros et nous n’avons eu aucune réponse. Les actions de la police sont disproportionnées par rapport au nombre de personnes qui manifestent, même lorsqu’il y a moins de manifestants, la répression est maintenue et s’est même accrue dernièrement ».

                                                Photo : https://www.nomaslacrimogenas.com

Le premier lanceur automatique de gaz lacrymogène

L’émergence des armes à gaz

Les premières expériences d’utilisation des « gaz lacrymogènes » au service de la police et de l’armée ont été réalisées en France, au début du XXe siècle. Dans la lutte contre le gang anarchiste de Jules Joseph Bonnot (1876-1912), qui a dévalisé des banques dans toute la France, la police et l’armée se sont engagées, équipées d’armes classiques, ce qui a causé des décès et la destruction des abris du gang. Suite à ces expériences, le préfet de la police parisienne, Louis Jean-Baptiste Lépine, 1846-1933, fonde le 26 mai 1912 la Commission Spéciale, chargée de « trouver les moyens de neutraliser les bandits dangereux et les fous ».

Louis Lepin Préfet de la Police de Paris en 1912

La commission était composée d’un membre de l’Institut Pasteur, d’un membre de l’Académie de médecine, du directeur du Laboratoire municipal de Paris, André Kling (1872-1947), d’un officier au service technique de l’ingénierie, et des chefs des laboratoires municipaux, ainsi que de Lépine lui-même. La commission a proposé que les forces de la brigade spéciale de la police judiciaire soient équipées d’armes chimiques à base de « gaz lacrymogène », qui n’auront pas « d’effets d’étourdissement ou de mort ». Sur la base de ces propositions, la police a formé la « Brigade des gaz », dissoute en 1939.

Le premier système de lancement de grenade à main – la bombe British Mills avec une barre et le fusil SMLE

La commission a utilisé les résultats de recherches militaires antérieures. Dès novembre 1905, le Comité et la Direction de l’Artillerie de l’armée française formèrent une commission secrète pour étudier « les gaz non soumis aux clauses de la Convention de La Haye », remplis de gaz toxiques et interdits.

La première bombe lacrymogéne française M1913

Parmi les substances proposées, la commission militaire en a testé une trentaine, dont le bromoacétate d’éthyle, connu depuis 1850 pour ses propriétés irritantes. En 1909, la Commission d’ingénierie (Génie) a également expérimenté des dispositifs à diffusion de gaz. L’attention se concentre principalement sur deux types de grenades à main et un pistolet de lancement à cartouche à gaz de 26 mm.

Paris organisa des démonstrations et des exercices en septembre 1913, après quoi la «brigade du gaz» fut entraînée à neutraliser les forcenés. En 1912, la commission de Lépine de la Préfecture de Police de Paris opta également pour ce gaz, le bromoacétate d’éthyle pour les criminels barricadés et la dispersion des rassemblements de masse et des manifestations. Devant le succès de l’équipement, la direction centrale du génie des équipements (l’Établissement central du matériel du Génie) décide le 8 juillet 1913 de fournir à l’armée française des grenades à main suffocantes (le terme gaz lacrymogène commence à être utilisé seulement en 1915) à principe explosif, fabriqué selon le modèle utilisé par la police. Le corps de la bombe était en fine feuille de laiton et la pulvérisation de 19 cm³ de bromoacétate d’éthyle était réalisée sous l’influence de l’onde de choc d’une explosion d’une petite quantité de charge de poudre à canon ou de détonateur. L’armée française a d’abord utilisé des bombes suffocantes (gaz lacrymogène) le 14 août 1914 en Alsace contre l’armée allemande, mais sans grand succès, car elle n’a pas réussi à atteindre une concentration de gaz suffisamment efficace à l’air libre.

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Général Amos Fries, Commandant du US Chemical Warfare Service.

Immédiatement après la tentative d’agir avec du gaz, des histoires sur « un nouvel explosif liquide français, la turpinite (ou Turpenite) » sont apparues dans les journaux alliés. Mais la « turpinite » a été inventée par la presse sensationnaliste. La substance aurait été « trouvée » par le chimiste français François Eugène Turpin (1848-1927), et a été reconnue par son odeur forte et désagréable. Des équipes médicales allemandes, dirigées par des équipes de médecins réputés, ont déterminé sur place en Alsace qu’il n’y avait pas de victimes du gaz « mortel ». En outre, des experts, tels que Fritz Haber, un pionnier allemand dans le développement et l’utilisation de poisons de guerre, ont découvert que l’odeur désagréable était causée par une combustion incomplète de l’acide picrique utilisé dans le chargement des obus d’artillerie. Néanmoins, les Allemands ont immédiatement utilisé les nouvelles des journaux de boulevard opposés à des fins de propagande, rapportant qu’un grand nombre de leurs soldats avaient été tués lors de l’attaque française par des moyens interdits par la Convention de La Haye. Néanmoins, dès octobre de la même année, les Allemands ont répondu à Neuve Chapelle avec des obus d’artillerie remplis de lacrymateur connu sous le nom de « Croix Blanche » (Weißkreuz, Weißkreuzkampfstoff). Cela a ouvert un cercle infernal d’utilisation de poisons de guerre de plus en plus meurtriers, qui a fait un grand nombre de victimes des deux côtés et a laissé des milliers de personnes handicapées avec des conséquences terribles.

Avec l’American Expeditionary Corps (AEF), en 1917, l’officier du génie Amos Alfred Fries (1873-1963) est venu sur le front occidental. À ce moment-là, le 15 août 1917, les Américains formèrent une section offensive du service des gaz au sein de l’AEF, qui comprenait le 30e régiment du génie chargé des gaz et des lance-flammes (13e régiment du génie – Gaz et flammes, 13). Juillet 1918 renommé le 1er régiment de poisons de guerre – 1er régiment de gaz). Amos Fries a été désigné pour être le commandant d’une division du régiment. Fasciné par l’effet des gaz de combat, il est devenu l’un des plus fervents défenseurs de leur utilisation, c’est pourquoi, en 1919, il a été promu commandant de la division d’outre-mer du Chemical Warfare Service. Lorsque le commandant du US Chemical Warfare Service (CWS), le général William Luther Sibert (1860-1935), prit sa retraite en 1920, Amos Fries fut nommé à sa place. Au même moment, à 60 km de Baltimore, à Edgewood, l’armée américaine entame la construction de l’Arsenal pour la production et les essais d’armes à gaz (Edgewood Arsenal), plus tard partie de l’Aberdeen Proving Ground voisin, où, le 24 février 1920 , il a été incorporé et le 1er régiment de poisons de guerre.

L’affaire Bonus Army

Après les expériences des vétérans de tous les belligérants et après avoir informé le public des terribles conséquences de l’utilisation des gaz de guerre, le grand public a élevé la voix contre leur utilisation après la Grande Guerre.

Un brevet pour le lance-grenades à plusieurs jets de Manville

Mais l’Amérique et l’Europe ont été saisies par la Grande Dépression, qui a conduit à des protestations massives de chômeurs et à des grèves de travailleurs mécontents. Les protestations des partisans du renforcement des droits des femmes, les protestations des anciens combattants mécontents de la Grande Guerre, mais aussi les émeutes dans les colonies de toute l’Afrique se sont intensifiées. Il arrive souvent que les forces de l’ordre public ne puissent s’opposer aux manifestations de masse. Entre-temps, des « gaz lacrymogènes » plus avancés tels que le CS – Chlorobenzalmalonodinitrile (chlorobenzalmalononitrile), le CR – Dibenzoxazépine ou Algogen (dibenzoxazépine) et le CN – Chlorure de phénacyle (chlorure de phénacyle ou Chloroacétophénone) ont été développés, ainsi qu’un lance-grenades à main plus efficace. Par principe, les politiciens, le complexe militaro-industriel et les officiers conservateurs, dirigés par Amos Fries, ont constamment préconisé l’utilisation de gaz «non létaux» en temps de paix. Il est intéressant de noter que les héros ultérieurs de la Seconde Guerre mondiale, tels que George Smith Patton Jr., 1885-1945 et Douglas MacArthur (1880-1964), se sont également démarqués en tant que partisans de l’utilisation des gaz, tandis que le dernier commandant du débarquement de l’opération en Normandie et le président des États-Unis, Dwight David « Ike » Eisenhower (1890-1869), était opposé à la fois à la lutte contre les anciens combattants – camarades de la Grande Guerre, et à l’utilisation du gaz contre les civils. Cependant, la propagation du «spectre du communisme» a permis aux participants à toutes les manifestations, en particulier les grèves ouvrières, d’être déclarés «agitateurs communistes et ennemis de l’État», de sorte que les opposants à l’utilisation du gaz en temps de paix se sont tus. Les partisans de l’utilisation des « gaz lacrymogènes » ont reçu une impulsion particulière après plusieurs applications « réussies » d’armes chimiques, dont la plus célèbre est la dissolution de la « Bonus Army ».

