Archives de catégorie : française

Une étude de « gilets jaunes » se penche sur les effets du gaz lacrymogène sur la santé

Lien vers l’article

Lors de l’acte 8 des « gilets jaunes », le 5 janvier 2019, à Paris. (ABDULMONAM EASSA / AFP)

« L’Obs » publie en exclusivité une synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes » sur les problèmes de santé rencontrés par les manifestants ayant été exposés plusieurs fois au gaz lacrymogène. Le toxicologue André Picot commente les résultats.

Par Emmanuelle AnizonPublié le 07 août 2019 à 10h02

Le gaz lacrymogène est-il dangereux ? Quels sont ses effets à long terme ? La question revient avec insistance, alors que les forces de l’ordre l’utilisent de plus en plus massivement, comme on l’a vu lors des manifestations de « gilets jaunes » ou lors de la fatale Fête de la musique à Nantes. Alors qu’il existe peu de littérature scientifique sur ce sujet, et que la direction générale de la police nationale exclut tout danger, « l’Obs » a déjà relaté les recherches sur le terrain d’Alexander Samuel, prof de maths et docteur en biologie, et de trois médecins.Alexander Samuel, l’homme qui enquête sur le gaz lacrymogène utilisé contre les « gilets jaunes »

Nous publions maintenant le travail inédit d’une équipe de « gilets jaunes », qui a synthétisé 47 témoignages (recueillis entre le 5 avril et le 7 juillet) de personnes attestant d’effets secondaires persistants, certains ayant entraîné une hospitalisation. « Ces personnes (60 % de femmes) ont été exposées au gaz CS [le gaz lacrymogène utilisé par la police, NDLR] à de multiples reprises, explique Soizic, qui a recueilli les témoignages. Nous leur avons demandé de nous décrire leurs symptômes sur trois temps. T1 : les réactions pendant exposition ; T2 : après l’exposition jusqu’au coucher ; T3 : dans les semaines et les mois qui ont suivi. Nous continuerons de les suivre et nous sommes preneurs d’autres témoignages, il suffit de contacter l’équipe sur notre page Facebook Gaz Lacrymogène. »

« L’Obs » a demandé au toxicologue André Picot, président de l’Association toxicologie-chimie, directeur de recherche honoraire du CNRS, expert français honoraire auprès la Commission européenne pour la fixation des normes des produits chimiques en milieu de travail, de commenter les résultats :

« Ce travail est très intéressant, il fait apparaître des éléments nouveaux par rapport à ce que l’on savait.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes » à partir de 47 témoignages recueillis entre le 5 avril et le 7 juillet.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes » à partir de 47 témoignages recueillis entre le 5 avril et le 7 juillet.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes » à partir de 47 témoignages recueillis entre le 5 avril et le 7 juillet.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes » à partir de 47 témoignages recueillis entre le 5 avril et le 7 juillet.

Dans ces tableaux, on reconnaît les effets immédiats du “CS”,gaz irritant total, qui agit très vite, provoque des larmoiements, des suffocations. Il irrite les yeux, les voies respiratoires et la peau éventuellement. Les symptômes décrits correspondent pour la plupart à ceux que l’on trouve dans la littérature internationale, laquelle est nourrie essentiellement par les militaires. Notre association les a d’ailleurs recensés dans une fiche (PDF), qui devrait être réactualisée très prochainement.

Je rappelle que le gaz CS rentrant dans l’organisme est immédiatement transformé en malonitrile, qui se transforme enanioncyanure. Ce dernier entraîne une asphyxie des cellules nommée anoxie. Notre système de défense peut faire face à des agressions au cyanure sur de petites doses. Mais quand celles-ci sont concentrées et répétées ? Notre capacité à nous défendre dépend de l’intensité de l’intoxication, mais aussi de notre condition physique. Ce manque d’oxygénation a forcément des conséquences à court et plus long terme dans le corps, mais, au contraire du monoxyde du carbone dont on connaît très bien les intoxications à long terme, il y a peu de choses publiées sur celles liées au cyanure.

Certains troubles évoqués dans cette synthèse peuvent être spécifiquement liés aux effets du cyanure :

  • locomoteurs : les témoignages évoquent des douleurs musculaires. Les muscles sont effectivement de très gros consommateurs d’oxygène.
  • cardiovasculaires : les témoignages parlent d’arythmie, tachycardie, bradycardie… De fait, le cœur est un muscle particulièrement demandeur en oxygène.
  • thyroïdiens : le cyanure est un perturbateur endocrinien. Or les glandes endocrines (dont la thyroïde) semblent très sensibles aux agressions chimiques, on l’a vu notamment avec le Levothyrox, où il a suffi d’un changement d’excipient pour perturber les patients.
  • hépatiques et rénaux : on pourrait être étonné par les troubles hépatiques, de même que par les atteintes rénales décrites. Sauf que le cyanure est un agresseur global de l’organisme, il provoque un épuisement global des cellules de l’organisme…

J’aimerais m’arrêter sur un effet décrit très étonnant : les troubles gynécologiques.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes ». Vingt-huit femmes ont été interrogées, dont 13 femmes ménopausées.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes ». Vingt-huit femmes ont été interrogées, dont 13 femmes ménopausées.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes ». Vingt-huit femmes ont été interrogées, dont 13 femmes ménopausées.

Tableau issu de la synthèse réalisée par une équipe de « gilets jaunes ». Vingt-huit femmes ont été interrogées, dont 13 femmes ménopausées.