Au début de la quatrième décennie du 20e siècle, il y a eu de grandes manifestations aux États-Unis par des vétérans de la Grande Guerre, qui ne recevaient pas les bonus habituels, et qui faisaient partie de familles d’anciens combattants depuis le 18e siècle. Le nombre de manifestants est rapidement passé à 37 000 alors que 17 000 anciens combattants ont été suivis par leurs familles. Cette messe, appelée la « Bonus Army », campa à la périphérie de Washington à l’été 1932 et protesta quotidiennement dans les rues de la capitale. Les services de renseignement auraient appris que les communistes avaient une influence croissante sur les protestants, de sorte que le 28 juillet 1932, le procureur général des États-Unis, William DeWitt Mitchell (1874-1955), a ordonné leur expulsion de la ville elle-même. Sur ordre du chef de la police de la capitale, le surintendant Pelham Glasford (Pelham Davis Glassford, 1883-1959), également vétéran de la Grande Guerre, la police a poussé les manifestants dans un camp à la périphérie et a tiré sur la foule, tuant deux vétérans. . Par la suite, le président des États-Unis, Herbert Clark Hoover (1874-1964), a ordonné au secrétaire à la guerre Patrick Jay Hurley (1883 -1963) de disperser complètement les masses. La gestion de l’opération a été confiée au chef d’état-major général de l’armée américaine, Douglas McArthur. Des troupes, dans l’action contre les membres de la « Bonus Army », le deuxième escadron du 3e régiment de cavalerie était directement engagé avec des sabres tirés et un peloton de 6 chars légers Renault M1917 sous le commandement du major George Patton, 3e bataillon 12e régiment d’infanterie, avec baïonnettes montées sur fusils, sous le commandement du lieutenant-colonel Louis Albert Kunzig (1882-1956) et du personnel de la 16e brigade d’infanterie du district militaire de Washington, stationné à Fort Mead. Les chars et l’équipement ont été livrés de Fort Myer, où se trouvaient le quartier général du 3e régiment de cavalerie et le centre de formation pour la répression des émeutes publiques (pendant la Grande Guerre – le centre d’entraînement à la guerre des tranchées).Ces troupes étaient directement commandées par le commandant de la 16e brigade, le général Perry Miles (Perry Lester Miles, 1873-1961) et le chef d’état-major général, Douglas McArthur. La première attaque contre les vétérans a été menée avec des bombes à «gaz lacrymogène», ce qui les a désorientés, de sorte que tout le mouvement a été rapidement dissous et la capitale a été «libérée du siège».

À cette époque, la police utilisait des bombes chimiques pour une utilisation à courte distance (jusqu’à 50m), tandis que pour de plus longues distances (80-100m), ils utilisaient des pistolets et des fusils (militaires, avec le principe du lancement avec l’ajout, comme pendant le Grand Guerre, « fusils de chasse »). ‘Calibre 12 avec munitions 18,5 × 70 mmR et spéciales, calibre 26,5 ou 37 mm). Des projectiles remplis de gaz étaient activés par un thermogénérateur ou un explosif.

Le premier multi-lanceur

Le premier bombardier polyvalent a été construit en 1935 par Charles J. Manville. Par l’intermédiaire du cabinet d’avocats Elmer LeGrand Goldsmith (1891-1950), Ralph G.Lockwood (1890-2009) et Dwight B.Galt, il a reçu le brevet américain n ° 7 par décision du 7 décembre 1937. 2,101,148.

Multilanceur de Manville

Le «fusil» à coups multiples de Melville n’avait pas de crosse et était une arme semi-automatique de type revolver. La base de la construction était un tambour lourd qui, pour chaque coup, à l’aide d’un ressort en spirale, tournait par un étui de cartouche dans la main d’une araignée dans le sens des aiguilles d’une montre. Le ressort, en passant, est «remonté» à nouveau lors du chargement de l’arme.

En 1938, Manville avait lancé 12 fusils (18,5×70 mmR), 26,5 mm et 37 mm.

Lanceur système Manville calibre 12 (18,5×70 mmR)

Le lanceur Manville original de 1935 était en acier et en aluminium, avec un tambour d’une capacité de 24 cartouches de calibre 18,5×70 mmR, qui était entraîné par un ressort d’horloge en spirale; avant utilisation, le tambour devait être «enroulé» en le tournant dans le sens antihoraire. Le pistolet se composait d’un canon en acier de 280 mm de long, d’un tambour en aluminium, d’un cadre en acier monobloc avec une poignée de pistolet avant, ainsi que d’une poignée arrière en bois. Pour charger l’arme, il était nécessaire de dévisser les deux vis sur le rail supérieur, qui démontaient le lanceur en deux parties: l’avant, qui formait la poignée avant et le tambour, et l’arrière – la plaque de couverture arrière du tambour et la poignée en bois.

Vue prespective du lanceur de Manville

Le percuteur était activé en tournant et en appuyant sur le bouton à l’arrière de l’arme (selon le sens de rotation, le percuteur était sécurisé ou libre).

Chaque étui de cartouche avait sa propre aiguille de frappe «volante» à l’arrière. Lorsque la détente était tirée « sur la première dent », le percuteur se coinçait, et en tirant sur la détente jusqu’au bout, le percuteur était libéré et agissait sur le front de l’aiguille de la chambre qui était à ce moment dans son axe.

L’arme de Manville a été utilisée pour la premiére fois par le général Daniel Depre

Les lanceurs de 18,5 mm font partie des rares armes Manville utilisées lors des émeutes publiques. Pendant la grève générale à Terre Haute, Indiana, en 1935, le gouverneur du comté de Vigo, Paul Vories McNutt (1891-1955), a appelé la Garde nationale de l’Indiana à l’aide. Garde nationale de l’Indiana). Le mardi 23 juillet, 1 023 soldats sont arrivés dans la ville sous le commandement du général de brigade Daniel Wray DePrez (1884 – 1967). Le lendemain, il y a eu un affrontement entre 600 soldats et 2 000 sympathisants du syndicat, au cours duquel les soldats ont utilisé pour la première fois des lanceurs multiples, tirant des grenades à «gaz lacrymogène» sur la foule.

Projecteur de machine (projecteur de machine) calibre manville 26,5 mm

L’année suivante, 1936, Manville conçoit un lanceur d’une capacité de 18 cartouches lumineuses, fumigènes ou CS de calibre 26,5x80mmR. Un canon de 248 mm de long a été placé sur l’arme et il n’a pas été possible de lancer des grenades explosives car le tambour était faible pour résister à des pressions plus élevées de cette munition. Pour permettre au tireur de mieux résister à la secousse lors du tir, la poignée arrière en bois a été remplacée par celle en caoutchouc dur. De plus, ce modèle différait en ce qu’il utilisait une longue tige métallique à deux dents et une poignée, similaire à l’obturateur prolongé d’un fusil militaire standard. La barre tournait et se déplaçait axialement à l’aide d’une poignée, passant à travers les anneaux à l’avant et à l’arrière de l’arme, et elle était utilisée pour verrouiller le lanceur. A savoir, les dents de la barre, après avoir poussé le levier vers l’avant et l’abaissé, sont entrées dans les encoches des anneaux et ont ainsi verrouillé le système. En tirant cet obturateur vers l’arrière, la partie avant de l’arme était libérée, la plaque circulaire de protection devant le tambour pouvait tourner vers la gauche et libérer les ouvertures, à partir desquelles l’opérateur sortait les douilles fissurées et inséra de nouvelles munitions.

Canon à gaz de 37 mm de Manville

En 1938, Manville a développé un lanceur de munitions à gaz, éclairage et fumigène à douze canons 37×127 mmR spécialement pour la police. Le constructeur avait à l’esprit que l’arme était utilisée pour des actions indirectes (chemin d’insertion du projectile) et il a déplacé le canon vers la partie inférieure du cadre – devant le magasin de munitions le plus bas. Mais le fusil avait une masse si grande qu’il ne pouvait être utilisé qu’à partir d’un trépied spécialement construit, il était donc peu pratique à utiliser.

Le Manville dans le film de 1980 Dogs of war

En raison de mauvaises ventes, la production des trois modèles Manville a été interrompue en 1943. Il semblait qu’il tomberait complètement dans l’oubli. Mais la situation va changer après la Seconde Guerre mondiale, notamment lors du développement du programme américain NINBLICK, des lance-grenades revolver se développent, proches de la solution de Manville. Par exemple, il s’agit de grenades revolver sud-africaines / américaines 40×46 mm MGL Milkor et russes 40 mm RG-6 / 6G30 Gnome ou RBGR 40/6 mm M07 domestiques. Et seule la solution futuriste de Manville des années 1930 n’a pas été oubliée: en 1980, John Irvin a réalisé le film The Dogs of War dans le roman de 1974 de Frederick Forsyth à qui Christopher Walker utilise cette arme.

RBG domestique 40mm-6-M11 israélo-américain 40x46mm M32 MGL Milikor,gnome russe 40mm 6G30

Merci a Urlos Bogdanovic

Lacrymogènes lancées sur la Plaza Dignidad : Une enquête anglaise a enregistré des concentrations 135 fois supérieures à la limite établie par les Carabineros du Chili

Une étude née de demande des riverains

Par Diego Ortiz, le 20/12/2020, publié par Interferencia.cl

Carte d’accumulation de gaz CS sur la Plaza Dignidad.
Source: Forensic Architecture médico-légale

L’agence londonienne Forensic Architecture a mesuré l’accumulation de gaz CS le 20 décembre 2019. Les concentrations ont parfois également dépassé de 27 fois le niveau décrit comme étant «un danger immédiat pour la vie et la santé».

Il y a exactement un an, lors de la manifestation du 20 décembre 2019 s’inscrivant dans le cadre de la révolte sociale qui a débuté le 18 octobre 2019, les Carabineros ont lancé 594 grenades lacrymogènes CS (Ortochlorobenzolmalononitrile) sur les manifestants de la Plaza Dignidad, chiffre auquel s'ajoute l'utilisation constante des voitures tactiques lanceuses de gaz.

A la demande de l'organisation No + Lacrimógenas (Stop aux Lacrymogènes) - une association de quartier de la zone Zéro des manifestations dont l'objectif est de rendre visible les conséquences de l'utilisation de cette arme chimique sur leur santé - l'agence de recherche Forensic Architecture (FA), basée à la Goldsmiths University de Londres, a mesuré la concentration de gaz dans ce secteur.

INTERFERENCIA reproduit ci-dessous - et en parallèle à la publication de l'étude par Forensic Architecture (F. A.) - les résultats obtenus par l'agence anglaise. Son travail multidisciplinaire consiste en la réalisation d’enquêtes sur les violations des Droits de l'Homme dans le monde du fait de la violence des États, de la police, des armées ou encore des entreprises. (Voir le site Forensic-architecture.org)

La vidéo publiée par Forensic Architecture
https://vimeo.com/492560553 (Anglais)
https://vimeo.com/492143215 (Espagnol)

Les découvertes de F.A. sont dramatiques : le 20 décembre 2019, des concentrations de 54 mg / m3 de gaz CS ont été enregistrées sur la Plaza Dignidad, soit 135 fois la limite d'exposition de 0,4 mg / m3 établie par les Carabineros eux-mêmes pour son utilisation dans un tel contexte ; voir le « Manuel des opérations pour le contrôle de l'ordre public» de l'institution, révélé par Ciper Chili (traduction : https://www.gazlacrymo.fr/2020/11/29/le-manuel-interne-des-carabineros-reconnait-des-risques-eleves-pour-la-sante-causes-par-lutilisation-intensive-de-gaz-irritants/)

De plus par moment les concentrations sont 27 fois supérieures aux 2 mg / m3 que le National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) et l'Occupational Safety and Health Administration (OSHA) reconnaissent comme étant immédiatement dangereux pour la vie et la santé (en abrégé IDLH). Dans son manuel, Carabineros du Chili, reconnaît également ce chiffre comme une concentration immédiatement dangereuse. (Vérifiez l'IDLH de 2 mg / m3 pour l'agent irritant CS : https://www.cdc.gov/niosh/npg/npgd0122.html).
Tableau des concentrations moyennes de gaz CS. Source : F. A.

Les effets néfastes du composant chimique utilisé par les Carabineros et les autres forces de police du monde entier ont été étudiés par différents scientifiques dans différents pays. INTERFERENCIA a déjà publié le travail de recherche du français Alexander Samuel, docteur en biologie moléculaire et du Dr André Picot, président de la Société Française de Toxicologie (https://www.atctoxicologie.fr/actualites/160-le-gaz-lacrymogene-cs-effets-toxiques-a-plus-ou-moins-long-terme.html) dans lequel ils informent que le gaz CS est responsable de la métabolisation dans l’organisme de molécule de cyanure, un composé chimique hautement toxique et potentiellement mortel. Parmi ses conséquences, ils mentionnent que les expositions intenses et/ou prolongées dans le temps à la substance chimique CS sont un « facteur de risque majeur pour le cerveau, le foie, les reins, les yeux et le système gastro-intestinal » des manifestants et de la police. (Consultez l’article https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de).

Par ailleurs, INTERFERENCIA a publié cette semaine une série d'études menées en France, en Uruguay, au Japon, en Angleterre et aux États-Unis qui montrent que le CS est capable de brûler la peau et encore plus fortement lorsqu'il est utilisé mélangé à l’eau des canons à eau, une pratique courante et autorisée pour les Carabineros du Chili et quelques autres polices du monde entier alors qu’interdit dans certains pays d’Europe. (Consultez l'article https://interferencia.cl/articulos/evidencia-cientifica-global-muestra-que-gas-cs-usado-por-guanaco-causa-quemaduras-en-la).

Les travaux de F.A. au Chili, réalisés par une équipe multidisciplinaire de 13 experts, révèlent de profondes lacunes dans l'utilisation et la gestion des produits chimiques qui ont de graves conséquences sur la santé des personnes qui y sont exposées.

L’enquête

En Octobre 2019, peu après le début de la révolte sociale, des habitants du quartier de la Plaza Dignidad ont décidé de se regrouper et de former No + Lacrimógenas, une organisation dont l'objectif est de rendre visibles les différentes conséquences physiques et émotionnelles sur la santé des habitants suite à « l'utilisation excessive et aveugle des gaz lacrymogènes dans les zones résidentielles ».
En tant que groupe, ils ont choisi de déposer une « action en protection » dans le but de restreindre ou d'interdire l'utilisation du gaz lacrymogène CS sur le site. Cette demande a été déclarée recevable devant la justice mais a fini par être rejetée par les tribunaux.
C'est suite à cette décision contraire que les membres de l'organisation - qui préfèrent rester anonymes après avoir subi des menaces anonymes - ont décidé de contacter Forensic Architecture, avec laquelle ils ont travaillé pendant toute une année, le temps nécessaire pour la collecte et l'analyse des données.

Des dix années d’existence de F. A., on peut citer parmi ses études majeures les travaux sur l'explosion dans le port de Beyrouth, l’étude des brutalités policières lors des manifestations de Black Lives Matter aux États-Unis ou encore l’enquête sur l'utilisation de phosphore blanc par Israël lors des attaques en Palestine.
Avec No + Lacrimógenas, ils ont décidé d'analyser la concentration de gaz CS sur la Plaza Dignidad, en retenant pour l’étude la journée du 20 décembre 2019, le jour même où deux voitures lanceuses de gaz ont écrasé un manifestant à l'intersection de l'avenue Vicuña Mackenna et de l'Alameda.
Pour ce faire, ils se sont appuyés sur Galeria Cima, un projet audiovisuel dédié à l'enregistrement, depuis un appartement adjacent à la place, des affrontements entre les manifestants et les Forces Spéciales de Carabineros. Ce 20 décembre, ils ont enregistré tout ce qui s'est passé sur la place.
Forensic Architecture a pu récupérer cet enregistrement pour ensuite cartographier et mesurer les concentrations de gaz cela grâce à la technologie disponible sur des plateformes ouvertes (Open Source Technology), aux spécifications techniques du gaz lacrymogène utilisé (données du fabricant) et à l'application des formules de la dynamique des fluides. 
F.A. a appliqué un algorithme de reconnaissance d'images qui a permis d'identifier et de positionner chaque grenade lancée sur le site (marquées d’une croix violette) donnant ainsi le total de la journée : 594 grenades lacrymogènes.
Chaque croix violette correspond à une bombe ou cartouche lacrymogène lancés à Plaza Dignidad le 20/12/2019. Source : F. A.

Entre 20h30 et 20h40, les Carabineros ont lancé 82 bombes ou cartouches lacrymogènes : c’est le moment de l’accumulation maximale du gaz. Au cours de ce laps de temps dde 10 minutes, le gaz CS rejeté dans l’environnement a atteint une moyenne 2 700 % supérieure à celle identifiée comme un danger imminent pour la vie ou la santé selon les institutions nord-américaines et 6 000 % supérieure à la limite d’exposition établie par les Carabineros.
Les experts de F.A. ont également cartographié la concentration du produit chimique dans le sol, notant que, sous l’effet du vent, sont aussi impactées les zones se trouvant à plusieurs mètres de l’endroit où les grenades ont explosé et/ou est passé le « zorrillo » (mot d’argot signifiant en réalité le putois – l’animal – qui désigne les voitures lanceuses de gaz).

Cartographie du gaz CS déposé sur le sol de la Plaza Dignidad le 20/12/2019. Source : F. A.

En conclusion, les enquêteurs londoniens indiquent que le gaz s’est également retrouvé dans le fleuve Mapocho situé près de la place Dignidad, lui qui irrigue les terres agricoles situées en aval de Santiago, transférant alors le gaz toxique dans les zones de production alimentaire.

Distance entre les industries agricoles et la Plaza Dignidada. Source : F.A.

L’enquête s’achève en citant une plainte déposée par la Commission chilienne des Droits de l’Homme contre l’Unité de Contrôle de l’Ordre Public des Carabineros pour l’utilisation illégale d’armes chimiques contre les manifestants de la place Dignidad. « Les résultats de notre enquête soutiennent et corroborent cette dénonciation, et exigent l’interdiction absolue des gaz lacrymogènes comme arme chimique », conclut-il.

Concernant les résultats de l’enquête, le Dr Samaneh Moafi, chercheur principal chez F.A. annonce dans un communiqué de presse que « l’espace urbain c’est-à-dire les ronds-points et les places – ont été cruciaux pour les révoltes de 2019 au Chili, à Hong Kong, au Liban et dans d’autres endroits encore ». Cela a été identifié par les autorités qui « pour les supprimer ont saturé l’espace aérien de produits chimiques toxiques ». Moafi explique également que « les rapports médicaux des manifestant prouvent l’impact brutal » de ces produits chimiques.

Martyna Marciniak, également chercheuse à F.A. conclut que « notre travail montre que malgré l’existence de réglementations pour l’utilisation des gaz lacrymogènes, celles-ci ne peuvent tout simplement pas être mises en œuvre de manière pratique et leur bonne utilisation ne peut pas être vérifiée sur place. En conséquence, les limites pour la concentration du gaz CS sont « largement transgressées », ajoutant que « nous avons pu démontrer […] que les niveaux de toxicité dans l’air sont très dangereux et susceptibles d’avoir des conséquences durables sur la santé des manifestants, ainsi que sur l’environnement ».

En conséquence, Marciniak demande l’interdiction de l’utilisation du gaz lacrymogène CS.

Pour leur part, les représentants de No + Lacrimógenas ont fait remarquer à INTERFERENCIA que cette analyse aux résultats alarmants montre juste l’utilisation du gaz par les Carabineros pendant une seule journée, dans un seul secteur de Santiago. « Il est urgent que, en tant que société engagée dans un processus d’écriture d’une nouvelle constitution initié par les citoyens, nous réévaluions l’utilisation des moyens répressifs dans toutes les « zones zéro » du pays : à Lo Hermida, à Antofagasta, à Providencia, à Concepción, à Santiago Centro, dans tant de cités, de villes et de secteurs, pour avoir enfin un pays qui protège la santé et le bien-être des citoyens dans l’exercice légitime de leurs droits », affirment t-ils.