27 % des femmes non ménopausées qui témoignent ont leurs cycles perturbés, et 33 % des femmes ménopausées ont des saignements ressemblant à un retour de règles, sans parler des douleurs, des problèmes de stérilet… Il semblerait que les produits de biotransformation du gaz CS (cyanure et autres produits secondaires…) soient des perturbateurs endocriniens. Et que les femmes soient des cibles privilégiées de ces perturbateurs. Ce phénomène n’avait pas été signalé dans la presse scientifique, il demande à être étudié plus en détail. Je suis toxicochimiste, pas médecin, mais vraiment, ce travail très intéressant justifierait d’être complété par des études fondamentales précises suivies d’études épidémiologiques. »

Emmanuelle Anizon

Gilets jaunes: le biologiste qui enquête sur les gaz lacrymogènes arrêté

Lien vers l’article

Samedi 26 octobre, Alexander Samuel, un biologiste qui enquête sur les conséquences du gaz lacrymogène utilisé en masse durant les manifestations des Gilets jaunes, a été arrêté et son matériel perquisitionné, alors qu’il se rendait à un rendez-vous. Il témoigne pour Sputnik.

Alexander Samuel, docteur en biologie moléculaire et professeur de maths, a été arrêté samedi 26 octobre place Masséna à Nice. Ce samedi-là, alors qu’il allait rejoindre une amie, il s’est retrouvé au milieu d’une action dénonçant l’évasion fiscale de la Société Générale et ses investissements dans les énergies fossiles, menée par des Gilets jaunes et des membres des organisations Extinction Rebellion et Attac. Ils ont jeté sur une agence de la banque du blanc de Meudon, un lave-vitre bio, teint avec du charbon. Un mélange qui s’enlève à l’eau, relève Alexander Samuel, avant de raconter son histoire:

«J’attendais mon amie place Masséna, où avait lieu l’action contre la Société Générale, lorsqu’un policier m’a approché et m’a arrêté, affirmant que j’avais participé à l’action en balançant du liquide. Je ne dis pas qu’il connaît mon enquête sur les gaz lacrymo et qu’il m’a reconnu, mais il a menti, je n’ai jamais participé à l’action dont on m’accuse.»

Arrivé au poste, le biologiste appuie sur le fait que c’est une erreur, demandant aux policiers d’appeler son amie qui pourra confirmer le rendez-vous et de regarder les caméras de vidéosurveillance. Une procédure pour dégradation est lancée, Alexander Samuel est placé en garde à vue. Les policiers n’appelleront jamais l’amie en question, prénommée Christelle. Elle confirme à Sputnik.

«C’est bien moi qui ai donné rendez-vous à Alexander place Masséna à Nice. Mais comme à mon habitude, j’étais en retard, et il a dû traîner sur la place en m’attendant. Arrivée sur place, les policiers l’avaient déjà arrêté. Les policiers ne m’ont jamais contacté pour confirmer le rendez-vous, ça m’a un peu étonné.»

Le matériel et les données d’enquête du biologiste ont été perquisitionnés par la police. Il a partagé la liste sur Facebook: une clé USB avec ses cours et ses travaux sur les gaz lacrymo, plusieurs livres sur les gaz lacrymogènes, sa tenue de street médic détruite, etc.

Alexander Samuel a précisé détenir chez lui des capsules vides de gaz ramassés lors des manifestations. Ce à quoi un policier a réagi:

«Vous savez que c’est une arme de guerre et que vous risquez trois ans de prison?» «C’est beau d’apprendre que Macron utilise des armes de guerre sur les citoyens», rétorque Alexander Samuel.

Le biologiste a été relâché au bout de 48 h de garde à vue, aucun élément ne permettant de justifier son arrestation

Depuis plusieurs mois déjà, ce biologiste rentre volontairement dans les nuages de fumée et effectue des tests sanguins et urinaires, pour constater les effets du gaz lacrymogène utilisé à chaque manifestation par les forces de police, qu’il s’agisse de celles des Gilets jaunes ou de celle des pompiers. Ses conclusions concernant la présence de cyanure dans les gaz lacrymogènes sont disponibles sur son site, mais aussi en vidéo, comme celle présentée ci-dessous.

Alexander Samuel ne voit pas de rapport entre la dégradation dont il est accusé et la saisie de son matériel informatique et de ses données par les forces de l’ordre. Des travaux qui dérangent?

L’avocat et journaliste Juan Branco a confirmé l’information sur les réseaux sociaux.

ALEXANDER SAMUEL : « LES GAZ LACRYMO EMPOISONNENT »

Mardi, 5 Novembre, 2019

Emilien Urbach

Lanceur d’alerte. Le jeune biologiste niçois met en lumière des doses importantes de cyanure dans le sang des manifestants exposés à cette arme chimique.

«Du cyanure dans les gaz lacrymogènes utilisés pour le maintien de l’ordre ? Le gouvernement empoisonnerait la population ? Impensable ! » C’est la première réaction d’Alexander Samuel, enseignant en mathématiques et docteur en biologie, lorsque le gilet jaune Julien Chaize, en avril 2019, lui demande d’étudier cette hypothèse. Six mois plus tard, le jeune scientifique niçois en est persuadé, des doses non négligeables de poison circulent dans le sang des manifestants gazés.

Cette conviction dérange. Samedi 2 novembre, Alexander a été placé en garde à vue au motif qu’il serait impliqué dans une attaque symbolique, à la peinture bio, d’une banque. Il s’en défend mais reste enfermé quarante-huit heures. Son domicile est perquisitionné. Son matériel informatique et de nombreux documents sont minutieusement inspectés. Un manuel militaire de 1957, « sur la protection contre les gaz de combat », est saisi et détruit.

À l’écart, il observe les violences

Cet épisode n’est apparemment pas lié à ses recherches sur les gaz lacrymogènes. Quoi qu’il en soit, le biologiste a déjà compilé ses travaux dans un rapport. Il sera publié dans les prochains jours par l’Association Toxicologie Chimie, fondée par André Picot, directeur honoraire de l’unité de prévention du risque chimique au CNRS. Ce dernier sera cosignataire de la publication d’Alexander, aux côtés d’autres chercheurs et médecins.