L’étude d’architecture médico-légale a été réalisée avec la participation des membres de F. A. suivants : le Dr Eyal Weizman, enquêteur principal de l’affaire ; le Dr Samaneh Moafi, enquêteur et coordinateur du projet ; Martyna Marciniak et Bob Trafford.

Les experts Salvador Navarro Martinez et Anna Feigenbaum ont également participé, ainsi que les docteurs Ángeles Donoso Macaya, César Barros A., Maricela Ramírez d’AFI Woman, Camila Pérez Soto, Ignacio Farías, Francisca Benítez et Alexander Samuel.

En six points et sur deux pages: les détails du rapport de Rozas (Directeur Général de Carabineros) à Mañalich (Ministre de la Santé) sur la composition du liquide des canons à eau.

De Victor Rivera, La Tercera

17 déc.2019

Le document, publié hier par les Carabineros, détaille le rôle clé joué par le «liquide CS».

C’est par une lettre officielle que le directeur général des Carabineros, Mario Rozas, a communiqué hier avec le Ministre de la Santé, Jaime Mañalich. Au travers de six points développés sur deux pages, le chef de la police a répondu à une préoccupation soulevée par le Ministère de la Santé concernant «la composition du liquide utilisé dans les canons à eau».

Dans la lettre, qualifiée de «secrète», Rozas détaille en six points les composants du liquide utilisé dans les opérations de contrôle de l’ordre public. Depuis le début de la semaine dernière, cet élément était remis en question, car lors d’une session de la Commission sénatoriale de la Santé, des représentants du Collège Médical ont averti que certains manifestants qui avaient reçu ce liquide avaient eu ensuite des blessures à la peau.

Les interrogations sur ce sujet ont repris de la vigueur hier, lorsqu’une étude commandée par l’organisation Movimiento Salud en Resistencia – dont l’analyse a ensuite été consultée par le Collège des chimistes pharmaceutiques et biochimiques du Chili ( NDT: et disqualifié par la suite) – a constaté des traces de soude caustique dans la composition du liquide.

Et c’est dans le cadre de cette journée d’hier – au cours de laquelle Carabineros a nié que cette substance était présente dans le liquide – que la police en uniforme a adressé le rapport au ministre de la Santé.

La lettre commence par indiquer que « le liquide utilisé par les canons à eau des Carabineros se compose d’une certaine quantité d’eau et d’une autre certaine quantité d’un produit commercialisé par des entreprises spécialisées sous le nom de liquide CS  », ce dernier consistant en un liquide qui contient l’agent chimique o-chlorobenzalmalononitrile « .

Dans le deuxième point, Rozas explique que « les fournisseurs livrent le «liquide CS » avec une concentration de 12% à 15% et l’élément restant est un solvant ininflammable appelé dichlorométhane (également connu sous le nom de chlorure de méthylène) « .

Le troisième paragraphe précise que « concernant l’agent CS, il convient de noter qu’une concentration de 0,4 mg / m3 est considérée comme non nocive pour la santé humaine par la Fédération des Scientifiques Nord-Américains (FAS) et par les réglementations internationales qui réglementent les produits chimiques CS (NOICH : Institut National pour la Sécurité et la Santé au Travail), lorsqu’ils sont utilisés à l’extérieur dans des activités de lutte contre des émeutes, des manifestations hostiles ou des troubles qui altèrent l’ordre public, par du personnel de police qualifié. De plus, l’entité gouvernementale OSHA, travaillant sur la sécurité au travail et qui dépend du Département Américain du Travail, indique également 0,4 mg / m3 comme étant la concentration autorisée ».

A la fin du document, Rozas précise « qu’il est important de souligner que ces informations ont un classement « secret » conformément aux dispositions de l’article 436 N ° 3 du code de Justice Militaire, qui régit les documents secrets ou ceux dont le contenu est directement lié à la sécurité de l’État, à la défense nationale, à l’ordre public intérieur ou à la sécurité des personnes, entre autres. « 

Ce matin, dans une interview à la radio Infinita, Mañalich a expliqué qu’il avait fait cette demande aux Carabineros suite au fait que le lundi précédent, plusieurs personnes avaient déclaré des brûlures dans les hôpitaux de la capitale et l’avaient associé au liquide du canon à eau.

« Ce qu’ils décrivent, selon le directeur de l’hôpital central, est une irritation superficielle sans brûlure », a ajouté Mañalich, et a déclaré que « cette inquiétude m’a fait demander aux Carabineros quel est le contenu de cette eau? »

Le Ministre a également signalé que «le contenu irritant principal de ce liquide est ce qu’il y a dans le piment, une substance appelée capsaïcine».

Dans le rapport que lui a remis Carabineros, il a ajouté, « il n’y a aucune mention à la soude caustique ».

Le manuel interne des Carabineros reconnaît des risques élevés pour la santé causés par l’utilisation intensive de gaz irritants …

… mais il ne donne pas d’indication sur le mode opératoire (quantité et fréquence de tirs par exemple) pour que cette arme ne représente pas de réel danger.

le 20.11.2020 Par Mauricio Weibel

CIPER a accédé au document officiel de Carabineros qui cadre les actions de contrôle de l’ordre public et a pu détecter plusieurs normes ou procédures qui ne sont pas suivies par les agents sur le terrain. Dans certains cas, il n’existe même pas de mécanismes pour vérifier la conformité de l’action répressive. Le manuel indique par exemple que l’exposition aux gaz irritants de type CS, utilisés par Carabineros, génère un « danger immédiat pour la vie et la santé » lorsque sa concentration atteint 2 mg / m3. Cependant le document ne rapporte pas au bout de combien de tir de cartouche (ou grenade) ou en combien de temps il est possible d’atteindre ces niveaux. Les experts demandent un plus grand contrôle sur l’institution Carabineros pour surveiller ces aspects techniques qui ne sont pas réglementés en détail jusqu’à maintenant.

Carabineros est conscient que l’utilisation massive de dissuasifs chimiques peut causer de graves dommages à la santé. C’est indiqué dans son propre Manuel d’Opération pour le Contrôle de l’Ordre Public : « Conformément aux normes internationales NIOSH et OSHA, les limites d’exposition (aux gaz irritants de type CS) correspondent à 0,4 mg / m3. La concentration de dangerosité immédiate pour la vie ou la santé est de 2 mg / m3 », précise le document consulté par CIPER.

Bien qu’il s’agisse du manuel opérationnel par lequel toutes les actions de contrôle de l’ordre public doivent être régies, le document ne contient pas d’informations qui instruisent les fonctionnaires de police sur la quantité de tir qui peuvent être effectués dans un laps de temps donné pour éviter un niveau de concentration de gaz CS dangereux pour la santé.

CIPER a demandé aux Carabineros comment sont évalués sur le terrain les niveaux et le danger du gaz CS tiré sur les manifestants. La réponse ne spécifie pas de procédures pour mesurer l’exposition des civils ou des policiers aux produits chimiques CS et se limite à noter que les Carabineros « depuis 2013 ont des protocoles réglementés spécifiques pour le maintien de l’ordre public, qui ont été récemment mis à jour. En plus de cela, l’utilisation de dissuasifs chimiques est similaire à celle utilisée par la police dans d’autres pays et est conforme aux normes et standards internationaux ».

Le manuel ne contient pas non plus de protocoles pour évaluer l’augmentation de la toxicité dans l’air et comment cela peu affecter les habitants d’une zone constamment soumise à des gaz de ce type, comme cela s’est produit dans le secteur de la Plaza Italia (Plaza Dignidad). Tout est à la merci des critères subjectifs du chef des opérations qui est sur le terrain à ce moment-là.

Les registres des Carabineros enregistrent des cas d’utilisation intensive de dissuasifs chimiques dans lesquels les limites auraient pu être dépassées. Par exemple le 10 décembre 2019, Journée internationale des droits de l’Homme, lorsque des membres des forces spéciales ont lancé 34 grenades  contenant du gaz irritant et 369  cartouches contenant le même produit chimique à proximité de la Plaza Italia. Selon les rapports des Carabineros rendu à la justice, cet arsenal a été tiré sur les manifestants entre 16h30 et 21h45. Autrement dit, plus d’une dose de gaz irritant par minute.

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Crédits: Migrar Photo

Face à des volumes tels que ceux décrits dans le paragraphe précédent, la toxicologue Fernanda Cavieres, de l’Université de Valparaíso, soulève « la nécessité de normes juridiquement validées au Chili sur l’utilisation du gaz CS ».

Le manuel de Carabineros – plus de 200 pages – confirme qu’au Chili ce ne sont pas des gaz lacrymogènes mais des irritants qui sont utilisés. Ils sont plus puissants et provoquent « une irritation des yeux, des voies nasales et de la gorge, des pleurs, de la toux, une détresse respiratoire, une fermeture des yeux involontaires, des démangeaisons dans différentes parties du corps ».

Les instructions des Carabineros insistent sur le fait que l’utilisation de cet agent chimique, appelé Orthochlorobenzolmalononitrile (CS), doit être rationnelle et ne doit jamais être utilisé à proximité d’hôpitaux ou de centres éducatifs. Cela n’a pas non plus été respecté, comme l’a montré une vidéo enregistrée le 8 novembre 2019, dans laquelle on observe comment des membres de l’institution ont tiré des dissuasifs chimiques dans la zone d’entrée de l’hôpital Gustavo Fricke à Valparaíso.

(Source : https://elperiodicocr.com/chile-carabineros-disparan-y-arrojan-lacrimogenos-dentro-de-hospital-en-valparaiso/)

Ce document, qui est utilisé pour l’instruction du personnel des forces spéciales, indique également qu’il est interdit de pointer des carabines tirant des cartouches de gaz ou de lancer des grenades à dissuasion chimique directement sur les manifestants, chose qui n’a pas été respecté à plusieurs reprises, comme le montrent les attaques subies par Héctor Gana le 12 décembre 2019 (un mois dans le coma : https://www.ciperchile.cl/2020/02/20/obrero-que-estuvo-un-mes-en-coma-por-lacrimogena-protesto-por-lo-que-nos-falta-lo-que-nos-quitan/) et de Fabiola Campillai le 26 novembre 2019 (rendue aveugle https://www.ciperchile.cl/2020/01/27/fabiola-campillai-para-mi-no-hay-justicia-tus-ojos-no-puede-haber-nada-que-te-los-devuelva/), entre autres victimes de ces abus.

Juzgado condena por homicidio frustrado a carabinero que disparó bomba  lacrimógena a la cabeza de civil en Rancagua - La Tercera

Concernant la différence entre les normes et ce qui se passe réellement sur le terrain, la sociologue et spécialiste des questions de sécurité publique Lucía Dammert déclare : « Carabineros a réussi à établir des normes adaptées à la loi et cela est reconnu, mais le fait est que personne ne contrôle le respect de ses normes et de ses propres procédures sur le terrain » (voir l’éditorial « Les Carabineros : une institution qui (légalement) se contrôle seule » : https://www.ciperchile.cl/2020/01/30/carabineros-una-institucion-que-legalmente-se-manda-sola/).

Un exemple de cette autonomie est que la police en uniforme n’a même pas jugé utile d’informer la Cour d’Appel de Concepción (ville du Sud du Chili) du danger pour la santé du gaz CS, cela suite à « l’appel à protection » déposé par l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH), une entité qui exigeait d’interrompre l’utilisation de ces dissuasifs chimiques lors des manifestations de 2019, précisément en raison des risques liés à leur utilisation (voir la réponse des Carabineros au tribunal : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-6-Respuesta-de-Carabineros.pdf).

ÉTUDES INTERNATIONALES

Le manuel de Carabineros cite la norme NIOSH, publiée par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis, en mentionnant les niveaux de concentration de gaz de type CS qui présentent un danger immédiat pour la santé et la vie humaines. Cette norme a été élaborée à partir d’expériences développées en 1961 par l’armée américaine et précise qu’une personne ne doit pas être exposée plus de deux minutes à une concentration de 2 mg / m3.

(Voir norme https://www.cdc.gov/niosh/npg/npgd0122.html et https://www.cdc.gov/niosh/idlh/2698411.html ).

« Il a été signalé que les concentrations incapacitantes médianes variaient de 12 à 20 mg/m3 après environ 20 secondes d’exposition [U.S. Depts of Army and Air Force 1963] et qu’une exposition de 2 minutes à des concentrations comprises entre 2 et 10 mg/m3 était considérée comme « intolérable » par 6 personnes sur 15. [Army, 1961]. Dans une autre étude, 3 volontaires sur 4 exposés à 1,5 mg/m3 pendant 90 minutes ont développé des maux de tête et 1 volontaire a développé une légère irritation des yeux et du nez. Les volontaires ont trouvé que les concentrations supérieures à 10 mg/m3 pendant plus de 30 secondes étaient extrêmement irritantes et intolérables en raison de brûlures et de douleurs aux yeux et à la poitrine [Punte et al. 1963]. Des expositions supérieures à 14 mg/m3 pendant une heure ont produit une irritation extrême, un érythème et une vésication de la peau des volontaires [Weigand, 1969] », explique le CDC.

À ce propos, il convient de noter que chaque cartouche utilisée au Chili contient 23 mg de dissuasion chimique CS [remarque : il semble que ce soit davantage, 23mg par palet, or il y en a 3 par grenade].

(Voir le document classé secret de Carabineros : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-1-Ficha-gas-CS.pdf).

À titre de référence, une étude scientifique sur l’utilisation massive de gaz CS au cours des  mobilisations qui ont eu lieu à Ankara, en Turquie, a révélé que « la sécurité des produits chimiques utilisés comme agents de contrôle des masses pendant les manifestations est douteuse, car ces agents sont associés à divers risques pour la santé, et le devoir des scientifiques n’est pas de corriger ces doutes, mais d’ouvrir la voie à l’élimination de tous les facteurs qui menacent la santé humaine à leur source » (voir l’étude : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-2-Estudio-Ankara.pdf).

Une étude similaire, développée au Venezuela par le professeur Alejandro Rísquez, explique que « lorsqu’une grenade CS dissipe son gaz à l’air libre, un nuage de six à neuf mètres de diamètre est généré, concentrant une densité plus élevée au centre de jusqu’à 5000 mg / m3 qui se dispersent en périphérie. Les concentrations sont beaucoup plus élevées dans les espaces clos et potentiellement mortelles au-dessus de 50 000 mg / m3 dans 50 % des cas » (voir l’étude : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-3-Estudio-Venezuela.pdf).

De plus, une analyse publiée dans Annals of the New York Academy of Sciences a révélé que « l’exposition aux gaz lacrymogènes produit un large spectre d’effets sur la santé, y compris ceux de types aigus et chroniques » (voir l’étude : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-4-Estudio-EEUU.pdf). « Des effets respiratoires ont également été observés chez les résidents des zones où des gaz lacrymogènes ont été tiré, ce qui suggère que les agents de gaz lacrymogènes posent un danger persistant pour la santé », a ajouté l’étude des chercheurs Craig Rothenberg, Satyanarayana Achanta, Erik Svendsen et Sven-Eric Jordt. Bien qu’ils admettent qu’il n’y a pas d’études approfondies sur ce sujet, ils soulignent tout de même qu’il y a des cas de lésions oculaires permanentes et des cas de décès massifs, comme cela s’est produit avec 37 détenus dans une prison du Caire, en Égypte, en 2013 (voir le rapport de la BBC : https://www.bbc.com/news/world-middle-east-26626367).

« Les preuves tirées des quelques études épidémiologiques disponibles et des études de cas précis montrent que le gaz lacrymogène peut causer de graves dommages et est une menace en particulier pour certaines populations potentiellement plus vulnérables comme les enfants, les femmes et les personnes touchées par des morbidités respiratoires, cutanées et cardiovasculaire », conclut l’étude.

Pour cette raison, rappellent les chercheurs, ce type de gaz était interdit en tant qu’arme de guerre dans la Convention Internationale sur les Armes Chimiques de Genève (1993). Cependant, les gouvernements les maintiennent autorisés pour réprimer les manifestations civiles (voir le document de la convention : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-5-Convenci%C3%B3n.pdf).

AUTRE RISQUE : LE CANON À EAU

Le manuel des Carabineros pour le contrôle de l’ordre public établit également d’autres procédures pour éviter des lésions graves liées à l’utilisation du canon à eau (« guanaco » au Chili), aux tirs de fusils antiémeutes et aux coups de matraque (appelés «lumas»), mais qui ne sont pas toujours suivies, comme le prouvent divers documents audiovisuels.

Le document, par exemple, indique que dans le cas du canon à eau « le jet ne peut pas viser des mineurs ou des personnes âgées, même en possession d’objets dangereux ». Dans ces cas, le manuel recommande de projeter l’eau au sol, en direction des pieds, avant l’arrestation des manifestants.

Cependant, les informations indiquant que  la police ne se conforme pas à cette norme sont nombreuses. En effet, le Défenseur des Droits de l’Enfance a présenté un rapport au Sénat dans lequel il précisait qu’entre le 18 octobre et le 9 décembre 2019, quelque 450 enfants et adolescents ont subi des agressions de ce type.

(Voir le rapport : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-7-Defensor%C3%ADa-de-la-Ni%C3%B1ez.pdf).

Il existe également des cas de tir direct contre les personnes handicapées et les femmes, groupes qui selon le manuel ne devraient pas faire l’objet de cette pratique. Par exemple, le 11 octobre, une vidéo devenue virale montrait un tir de canon à eau dirigé sur une personne en fauteuil roulant manifestant à Plaza Italia (voir vidéo sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=PddvVkGa-0M). Le nouveau directeur général des Carabineros, qui était à cette date le Directeur National de l’Ordre et de la Sécurité, le général Ricardo Yáñez, a justifié l’action de la police en disant que la personne affectée « commettait des actes de violence et attaquait le personnel de la police ».

Un élément à considérer lorsque les affaires sont portées devant les tribunaux est que, selon le manuel institutionnel, ces actions répressives sont exécutées suite des ordres pris par toute une échelle hiérarchique précise – pour autant, il y aurait une responsabilité des hautes gradés – et non selon le critère isolé ou accidentellement erroné du simple opérateur du canon à eau. « L’ordre de tirer de l’eau ne sera ordonné que par le responsable de la zone d’opération, ou par le chef territorial en charge de la procédure, ou par le chef de patrouille, de sa propre initiative, lorsque les conditions le justifient », précise le document.

En ce qui concerne l’utilisation des tirs d’eau à haute pression, le manuel indique : « on ne doit jamais coincer une masse de manifestant, il faut toujours considérer des issues de secours ou d’évacuation » et ajoute que l’eau mélangée à du liquide lacrymogène ne doit pas être utilisée contre des « manifestants qui de par leur attitude non dangereuse pourront être dispersés autrement ». Le document autorise cependant l’utilisation d’eau avec des produits chimiques dans le cas où les manifestants « désobéissent ou résistent aux semonces d’évacuation, cela afin d’éviter les contacts physiques et d’éviter les confrontations directes ou les actions agressives ». Cependant, son utilisation n’est pas discrétionnaire et doit être définie par le chef de service, après évaluation du « théâtre d’opérations » et aussi sans dépasser certains niveaux de concentrations de produits chimiques dans l’eau.