Rien ne laissait présager un tel résultat quand, au début du printemps, Alexander se rend pour la première fois à une manifestation de gilets jaunes. « J’étais méfiant, avoue-t-il. Dans les Alpes-Maritimes, l’extrême droite était très présente au début du mouvement et mes convictions écologistes étaient en contradiction avec les revendications liées aux taxes sur le carburant. » Curieux, il se rend cependant au rassemblement organisé le 23 mars, à Nice.

À l’écart, il observe les violentes charges de police au cours desquelles la responsable d’Attac, Geneviève Legay, est gravement blessée. Alexander n’assiste pas directement à la scène mais il voit les street medics, ces secouristes militants qui interviennent lors des manifestations, empêchés d’intervenir et se faire interpeller. Alexander filme. Il est immédiatement placé en garde à vue. C’est sa première fois.

« J’ai été choqué, confie le scientifique. Les conditions de ma détention, les mensonges d’Emmanuel Macron et du procureur concernant Geneviève Legay ont fait que je me suis solidarisé avec le mouvement. » Il décide de rassembler tout ce qui pourrait permettre de rétablir la vérité et de le transmettre à des gilets jaunes qui entendent saisir l’ONU. Parmi eux, Julien Chaize veut le convaincre de se pencher sur le cas d’une manifestante qui, à la suite d’une exposition aux gaz lacrymogènes, affichait un taux anormalement élevé dans le sang de thiocyanate, molécule formée après l’assimilation du cyanure par le foie.

C’est un cas isolé. Impossible pour Alexander d’y voir la preuve d’un empoisonnement massif de la population. Incrédule, il participe cependant à d’autres manifestations et observe les réactions des personnes exposées aux gaz. Vomissements, irritations, désorientation, perte de connaissance… ces fumées ne font pas seulement pleurer.

Alexander consulte la littérature scientifique. Le composant lacrymogène utilisé en France est le 2-Chlorobenzylidène malonitrile. Comme il est considéré comme arme chimique, son emploi est interdit dans le cadre de conflits armés. Pas pour le maintien de l’ordre. Pour le biologiste, le verdict est clair, cette molécule, une fois présente dans le sang, libère du cyanure. Plusieurs études, depuis 1950, l’affirment. Aucune ne dit le contraire. Mais ce poison est également présent dans les cigarettes et dans une multitude d’aliments. Sa dangerosité est donc une question de dosage. Comment le mesurer ?

Alexander et trois médecins gilets jaunes proposent alors aux manifestants de faire analyser leur sang afin de déterminer un taux de thiocyanate. Mais ce marqueur n’est pas assez fiable. Il faut quantifier le cyanure. Or, le poison n’est détectable dans le sang que pendant quelques dizaines de minutes. Munis de kit d’analyses, d’ordonnances et de formulaires à faire signer par les candidats à un examen, ils décident de faire des prises de sang et d’urine directement pendant les manifestations du 20 avril et du 1er Mai.

Les résultats sont édifiants

Les résultats des premiers prélèvements confirment bien la présence importante de cyanure, mais n’en donnent pas le dosage précis. Le 8 juin, à Montpellier, l’équipe perfectionne son protocole. Alexander, les trois médecins et quelques complices se font eux-mêmes cobayes de leur expérience. Ils testent leur sang avant la manifestation puis après. Les résultats sont édifiants. La communauté scientifique considère l’empoisonnement au cyanure à partir de 0,5 mg par litre de sang et sa dose mortelle à 1 mg. Parmi les personnes testées, deux affichent des taux voisins de 0,7 mg par litre.

Leur démarche inquiète certains gilets jaunes et dérange les autorités. Alexander et les trois médecins font, depuis mai, l’objet d’une enquête préliminaire pour « violence aggravée et mise en danger de la vie d’autrui ». L’affaire suit son cours. Les chercheurs-suspects ont même été entendus, pendant l’été, par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Alexander a subi une nouvelle garde à vue au mois de septembre. Ils ont reçu de nombreuses menaces. Mais rien ne les a empêchés de continuer. La population doit être informée. Les policiers, eux-mêmes exposés, doivent savoir. La vérité doit éclater.

Émilien Urbach

Alexander Samuel, l’homme qui enquête sur le gaz lacrymogène utilisé contre les « gilets jaunes »

Alexander, au cours d’un rassemblement national des « gilets jaunes » à Montpellier. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse)

Docteur en biologie, Alexander Samuel enquête sur les dangers du gaz lacrymogène, utilisé massivement en France contre les “gilets jaunes”. Sa méthode : entrer dans les nuages et effectuer ensuite des tests sanguins et urinaires.

Par Emmanuelle AnizonPublié le 24 juillet 2019 à 14h00

On l’a vu, à plusieurs reprises, entrer dans le nuage blanc, et en ressortir quelques minutes plus tard, longue crinière rousse en pétard, yeux et visage écarlates, pleurant, toussant, titubant, à la limite du malaise… Alexander Samuel, 34 ans, docteur en biologie moléculaire, prof de maths dans un lycée professionnel de Grasse et amateur de philosophie, n’aurait jamais imaginé humer volontairement du gaz lacrymogène au cœur de manifestations. Ni traverser la France avec des flacons de sang et d’urine dans le coffre de sa voiture, tel un passeur de drogue, à la recherche d’un labo susceptible d’accepter sa cargaison. Encore moins se retrouver convoqué par la justice pour « mise en danger de la vie d’autrui ». Lui, dont la seule violence assumée consiste à hurler régulièrement dans un micro, entouré de son groupe de metal.