A cet égard, le Département des Droits de l’Homme de la Faculté de Médecine a informé le Sénat chilien que les preuves sanitaires disponibles font douter de la réelle innocuité de l’eau utilisée par les canons à eau, cela en raison des nombreuses brûlures détectées chez les manifestants depuis le 18 Octobre 2019.

(Voir le rapport : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-8-Colegio-M%C3%A9dico.pdf).

Ministerio Público ordena investigación de líquido lanzado por carro de  Carabineros « Diario y Radio U Chile

Le Défenseur des Droits de l’Enfance a recommandé au ministère de l’Intérieur « d’exiger que le commandement des Carabineros du Chili et par son intermédiaire, leurs fonctionnaires, s’abstienne d’utiliser de l’eau mélangée avec d’autres substances chimiques qui peuvent être nocives pour le la santé des personnes »

(Voir la lettre officielle : https://www.ciperchile.cl/wp-content/uploads/Documento-9-Oficio-646.pdf).

Enfin, le manuel ne permet pas l’utilisation des matraques de manière offensive, autrement dit, elles ne peuvent pas être utilisées pour frapper. « Le bâton Isomer est conçu pour la défense du personnel spécialisé dans les opérations de contrôle de l’ordre public. Il est en polyéthylène, sa dimension est de 84 cm. long et son poids est de 354 grammes », rapporte le document. Le texte précise – avec des photographies explicatives – qu’il ne doit être utilisé que pour bloquer les attaques, mais jamais pour attaquer. « (L’idée est) d’éviter la perte de contrôle et les blessures de l’utilisateur et des manifestants, en plus de corriger tous les détails qui peuvent conduire à une mauvaise utilisation. »

MANQUE DE CONTRÔLE ET DE RÉFORME

Le manque de contrôle du respect des procédures indiquées dans le manuel des Carabineros oblige à réfléchir sur les processus et mécanismes à mettre en place pour développer une surveillance civile de l’action de la police, selon les experts et responsables de l’INDH.

« Le seul moyen est d’utiliser des mécanismes de contrôle puissants et respectés. Aujourd’hui, il n’existe qu’une seule Division de la Gestion et de la Modernisation de la Police au sein du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Publique et il faudrait créer des zones de contrôle spécifique, avec des mécanismes de responsabilisation intégrée », a déclaré Lucía Dammert. Pour elle, ce ne sera pas un chemin facile en raison de multiples facteurs. D’une part, dit-elle, chez les Carabineros « il y a une impression de persécution et l’existence de toutes sortes de théories du complot ». Et aussi parce que « les partis politiques ont abandonné l’idée d’avoir des cadres spécialisés sur cette question ».

Interrogé par CIPER, l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH) répond qu’il est clairement indispensable de créer des mécanismes de contrôle autonomes et spécialisés – externes à Carabineros – dotés des pouvoirs nécessaires pour la prévention des actes contraires à la législation en vigueur.

Pour sa part, l’universitaire de l’Université du Chili, Hugo Frühling, déclare que lorsque l’on parle d’une réforme profonde de Carabineros, les changements ne doivent pas être uniquement de l’orde administratif. Il est nécessaire de changer la définition de la politique de sécurité publique en modifiant la doctrine des Carabineros.

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Photo : Guillermo Salgado

Crampes et saignements violents, dérèglements menstruels, fausses couches… Portrait des effets des lacrymos sur le cycle menstruel

Crampes et saignements violents, dérèglements menstruels, fausses couches… Portrait des effets des lacrymos sur le cycle menstruel

Illustration par Elodie Castillolien vers l’article original

Depuis que j’ai publié cet article sur les effets des gaz lacrymogènes sur le système reproductif, chaque fois qu’il y a une manif, je reçois des messages de personnes qui ont fait l’expérience douleurs et dérèglements après avoir été victime de répression policière. La manif contre la loi de sécurité globale n’a pas fait exception en terme de violence et d’usage d’armes chimiques. Dans une volonté de donner une idée de la variété des effets que ce gaz peut avoir sur la santé gynéco, j’ai décidé de rendre compte de plusieurs témoignages que j’avais reçu.

On ne peut pas affirmer avec certitude la raison pour laquelle inhaler des lacrymos cause des crampes, des règles abondantes et des fausses couches; simplement parce qu’aucune étude n’a été réalisée avec assez de données pour que ce soit fait. Je pense néanmoins qu’il est important de souligner la richesse des données empiriques lorsque l’on parle d’un sujet aussi peu exploré (et bien gardé) : ce sont les témoignages des personnes exposées, puis les travaux de terrain d’associations qui ont constitué les premiers signaux d’alertes sur les effets des gaz lacrymogènes. Si l’on attendait l’intérêt de la communauté scientifique et la conduction d’une étude pour commencer cette conversation, on attendrait longtemps. Simplement parce que récolter des données précises dans un contexte aussi variable qu’une manifestation  (on peut inhaler du gaz de très loin pendant quelques secondes, une grenade peut nous arriver dessus alors qu’on est bloqué.e dans une impasse, on peut nous en pulvériser dans le visage), qui plus est sur les effets d’un gaz, qui par définition est extrêmement volatile, est extrêmement difficile. Néanmoins, les travaux d’Alexander Samuel et André Picot sur le sujet (ça se passe à la page 66) proposent une théorie intéressante : les molécules de cyanure présentes dans le gaz priveraient l’utérus d’oxygène, ce qui causerait en retour les contractions douloureuses. 

Les symptômes que ces personnes m’ont raconté diffèrent grandement d’un témoignage à l’autre, que ce soit dans le temps qu’ils mettent à apparaître ou dans leur gravité et leur intensité. J’aimerais aussi mentionner que j’ai entendu qu’à Nice, une gilet jaune avait perdu son stérilet après avoir été exposée au gaz et qu’il apparaissait complètement oxydé (une réaction normale quand du cuivre est exposé à du cyanure).


Dérèglements menstruels


Anonyme, 27, Lyon (elle)

Lors d’une manif en décembre 2019 à Lyon, une lacrymo a atterri à deux mètres de moi alors que j’étais coincée dans une rue pas aérée. Je ne sais pas combien de temps je suis restée dans le nuage, mais je sais que le mois suivant j’ai eu mes règles deux fois, alors que d’habitude je suis réglée comme une horloge. Je trouve que c’est juste une raison de plus de craindre pour ma liberté de manifester.

Anonyme, 22 ans (il)

Après la manifestation du 1er mai 2018 où on a été nassé.e.s sur un pont, mon cycle menstruel a été complètement déréglé : j’ai eu mes règles deux fois en un mois, et elles étaient à chaque fois beaucoup plus abondantes que d’habitude.

Léa, 20 ans (elle)

J’ai participé à un rassemblement pour Georges Floyd à Lyon et j’ai été exposée pendant un long moment à des lacrymos. Ce mois-ci, mes règles ont eu trois semaines de retard et j’ai eu des douleurs comme jamais.


Crampes et douleurs violentes


Anonyme, 34 ans (elle) 

Avant, j’allais très souvent en manif. Maintenant, c’est très rare et je ne vais que dans des manifs très encadrées, car je n’en pouvais plus des violences policières, et des conséquences des lacrymos sur mon corps. Je ne peux plus me permettre de prendre ce risque.
Chaque fois que j’étais exposée à des gaz, je pouvais être sûre que j’allais ressentir des crampes le lendemain ou le soir-même. Elles étaient tellement violentes que je vomissais, quelques fois je suis tombée dans les pommes. Mes règles d’ordinaire sont chiantes, mais elles sont globalement vivables.

Ezékiel, 18 ans (il)

Mes douleurs de règles et leur flux sont toujours amplifiés par les lacrymos, je le remarque parce j’ai des crampes qui arrivent très vite après les premiers palets lancés. Je les ressens un coup pendant la manif, puis une deuxième vague arrive quand je rentre chez moi : des douleurs horribles qui ne passent pas malgré les médocs, et des saignements très abondants qui durent plusieurs jours.

Citlali, 24 ans (elle)

Je crois que ça m’est arrivé à deux reprises. La première fois, c’était à une manif contre la loi de réforme des retraites. Je n’ai pas fait le lien de suite car il y a eu une intervalle de trois heures entre mon départ de la manif et le moment du début des contractions. 
J’ai vraiment commencé à me questionner la deuxième fois où ça m’est arrivé, après la manif pour Adama devant le TGI le 2 juin. La répression était plus violente que la première fois, j’ai été exposée à beaucoup de gaz. Très vite, en sortant, j’ai commencé à avoir mal au ventre, j’ai cru que c’était des douleurs de règles, mais elles étaient complètement en dehors de mon cycle. En plus, d’habitude je n’ai pas vraiment mal pendant mes règles, je n’ai jamais eu besoin de me mettre une bouillotte sur le ventre mais à ce moment là j’en avais très envie. C’était supportable mais inquiétant car ce n’était vraiment pas censé arrivé, je n’avais jamais cette douleur avec cette intensité. J’ai même cru que c’était l’appendicite.

Julie & Amélie , 20 ans (elle) 

J’étais à la manif des contre les Césars en février, où on m’a pulvérisé du gaz lacrymo à bout portant. Je l’ai senti se glisser sous mes paupières, j’ai dû en ingérer beaucoup. Je m’occupais bien de mon endométriose, j’évitais les perturbateurs endocriniens et les aliments inflammatoires, et mes crises avaient beaucoup diminué depuis quelques mois. Deux jours après les Césars, l’endométriose est revenue en force. Pourtant mes règles n’étaient pas prévues, elles avaient dix jours d’avance et je n’avais pas eu de SPM ni rien. J’avais l’impression qu’elles avaient été tirées hors de mon corps.
En discutant avec ma pote Amélie, qui avait aussi participé à la manif, elle m’a raconté qu’elle avait vécu la même chose. Selon elle, ses règles sont arrivées avec deux semaines d’avance, seulement deux ou trois heures après avoir été exposée au gaz lacrymo. Comme moi elle souffre d’endométriose, et ses douleurs au dos et au ventre ont été amplifiées par rapport aux crises qu’elle connaît d’habitude.


Fausse couche

Eva, 28 ans (elle) – C’était au tribunal de Clichy durant une manifestation contre les violences policières l’été dernier. J’étais avec des amis et tout se passait bien jusqu’à 18h, quand la police a commencé à lancer des grenades lacrymogènes partout. J’ai fini par me réfugier dans une boutique, qui s’est elle aussi faite asperger. En tout, j’ai été exposée au gaz pendant plus d’une heure.
Normalement, c’est très compliqué pour moi de tomber enceinte car j’ai un implant pour gérer mon endométriose, ainsi que la maladie de Crohn. Pourtant j’étais enceinte durant la manifestation. Après coup et sans avoir eu de règles pendant deux ans et demie, j’ai été prise de violentes contractions et douleurs suivies de violentes hémorragies le lendemain aux toilettes de mon travail. J’ai fait une fausse couche, et pendant un mois et demie j’ai eu des grosses contractions et des pertes de sang qui allaient et venaient.
Je suis allée voir plusieurs médecins qui n’ont pas cru que j’avais fait une fausse couche car ils étaient persuadés que je ne pouvais pas tomber enceinte. Pourtant, ça m’était déjà arrivé deux fois auparavant. Moi j’en suis sûre, c’était bien une grossesse et je l’ai perdue à cause des gaz lacrymogènes.

Le « bizutage » des Carabineros du Chili se termine par un fonctionnaire brûlé gravement.

par Jorge Molina Sanhueza 25 janvier 2010, elmostrador.cl

Le bureau du Premier Procureur Militaire a ouvert une enquête pénale après que le caporal Blas Herrera ait été blessé au cou, au dos, à la tête et au fessier, lors de son dernier jour d’instruction des Forces Spéciales. Le tribunal militaire interrogera aujourd’hui la victime, qui est défendu par l’avocat Alfredo Morgado. Dans la caserne de l’unité de la victime, son casier a été forcé et sa carte d’identité volée.
Le 22 décembre 2009, la poussière et la chaleur ont envahi le terrain d’entraînement des Carabineros à Curacaví. Là, un groupe de fonctionnaires termine son cours de Forces Spéciales donné par l’institution. Noël arrivant, ils auront bientôt du temps libre pour être en famille, après plusieurs semaines d’apprentissage des stratégies à suivre face aux situations extrêmes à lesquelles ils peuvent être confronté et doivent répondre. Cependant, aucun des participants, femmes et hommes carabineros, n’avait la moindre idée de ce qui allait se passer.


Lors de ce dernier moment ensemble, le commandant Letelier, troisième commandant de l’unité des Forces Spéciales, les félicite tout d’abord d’avoir terminé la période d’apprentissage et leur indique ensuite qu’ils seront « baptisés », puisque c’est une tradition. Après plus d’une heure d’attente, le canon à eau arrive enfin. Il est venu spécialement de Santiago pour la « cérémonie » et c’est donc une « surprise » pour tous les participants à ce cours de spécialisation.
Parmi eux se trouve le caporal Blas Herrera, qui, comme ses compagnons, a rapidement comprit qu’ils seront tous mouillés par le puissant jet d’eau du « guanaco » (mot d’argot désignant le canon à eau mobile au Chili) et apprendraient ainsi à lui résister.


Leur supérieur, le commandant Letelier, leur indique qu’ils devront faire face au canon à eau à chaque fois qu’ils en recevront l’ordre, mais qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, car ce ne sera « que de l’eau ». Jusque-là, pas d’inquiétude donc pour les futurs bizutés qui ne portent pas leurs équipements de protection mais un simple pantalon et une chemise à manches courtes.
Le camion se positionne devant des groupes compacts d’officiers qui se protégent les uns derrière les autres. Ils résistent à l’attaque, entre cris et rires, et ainsi se termine l’instruction. Jusque-là, rien ne semblait sortir de l’ordinaire.

Le pire arrive

Cependant, des douleurs et des démangeaisons apparaissent soudainement aux yeux et sur le corps. Cela s’explique par l’acide irritant – appelé CS – que les policiers mélangent à l’eau utilisée pour dissoudre les manifestations.
Beaucoup enlèvent leurs chemises et reçoivent des liquides spéciaux sous forme de spray pour diminuer l’irritation des yeux.


Ordre est alors donné de se reformer en rang. Le commandant Letelier minimise l’incident devant ses troupes qui l’interrogent, il insiste sur le fait qu’il ne s’agit que d’un peu d’eau.
Le caporal Blas Herrera fortement mouillé lors du baptême doit maintenant ramener le bus au 29ième poste de police de Lo Espejo en courant un risque majeur pour lui et ses 28 collègues : il peut à peine fixer ses yeux sur la route…
Avant de partir il avait en tout cas pris soin de mettre dans son sac la caméra avec laquelle un autre fonctionnaire avait été autorisé à filmer tout l’incident.
En arrivant à sa caserne, Blas Herrera s’est de suite déshabillé mais lorsqu’il enlève sa chemise, il s’arrache un morceau de peau au niveau du cou. Il remarque aussi que sa tête, son dos et ses fesses sont très irrités. Il se douche et ses douleurs empirent. L’agent chimique agit encore plus fortement et ses cris de douleur se joignent à ceux de ses collègues qui se trouvent être dans la même situation.
Herrera rentre alors chez lui car il ne peut plus supporter la douleur. Le lendemain, le 23 décembre, il retourne au travail et informe ses supérieurs des brûlures pour demander son transfert à l’hôpital des Carabineros (Hoscar). La réponse donnée est d’abord qu’il doit y aller par ses propres moyens puis, après avoir insisté, ses supérieurs lui concèdent le prêt d’une voiture qu’il devra par contre conduire lui-même.
En arrivant à l’hôpital ce matin-là, les brûlures sont alors insupportables. Il reçoit des soins basiques car il n’y a pas de spécialistes sur place et on lui demande de revenir début janvier, alors qu’un risque de surinfection existe. Son état de santé s’aggrave dans l’après-midi, il retourne donc à l’Hoscar où les soins ne sont pas agréables ni efficaces.

De l’administratif au criminel

Herrera décide alors de se tourner vers une connaissance rencontrée alors qu’il était en poste au commissariat de Pudahuel : le médecin d’une association venant en aide aux enfants brûlés (Coaniquem). Lorsqu’il lui montre ses brûlures, le spécialiste indique qu’elles sont graves et lui demande alors plus de détails sur l’incident afin de les consigner dans un rapport médical. Grâce à ce médecin, Blas Herrera a pu être guéri. Il a par contre perdu un tiers de son salaire mensuel car il a dû s’absenter lors de ses soins et de sa récupération.


A son retour, Herrera s’est plaint auprès de ses supérieurs et a demandé à l’institution Carabineros de prendre en charge les frais d’hospitalisation car il n’avait pas pu les payer. Il était maintenant parfaitement clair que les paroles du commandant des forces spéciales Letelier n’étaient absolument pas correctes : ce n’était pas « que de l’eau » pure et douce, mais bien une eau avec une forte concentration d’acide.
Une enquête interne a alors été ouverte chez les Carabineros pour tenter d’établir des responsabilités administratives. Herrera a témoigné et ne se sentant pas écouté il a alors décidé de demander conseil à l’avocat Alfredo Morgado. Ce dernier a alors déposé une plainte auprès du deuxième tribunal militaire de Santiago, dirigé par le Général Bosco Pesse, qui, en raison de la gravité des faits, ordonne une enquête pénale pour le crime de maltraitance d’un subordonné.
L’enquête a été confié au premier bureau du procureur militaire, sous la responsabilité du Major Macarena González qui a convoqué Blas Herrera pour témoigner ce lundi. Elle a également décrété quelles seront les premières étapes de l’enquête pour établir les faits autour de ce « rite » qui, bien qu’interdit, existe encore comme une règle non écrite au sein de l’institution.

Vol mystérieux

Blas Herrera est un de ces héros anonymes. Avec 13 ans de service et un peu plus de 400 000 $ de salaire mensuel (550 € environ), il s’est efforcé à obtenir son diplôme d’ingénieur mécanique à l’Inacap et a un curriculum vitae impeccable. Son courage lui a aussi valu une félicitation : lors des manifestations du 11 septembre 2007, il a été l’un de ceux qui ont récupéré, en prenant beaucoup de risque, le corps du caporal Cristián Vera qui gisait mort dans un quartier du secteur ouest de Santiago.
Début janvier, Herrera, lorsqu’il est retourné dans son unité pour présenter son arrêt de maladie, s’est rendu compte que son casier avait été déverrouillé et que sa carte d’identification de Carabineros avait été volée. Qui, pourquoi ? Jusqu’à présent, la plainte qu’il a présenté à ses supérieurs n’a pas abouti.