Alexander s’est engagé par inadvertance, le 23 mars 2019. Ce jour-là, le prof dont le cœur penche « très à gauche », vient « en observateur » à une manifestation de « gilets jaunes » à Nice. Il est contacté par un groupe, SOS ONU, qui recense les violences policières. « Quand ils ont su que j’étais docteur en biologie, ils m’ont demandé si je pouvais les aider à analyser les effets des gaz lacrymogènes. Ils décrivaient des symptômes nombreux : maux de ventre, nausées, vomissements, douleurs musculaires, migraines fortes, mais aussi pertes de connaissance, problèmes pulmonaires, cardiaques, hépatiques… Des “gilets jaunes” avaient été hospitalisés.Ils évoquaient une possible intoxication au cyanure. Au cyanure ! Je les ai pris pour des dingues ! Mais vu qu’il y avait beaucoup de témoignages, je me suis dit que j’allais creuser. »

Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)
Alexander Samuel, docteur en biologie, en pleine expérimentation lors d’une manifestation des « gilets jaunes » à Paris. (Bruno Coutier pour « l’Obs »)

Alex adore creuser. Déjà, à l’université de Nice, le thésard brillant, mi-français, mi-allemand, s’était fait remarquer par sa propension à plonger son nez obstiné dans les affaires – détournements de subventions, corruption de syndicats étudiants et autres passe-droits. « Alex est un chercheur qui trouve, témoigne Guillaume, un ancien camarade de l’époque. Il accumulait des preuves, récupérait des documents, enregistrait les conversations. Il combinait les méthodes d’un enquêteur et d’un scientifique. »

Le prof se plonge dans la « littérature », comme on dit dans le jargon, c’est-à-dire tout ce qui a été publié scientifiquement sur le sujet. Et rend compte méthodiquement de ses découvertes sur son site. Il apprend que le gaz « CS » utilisé par les forces de l’ordre ne contient pas de cyanure en tant que tel, mais qu’un de ses composants, le malonitrile, se métabolise en cyanure quand il entre dans le corps.

Une question de santé publique

On peut supporter le cyanure à petites doses ; les fumeurs, les mangeurs de chou, d’amandes ou de manioc en ingèrent. A plus haute dose, le cyanure provoque une hypoxie, un manque d’oxygène.Et peut tuer, même s’il n’y a pas de décès par gaz lacrymogène recensé en France. Alex explique :« La personne gazée subit comme un étranglementÇa fait quoi sur la santé de se faire étrangler un peu chaque week-end ? On nous dit que le gaz lacrymogène n’est pas dangereux, mais on ne connaît pas vraiment ses effets à long terme sur la santé ».

Le chercheur passe ses journées et ses nuits sur ce qu’il considère être « une question de santé publique : le gaz lacrymo est utilisé aujourd’hui massivement par les forces de l’ordre, et pas que sur les “gilets jaunes” : les écolos du pont de Sully, les jeunes de la Fête de la Musique à Nantes, les riverains et les commerçants, tous se sont retrouvés sous le gaz. Et les policiers, qui sont les premiers exposés ! » Ceux-ci portent la plupart du temps des masques à gaz qui les protègent, mais le 28 juin, sur le pont de Sully, un commandant a perdu connaissance à cause des lacrymos.« Où est Steve ? », voilà LA question

Le cyanure disparaît moins de trente minutes après l’exposition au gaz lacrymo. En revanche, il laisse dans le corps un marqueur, le thiocyanate, qui, lui, peut être détecté pendant plusieurs semaines. « J’ai vu des résultats d’analyse de “gilets jaunes” avec des taux plus de trois fois supérieurs à la normale ! » affirme Alex, qui contacte alors moult toxicologues, médecins, chercheurs en France et à l’étranger. Les réactions sont contrastées, entre ceux qui lui disent qu’il fait fausse route, comme Jean-Marc Sapori, du centre antipoison de Lyon, et ceux qui l’encouragent à poursuivre un travail « remarquable », comme André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie, sans oublier ceux qui lui glissent au passage :« Faites attention à vous, vous vous attaquez à un sujet trop dangereux. »

Il appelle beaucoup, on l’appelle de plus en plus. Un barbouze veut lui refiler des documents confidentiels sur les victimes de gaz pendant la guerre d’Algérie. Des « gilets jaunes », par dizaines, veulent témoigner, envoient leurs analyses :« On compile leurs symptômes dans un tableau, on voit remonter de nouveaux trucs bizarres. Par exemple, beaucoup de femmes, même ménopausées, se retrouvent avec des règles abondantes. »

Une praticienne du CHU de Lyon lui écrit pour un patient, gazé à de multiples reprises, ayant un « problème hépatique de cause inconnue » : « Je me demande si cela pourrait expliquer sa pathologie », dit-elle.

Comment prouver le lien entre pathologie et gaz lacrymo ?

Que répondre ? Comment prouver irréfutablement ce lien ? Puisque les autorités de santé ne s’emparent pas du sujet et que le ministère de l’Intérieur martèle « Circulez, il n’y a rien à voir », Alex, trois médecins – Renaud, anesthésiste-réanimateur, Josyane, généraliste, et Christiane, ophtalmologue – et quelques « gilets jaunes » décident d’effectuer des prélèvements sanguins à chaud, en manifestation.

Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)
Christiane, ophtalmologue, fait partie de l’équipe d’Alex.(©Xavier Malafosse/Sipa Press)

Lors de ses recherches, Alex a découvert qu’une société suisse, CyanoGuard, fabriquait des kits pour mesurer le taux de cyanure dans le sang : « Ça marche comme un éthylotest. Si la couleur reste orange, c’est bon. Si elle vire au violet, c’est qu’il y a un taux de cyanure dangereux. Ils sont sérieux, ils ont publié dans l’excellente revue de la Royal Society of Chemistry, et le FBI utilise leurs outils ! » Alex et les médecins achètent dix kits, à 15 euros l’unité, et prévoient d’envoyer aussi en parallèle des tubes de sang en labo pour mesurer le taux de thiocyanate : « En combinant les deux méthodes, on renforce la fiabilité des résultats. » Et c’est ainsi que, samedi 20 avril à Paris, des « gilets jaunes » ont vu, au milieu des fumées, crachats, tirs de LBD et mouvements de foule, un petit groupe équipé de casques, lunettes, seringues et tubes effectuer des prises de sang, à même le trottoir.