Voir → Vidéo captée après le bizutage :

Développement :

1/ Le 02 Février 2010
[…]
L’avocat Alfredo Morgado, représentant du deuxième caporal des forces spéciales Blas Herrera, brûlé à l’acide dans un « baptême institutionnel », a apprécié ce mardi les progrès de l’enquête suite à la confrontation entre les parties et aussi la décision des Carabineros de suspendre le commandant Letelier le temps de l’enquête.
Morgado a déclaré qu’ils attendaient que « l’expertise et les rapports de la PDI (Police d’Investigation au Chili) soient terminés pour que la vérité soit établie. »
[…]

2/ The Clinic, Jorge Molina Sanhueza, le 02 Avril 2012

Dans le cadre de l’enquête menée par la justice militaire suite aux brûlures subies par le caporal Blas Herrera, après un « bizutage », la PDI (service d’enquête de la police chilienne) assurent que l’agent chimique utilisé dans le guanaco brûle le derme. Les Carabineros se défendent et prétendent le diluer selon les normes internationales. La vérité est que les photos des brûlures parlent d’elles-mêmes.
[…]
Les Carabineros, bien sûr, disent que leur produit chimique est formidable. La section criminalistique de Labocar (Carabineros) a commencé par assurer que le CS, le produit chimique ajouté à l’eau de guanaco, est inoffensif, comparé au spray au poivre. Ce dernier est utilisé dans les sprays de défense personnelle.
Puis, toujours selon eux, pour provoquer des brûlures, le CS doit être très concentré et la personne touchée doit être exposée au produit pendant des heures, en contact direct avec la peau car c’est un composant irritant et non caustique.
Ils reconnaissent enfin qu’ils utilisent le produit chimique mais le diluent selon les normes internationales.
Le parquet n’est absolument pas allé dans leurs sens. Il a demandé deux nouveaux rapports : l’un de l’Institut de santé publique (ISP) et l’autre du Centre de recherche toxicologique de l’Université catholique (Cituc), pour mettre au clair ce qui semble être contradictoire.
Un fait important qui remet en question la sincérité des Carabineros est la disparition des preuves pour éviter l’action de la justice. Une fois le cas du caporal Herrera connu, le parquet militaire s’est présenté dans les hangars des Carabineros, là où ils gardent les guanacos. Ils cherchaient à confirmer la concentration de produits chimiques dans les réservoirs. Cependant, par pure coïncidence, les Carabineros avaient changé les réservoirs car ils avaient été envoyés en maintenance…

Une étude scientifique révèle que les cycles menstruels sont affectés suite à des expositions prolongées aux gaz lacrymogènes

De Diego Ortiz et Lissette Fossa pour Interferencia.cl

Le 23/10/2020

Cela pourrait s’expliquer par un dysfonctionnement moléculaire dû à une diminution des taux d’oxygène dans le sang elle-même causée par la présence de cyanure. Le stress post-traumatique lié à l’utilisation de gaz lacrymogènes peut également jouer un rôle dans les troubles menstruels. Il existe des témoignages de cet effet en Inde, aux États-Unis, en France et – maintenant – au Chili. « À partir des données d’une étude transversale sur la santé des manifestantes du mouvement des Gilets Jaunes en France, nous avons examiné la relation entre l’exposition aux gaz lacrymogènes et le cycle menstruel chez les manifestantes », détaille l’étude scientifique menée par le Dr. en Biologie Moléculaire, Alexander Samuel et les docteurs en psychologie, Yara Mahfud, Elif Çelebi et Jais Adam-Troian. « L’analyse suggère un lien positif entre l’exposition [aux gaz] et les perturbations du cycle menstruel », indique l’étude. Aux conclusions de l’enquête s’ajoutent les témoignages de manifestants recueillis par des médias en Inde, aux États-Unis, en France et – maintenant – au Chili. (Voir l’étude en anglais : The link between CS gas exposure and menstrual cycle issues among female Yellow Vest protesters in France : https://gazlacrymo.fr/BORDEL/Cycle.pdf ).

L’étude est parvenue à cette conclusion après avoir examiné les cas de 145 manifestants du mouvement des Gilets Jaunes en France. Les scientifiques précisent néanmoins qu’une enquête plus approfondie est nécessaire car il s’agit de conclusions préliminaires. De plus, étant donné que des altérations de la menstruation pourraient aussi se manifester en raison du stress auquel les manifestantes sont soumises lorsqu’elles sont gazées, on ne sait pas encore précisément dans quelle mesure le cycle menstruel est affecté par le gaz CS et / ou par le stress. « Le gaz lacrymogène pourrait affecter le cycle menstruel par un dysfonctionnement moléculaire dû à une diminution des niveaux d’oxygène dans le sang (une conséquence de l’augmentation des niveaux de cyanure dans le sang) », expliquent les scientifiques. Il est à noter qu’une étude française publiée par INTERFERENCIA a confirmé que le gaz CS, une fois métabolisé dans l’organisme, génère du cyanure dans l’organise, le cyanure étant un produit chimique hautement toxique. (Voir article publié par INTERFERENCIA le 11/09/2020 : https://interferencia.cl/articulos/investigacion-cientifica-francesa-concluye-que-componente-presente-en-lacrimogenas-de ).
Actuellement, le travail des scientifiques est en cours d’évaluation par la revue scientifique Women’s Health Issues, créée en 1990. Il est cependant déjà publié dans le cadre d’une relecture non officielle sur le site de pré-évaluation scientifique medRxiv, créé lui pour discuter des travaux connexes sur des médicaments encore à l’étude. En parallèle à cela, l’Université du Minnesota a lancé une enquête similaire, axée sur la question de savoir si les gaz lacrymogènes affectent le cycle menstruel des manifestants. (Lire l’étude et les commentaires qu’elle a généré : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.10.11.20210955v1.full).

S’ajoutent à l’enquête de multiples témoignages, publiés par les médias en Inde et aux États-Unis, de femmes dont le cycle menstruel a été affecté après avoir été en contact avec des gaz lacrymogènes.
La répression de la révolte sociale chilienne depuis le 18 octobre 2019 a également eu des conséquences sur les femmes. INTERFERENCIA a obtenu des témoignages de première main.

Augmentation notable de la douleur, du flux et de la durée des règles : retard et dérèglement

« Mes règles sont survenues peu de temps après le 18 octobre 2019. Depuis le début de la révolte, j’étais presque tous les jours à la Plaza Italia », raconte Juana, dont l’identité restera confidentielle. « Lorsque mes règles sont revenues, cela faisait très mal, comme presque jamais auparavant. Je prends des pilules et sinon ça ne fait pratiquement rien normalement », explique-t-elle. Elle ajoute que le saignement était manifestement plus élevé que d’habitude et note aussi une durée anormalement longue de ses règles post exposition au gaz. Patricia – dont le nom a également été changé pour protéger son identité – a assisté à beaucoup de manifestation depuis le 18 Octobre, mais affirme avoir eu un contact prolongé avec le gaz lacrymogène à trois reprises durant lesquelles elle a souffert de brûlures intenses et ressentit une forte gêne dans la poitrine. « Ensuite, mes règles ont été très douloureuses, difficiles et avec beaucoup plus de fluide », indique-t-elle, ce dernier détail étant évident puisque Patricia confie s’être taché pour la première fois de sa vie au moment de ses règles.

Les cas de Juana et Patricia ne sont que deux sur un total de sept auxquels nous avons eu accès. Toutes décrivent des dérèglements similaires dans leur cycle menstruel après un contact prolongé avec des gaz lacrymogènes : une douleur intense, une augmentation du débit et de la durée, des retards ou encore des règles précoces.

Parallèlement, INTERFERENCIA s’est également entretenu avec huit autres femmes qui ont participé à des manifestations et qui étaient en contact direct avec des gaz lacrymogènes, qui ne se souviennent pas avoir souffert d’un quelconque changement dans leur cycle menstruel.

Mais le Chili n’est pas le seul pays où le gaz CS est utilisé. En Inde, après les protestations étudiantes, la police a également utilisé cette arme chimique.
« Nous étions sur la route de Mata Mandir dans le cadre d’une manifestation silencieuse organisée par notre faculté. C’est à ce moment-là que nous avons vu la police charger dans notre direction », déclare à Feminism In India, Tanya, étudiante en droit en Inde. Selon l’article, en décembre 2019, après avoir reçu des gaz lacrymogènes à une distance de cinq mètres, le cycle menstruel de Tanya a été retardé de 20 jours. (Consultez l’article en anglais : https://feminisminindia.com/2020/09/02/tear-gas-attacks-jamia-irregular-periods-black-lives-matter/ ).

Le même article raconte également l’expérience de Taslima, une étudiante de 22 ans à l’Université Musulmane d’Aligarh. « Ce mois-là, je me souviens avoir eu des crampes douloureuses au moment où mon cycle était censé commencer, comme si j’allais saigner à tout moment. Mais cela a persisté pendant 8 à 10 jours avant que mon cycle menstruel ne commence enfin », a-t-elle raconté.

Selon le magazine Teen Vogue – une version jeunesse du magazine Vogue – Charlie Stewart a été en contact avec des gaz lacrymogènes quatre fois le 30 mai 2020. Peu de temps après, Stewart n’a pas pu se mettre au travail. « J’ai commencé à ressentir beaucoup de crampes », qu’elle considère comme le pire qu’elle ait jamais connu. Le cycle menstruel de Stewart avait pris fin la semaine précédente, mais malgré cela, elle a commencé à saigner quelques heures après avoir ressenti les douleurs. (Consultez ici l’article https://www.teenvogue.com/story/protestors-say-tear-gas-caused-early-menstruation)

INTERFERENCIA a contacté le service de communication des Carabineros du Chili pour savoir s’il y a eu des plaintes de fonctionnaires de l’institution ayant manifesté des altérations de leur cycle menstruel mais aussi pour savoir s’il existe des études ou des documents au sein de la police qui signaleraient cet autre effet possible du gaz lacrymogène.

L’institution a répondu que « pour le moment, il n’y a aucune connaissance, ni aucun cas de femmes fonctionnaires affectées par les effets du gaz sur leur période menstruelle. ».
De plus, en ce qui concerne l’existence d’études des conséquences sur la santé des gaz lacrymogènes liés aux troubles des menstruations, ils nous ont indiqué que « puisqu’il n’y a pas de cas ou de plaintes, il n’y a pas non plus d’études à cet égard ».