Les résultats sont décevants : le changement de couleur du cyanokit est difficilement interprétable. « Cyanoguard nous disait : “C’est positif”, mais j’avais des doutes. » Autre surprise : les résultats du thiocyanate, analysé par le seul labo compétent de France, à Lyon, reviennent pour la plupart négatifs. « Même ceux des fumeurs, ce qui n’est pas possible ! » pouffe Alex, qui pouffe beaucoup, en rougissant et en plissant le nez, comme le font les enfants. Le prof ne veut pas croire que ces résultats aient pu être truqués volontairement, mais trouverait judicieux néanmoins de faire analyser de nouveaux tubes par un labo étranger « indépendant ».

Les médecins sont présentés comme des assassins

Le 1er mai, lors de la manifestation très agitée de Paris, le petit groupe récidive, cette fois dans un hall d’immeuble protégé des regards. « Des “gilets jaunes” nous attendaient à la porte, pour nous casser la gueule. » Car le groupe inquiète. Sur fond de guerre intestine au sein de SOS ONU, qu’Alex et les médecins ont quitté, une polémique a éclaté. Des vidéos des prélèvements circulent sur les réseaux sociaux, où les médecins sont présentés comme des assassins.On a suivi des « gilets jaunes » devenus black blocs

Les médias relaient les propos d’une « gilet jaune » prélevée accusant l’équipe d’avoir profité de sa faiblesse ; le Conseil national de l’Ordre des Médecins, interpellé, explique qu’il n’est pas interdit en soi d’effectuer une prise de sang dans la rue, mais que celle-ci obéit à certaines conditions. « Nos prélèvements ont été faits dans le respect de ces conditions de sécurité, et tous ceux qui ont donné leur sang ont signé un consentement éclairé », assurent les trois médecins de l’équipe. Une enquête préliminaire est ouverte. Au lycée d’Alex, le proviseur reçoit des messages dénonçant « l’illuminé ».

L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse
L’équipe réalise des analyses de sang au premier étage d’un fast-food de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin. (©Xavier Malafosse/Sipa Press / Xavier Malafosse

Avec cette tempête, certains dans le groupe prennent peur et abandonnent. Pas Alex, qui décide de repartir de zéro avec un noyau de téméraires. On leur reproche de prélever du sang chez les autres ? Ils le prélèveront sur eux-mêmes. Pas dans la rue, mais au premier étage d’un restaurant de Montpellier, transformé en hôpital de campagne clandestin (grâce à la complicité du gérant, pro- « gilets jaunes »). Ce jour-là, « l’Obs » était présent, et le fabricant suisse du cyanokit aussi, venu en personne surveiller l’opération. Cette fois, le taux de cyanure a pu être chiffré. Alex analyse :« On est passé de 0 ou 0,1 avant gazage à 0,7 aprèsle seuil de dangerosité étant fixé à 0,5. C’est bien le signe que le cyanure et le gaz sont liés ! »

Sauf que, pour les toxicologues, les chiffres de ce kit non homologué ne constituent pas une preuve officielle. Parallèlement, pour l’analyse du thiocyanate, Alex est allé déposer lui-même des tubes dans une prestigieuse université belge. Vingt-quatre heures de route. Les professeurs, manifestement intéressés, l’ont reçu longuement, mais leur labo s’est finalement déclaré incompétent. « Ils n’ont pas envie de se mouiller, ils savent qu’il y a l’Etat français en face », interprète Alex. Peur ou pas, il a fallu chercher ailleurs. Les Allemands ont hésité, puis l’ont renvoyé vers un labo anglais, qui a accepté. Les tubes sont arrivés… mais trop tard : « Pfff… ils étaient hémolysés », soupire Alex. Traduisez : trop datés.

Ils risquent la correctionnelle

Le feuilleton a continué, on vous en passe les épisodes. On retiendra quand même une analyse d’urine par « spectrométrie de masse », avec distribution de pots aux « gilets jaunes ». « Ils sont restés très méfiants. On a récolté deux urines seulement… dont la mienne », avoue Alex. Deux, c’est peu. Mais, à 50 euros l’analyse, il n’aurait pas pu en faire beaucoup de toute façon. Entre les cyanokits, les frais d’envoi, d’analyse et d’avocat, les trajets en voiture, le prof dit avoir dépensé quelque 5 000 euros, soit une bonne partie des économies qui devaient servir aux travaux d’installation dans son appartement.

Il le raconte avec son immuable sourire, nez et yeux plissés. Il dit qu’il s’en fiche. Ce qui l’embête davantage, c’est cette enquête préliminaire ouverte pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « recherche interventionnelle prohibée ». Début juillet, lui et les trois médecins ont été convoqués par la justice, et longuement interrogés. Ils risquent la correctionnelle. Ça devrait les refroidir ? Pourquoi s’acharner encore dans ce nid à emmerdes ? « On ne lâchera pas tant qu’une étude épidémiologique sérieuse ne prendra pas le relais. » Avec son trio de médecins, Alex va lancer un appel à la Haute Autorité de Santé. Et en attendant, il continue de creuser.A propos du gaz lacrymo

Le gaz lacrymogène est un composé chimique qui provoque une irritation des yeux et des voies respiratoires. Comme toute arme chimique, son utilisation est interdite dans le cadre d’un conflit armé par la Convention internationale de Genève (1993). Paradoxalement, cette interdiction ne s’applique pas au cadre du maintien de l’ordre public.

Il existe plusieurs sortes de gaz. En France, les forces de l’ordre utilisent du CS (chlorobenzylidène malononitrile), et ce de plus en plus massivement, comme l’ont montré les manifestations de ces dernières années. La dangerosité de ce gaz est proportionnelle à sa concentration et aux conditions de son utilisation. Officiellement, il n’est pas létal, mais des décès ont été rapportés après une utilisation en lieu clos, comme lors dusiège de Waco en 1993 aux Etats-Unis, ou encore en Egypte et à Bahreïn lors de soulèvements de population.

En France, « la concentration de CS dans les grenades est de 10% », nous dit la direction générale de la police, qui précise : « Cela fait plus de vingt ans qu’on utilise ces gaz, s’ils avaient été dangereux, on en aurait été les premières victimes, et les syndicats l’auraient dénoncé. »

Emmanuelle Anizon

Qu’est-ce que l’on inhale quand on respire du gaz lacrymogène ?

Lien vers l’article

23/12/2019 (MIS A JOUR 18:16)
Par Pierre Ropert

Depuis des mois, les manifestants inhalent à plein poumons du gaz CS, qu’on retrouve dans les grenades lacrymogènes. Mais quelles en sont les conséquences et les dangers pour l’organisme, alors qu’un chercheur alerte sur la possible création de molécules de cyanure après avoir respiré ces gaz ?

Un manifestant tente d'échapper aux gaz lacrymogènes en se couvrant les yeux, lors du mouvement social du 5 décembre 2019.
Un manifestant tente d’échapper aux gaz lacrymogènes en se couvrant les yeux, lors du mouvement social du 5 décembre 2019.• Crédits : Bulent Kilic – AFP

Avec cinquante ans d’utilisation derrière lui, on pourrait s’imaginer qu’une documentation scientifique complète consacrée aux effets du gaz lacrymogène est accessible. Pourtant, en France, peu d’études se sont penchées sur le sujet, et il faut se tourner du côté des rapports anglo-saxons pour en apprendre un peu plus sur les conséquences possibles de l’absorption de gaz lacrymogène, ou gaz CS.

Le gaz CS, ou 2-chlorobenzylidène malonitrile, a pourtant près d’un siècle d’existence. Inventé dès 1928 par les chimistes américains Ben Corson et Roger Stoughton, dont il porte les initiales, il est synthétisé dès les années 1950 dans une version proche de celle qu’on utilise encore aujourd’hui. Il succède alors à un autre gaz, la chloroacétophénone, pour ses « vertus » : il est à la fois moins toxique et « ses effets irritants sont plus prononcés et plus variés« .

Son but ? Des effets incapacitants immédiats 

En manifestation, l’utilisation du gaz lacrymogène par les forces de l’ordre se traduit la plupart du temps par des scènes où les manifestants reculent pour échapper aux fumées blanches, toussant, pleurant et tentant de se protéger le visage. Et pour cause, l’effet du gaz CS est quasiment instantané : il touche avant tout les yeux et provoque, en quelques dizaines de secondes à peine, une activation des voies lacrymales. Une fois inhalé, il irrite les voies respiratoires, déclenchant de violentes quintes de toux pouvant aller, selon les doses, jusqu’à des vomissements. Il peut également provoquer de fortes démangeaisons ou sensations de brûlures quand il entre en contact avec la peau. Autant d’effets qui viennent neutraliser les personnes exposées en les contraignant à se déplacer, ou en les empêchant de résister à une attaque.

Chimiquement, l’effet du gaz CS est simple à comprendre : ses molécules viennent se lier aux récepteurs de notre corps impliqués dans la perception de la douleur et chargés de détecter les produits toxiques, les TRPA1 et TRPV1. L’organisme se met alors à produire du mucus, des larmoiements ou encore à déclencher des toux, dans un violent réflexe de rejet de ce qu’il considère comme toxique.

« L’action des agents anti-émeute est presque immédiate. Les symptômes apparaissent quelques secondes après la dispersion du toxique et ne persistent que quelques minutes après la fin de l’exposition« , détaillent les chercheurs A. Gollion, F. Ceppa et F. May dans un rapport intitulé Toxicité oculaire des agressifs chimiques publié par la revue Médecine et armées

De potentiels effets à long terme

Nausées, sensations de brûlures, conjonctivites, difficultés respiratoires, voire même évanouissements (y compris chez les forces de l’ordre)… Les effets principaux des gaz lacrymogènes sont bien connus et sont réputés pour se dissiper rapidement, une fois les victimes sorties du nuage de gaz lacrymogène. Cependant, les conséquences sur le long terme du gaz CS sont très peu étudiées en France, alors même qu’il existe une bibliographie conséquente sur le sujet à l’étranger. En 2017, une revue de 31 études dans 11 pays, intitulée L’Impact sur la santé des irritants chimique utilisés pour le contrôle des foules : une revue systématique des blessures et morts causées par les gaz lacrymogènes et les sprays au poivre recensait ainsi 5 131 personnes blessées sur les 5 910 personnes exposées aux gaz irritants ayant sollicité des soins médicaux, soit 87 % des personnes concernées. En tout, 9 261 blessures avaient ainsi été recensées, l’essentiel d’entre elles étant localisées sur les yeux, la peau, et le système cardio-pulmonaire. Si l’étude rappelait que dans l’immense majorité des cas (98,7 %) les victimes avaient rapidement récupéré de leurs blessures, 67 personnes (1,3 %) souffraient de dommages permanents. 

  • Les yeux : conjonctivite, kératite et cataracte

Les yeux sont, de fait, la cible principale des gaz lacrymogènes. Ils sont les plus rapidement et directement touchés par les émanations, qu’elles proviennent des grenades ou des sprays. A priori, l’impact du gaz CS est assez faible et les séquelles disparaissent vite dans le temps. Mais une documentation anglophone complète montre que, lorsque la source du gaz est très proche des yeux, il peut exister des complications, les plus fréquentes d’entre elles étant des cas de conjonctivites ou encore de blépharospasme (des clignements répétés des paupières). Dans de rares cas, des effets à long terme peuvent être autrement plus handicapants : le docteur en ophtalmologie de l’hôpital Saint Thomas de Londres notait ainsi dès 1995 de possibles complications avec entre autres des kératites infectieuses (des lésions de la cornée), des glaucomes secondaires ou encore de la cataracte. 

« À des concentrations plus élevées, des brûlures chimiques accompagnées d’une kératite, d’une perte de l’épithélium cornéen et d’une diminution permanente de la sensation cornéenne peuvent être observées, précise le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du QuébecLe CS étant un composé solide, il se peut que des particules s’enfoncent dans la cornée ou la conjonctive, causant des dommages tissulaires. L’œil humain est plus sensible au CS en aérosol par rapport au CS en solution. L’ensemble des effets oculaires est plus sévère chez les individus portant des lentilles cornéennes ».

  • La peau : démangeaisons, érythème et brûlures

Les démangeaisons et rougeurs provoquées par le gaz CS sur la peau, si elles sont la plupart du temps bénignes, peuvent également avoir de sérieuses conséquences. Une étude de la faculté de médecine de Thessalie, en Grèce, publiée en 2015 et intitulée Exposition à l’agent anti-émeute CS et effets potentiels sur la santé : examen systématique des données probantes liste ainsi les effets les plus communs, pouvant durer de quelques heures à deux semaines, en citant de nombreuses autres études : 

Les signes cutanés courants sont de l’érythème, des éruptions cutanée ou des ampoules, des sensations de brûlure cutanée, des irritations cutanées avec ou sans douleur et des brûlures.

De nombreux cas de dermatites ou d’eczéma, particulièrement dans le cas de réactions allergiques, sont également signalés. 

  • Le système respiratoire : une fragilisation globale ?

A en croire les études, le système respiratoire est certainement le plus touché, sur le long terme, par les effets du gaz CS. Selon le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du Québec, après une exposition au gaz CS, les premiers symptômes (irritation de la gorge, des poumons, éternuements, toux, etc.) “peuvent être suivis de maux de tête, de brûlures de la langue et de la bouche, d’une salivation et de difficultés respiratoires (après délai) et d’une sensation d’oppression (à de fortes concentrations)”.

Une étude de l’université et faculté de médecine d’Istanbul, en Turquie, s’est d’ailleurs penchée sur les effets à long terme des gaz lacrymogènes sur le système respiratoire : elle concluait que, chez les sujets exposés, certains troubles étaient 2 à 2,5 fois plus élevés que la moyenne, comme l’oppression thoracique, les difficultés de respiration ou la toux hivernale. Les sujets étaient également plus sensibles à un risque de bronchite chronique plus élevé. Une exposition prolongée ou excessive au gaz peut également être à l’origine d’un œdème pulmonaire.

Si on a fait de gros dégâts sur les voies respiratoires, ça va rester. La muqueuse est plus sensible à toutes les infections, et les virus et bactéries vont avoir un terrain beaucoup plus propice pour se développer. Le chercheur Alexander Samuel

Des "street medics" accompagnent une manifestante touchée par des gaz lacrymogènes, lors de manifestations à Toulouse.
Des « street medics » accompagnent une manifestante touchée par des gaz lacrymogènes, lors de manifestations à Toulouse.• Crédits : Getty

Une arme létale en intérieur 

En 2012, au Bahreïn, les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes pour réprimer des manifestations politiques. L’ONG Physicians for human rights relate dans un rapport que plusieurs femmes ont subi une fausse couche après avoir été exposées au gaz lacrymogène et  qu’un homme asthmatique a trouvé la mort. Certaines personnes sont en effet plus vulnérables aux effets de ces gaz, comme les enfants, les personnes âgées, les personnes asthmatiques ainsi que les femmes enceintes. 

Sous certaines conditions, le gaz CS peut même s’avérer mortel. Les grenades lacrymogènes sont en effet prévues pour être diffusées dans des endroits aérés, permettant d’éviter une saturation de l’air en 2-chlorobenzylidène malonitrile. Mais dans un lieu clos, il serait possible d’atteindre “la concentration de CS qui serait létale pour 50 % des adultes en bonne santé, estimée entre 25 000 et 150 000 mg/m³ par minute” selon une estimation du rapport publié en 1989 dans The Journal of the American Medical Association : Gaz lacrymogènes : un agent de contrôle ou une arme chimique toxique ?

Lorsqu’une grenade lacrymogène explose en extérieur, le centre du nuage de gaz peut atteindre une concentration en 2-chlorobenzylidène malonitrile oscillant entre 2 000 à 5 000 mg/m³. En intérieur, la concentration augmente donc rapidement. Ainsi en 2014, en Egypte, des grenades lacrymogènes tirées à l’intérieur d’un camion transportant des prisonniers ont provoqué la mort de 37 détenus

A Notre-Dame-des-Landes, en 2018, une zadiste marche au milieu des gaz lacrymogènes.
A Notre-Dame-des-Landes, en 2018, une zadiste marche au milieu des gaz lacrymogènes.• Crédits : LOIC VENANCE – AFP

Des intoxications au cyanure ?

Depuis plusieurs mois, une autre inquiétude agite cependant les manifestants, gilets jaunes en tête, qui dénoncent de possibles intoxications au cyanure suite à des inhalations de gaz lacrymogènes. Cette théorie est avancée par le docteur Alexander Samuel : selon lui, la métabolisation du CS après son absorption entraînerait la formation de ce poison dans notre organisme.

Cette hypothèse divise les chercheurs qui estiment ou bien qu’il n’est pas possible de métaboliser suffisamment de cyanure pour que les quantités deviennent dangereuses, ou bien que les méthodes de prélèvement en manifestation ne sont pas fiables. 

Pour Alexander Samuel, le premier argument n’a plus lieu d’être étant donné le changement de paradigme : 

Le problème aujourd’hui c’est qu’on n’est plus à lancer une grenade avec un seul palet, avec des manifestants à 20 mètres du palet. On en est à une fête de la musique avec Steve Maia Caniço par exemple, où il y a 33 grenades jetées en 20 minutes… Ça change les doses, ça change les expositions. Ce sont des expositions beaucoup plus fortes, avec des effets beaucoup plus lourds sur la santé et, sur le long terme, ce qui m’inquiète ce sont les taux de cyanure totalement passés à la trappe, qui peuvent provoquer des cirrhoses du foie, des calculs rénaux, des problèmes au niveau des reins et des problèmes neurologiques, comme Parkinson par exemple.

Pour pallier le scepticisme de certains spécialistes, Samuel Alexander, diplômé d’un doctorat en biologie, lui-même ayant cru ayant d’abord cru à une « fake news », est en train de préparer un rapport complet, doté d’une large bibliographie, que nous avons pu consulter. Il s’est entouré d’autres chercheurs sous la tutelle du chimiste spécialisé en toxicologie André Picot. Directeur honoraire au CNRS et président de l’Association Toxicologie-Chimie, c’est un soutien de poids :

Le CS est une molécule organique : ça signifie qu’elle contient du carbone et de l’hydrogène. Ces hydrocarbures composent le corps de base. C’est un peu difficile pour les non-chimistes à comprendre, mais […] concernant l’effet lacrymogène, tout se joue sur la libération d’une molécule, le malonitrile. Elle contient trois atomes de carbone et deux atomes de cyanure reliés à un atome de carbone. Cette molécule intermédiaire est utilisée pour faire des synthèses en chimie organique, elle est lacrymogène et peut être très toxique. Quand le gaz CS arrive en milieu aqueux, par exemple dans le sang, l’eau va se fixer dessus. Cette hydratation va rendre cette molécule CS, elle-même déjà instable, encore plus instable. Elle va ainsi  être attaquée par des systèmes d’enzymes qu’on a dans le sang, qui vont l’oxyder. Cela va libérer le malonitrile [de la molécule CS, soit 2-chlorobenzylidène malonitrile, ndlr] qui à son tour, toujours par oxydation, va libérer du cyanure. Au final, pour une molécule de gaz CS vous libérez dans le sang une molécule de cyanure.

Une fois la molécule libérée dans le sang, elle va être assimilée par l’organisme, détaille André Picot : “C’est ce qu’on appelle la métabolisation. C’est soumis, bien entendu, à des contrôles génétiques. Et les individus sont inégaux, en général, devant cette métabolisation. Il peut y avoir des personnes qui vont réagir très vite à ce produit et avoir des effets toxiques du cyanure, alors que d’autres vont résister. Cette susceptibilité individuelle est très importante, parce qu’elle explique pourquoi vous en avez qui peuvent être très malades et d’autres qui tous les samedis montent sur les barricades et n’ont pas vraiment de symptômes. »

Un manifestant au milieu d'un nuage de gaz lacrymogène, lors des manifestations du 1er mai 2019.
Un manifestant au milieu d’un nuage de gaz lacrymogène, lors des manifestations du 1er mai 2019.• Crédits : Martin Bureau – AFP

Pourquoi ce cyanure est-il dangereux ? Parce qu’il bloque la respiration cellulaire explique le toxicochimiste, le processus qui permet de fournir de l’énergie à notre organisme. Ce faisant, il asphyxie les cellules indispensables à notre survie : 

Il y a trois organes qui sont très sensibles à la respiration cellulaire et ce sont ceux qui bossent le plus. Il y a le cerveau et donc l’asphyxie cérébrale commence d’abord par des maux de tête, de la fatigue, des dépressions, etc. Vous avez le cœur parce que c’est un moteur et il a besoin de carburant. Donc, vous allez avoir des troubles cardiovasculaires, des palpitations, vous allez peut-être vous évanouir, etc. Et puis, il y en a un autre qui est sensible aussi, c’est l’œil, la rétine. La rétine travaille beaucoup et il semblerait que dans le cas du cyanure c’est le cristallin, cette lentille, qui prend un coup. On ne sait d’ailleurs pas exactement pourquoi, étant donné qu’elle n’est pas oxygénée. 

La formation de cyanure après une exposition au gaz CS n’a rien d’une surprise. Elle a d’ores et déjà été démontrée et étudiée chez les animaux, raconte André Picot :

Chez les rongeurs, c’est très bien démontré qu’une molécule de gaz CS, lors de sa dégradation, libère une molécule de cyanure. Les détracteurs de cette libération de cyanure à partir du gaz CS, disent que dans les expériences chez les animaux, il n’y a qu’une petite quantité de cyanure, et que, par ailleurs, rien n’est prouvé chez l’homme. Ils sont un peu de mauvaise foi parce qu’il y a eu quelques études avant. Il n’y en a pas beaucoup bien sûr, par rapport aux études expérimentales, c’est évident. Mais les armées, la police, ont des données précises auxquelles nous n’avons pas accès. On aimerait bien avoir accès à ce genre de données, c’est tout l’enjeu.

Une fois dans le sang, le cyanure peut cependant être métabolisé par l’organisme. Et pour cause, il existe à l’état naturel : on en retrouve par exemple dans le manioc ou le laurier rose, et le corps sait donc s’en prémunir. Les fumeurs en absorbent également de manière régulière sans que cela ne les tue directement. Notre organisme est ainsi capable de détoxifier le cyanure en lui ajoutant un atome de soufre grâce à la rhodanèse, une enzyme présente dans la salive et dans le foie. Cette opération crée le thiocyanate, ensuite éliminé par filtration rénale dans les urines. C’est avec ce biomarqueur qu’on peut déterminer l’augmentation ou non des taux de cyanure… Sans connaître pour autant son origine précise : consommer du manioc la veille peut par exemple fausser les résultats.

C’est tout d’abord en se basant sur des mesures des taux de thiocyanates qu’Alexander Samuel et son équipe ont cherché à déterminer s’il existe un risque pour l’homme. Les premiers résultats, pris sur des manifestants gilets jaunes en marge des manifestations, ont permis de découvrir des taux de thiocyanates qui, s’ils n’étaient pas dangereux, restaient anormalement élevés. Un constat qui les a amené à mesurer, avec des cyanokits, le taux de cyanure directement dans le sang avant exposition au gaz CS, entre cinq et quinze minutes après l’exposition, puis vingt minutes après cette dernière (ce qui a par ailleurs déclenché l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, malgré les autorisations de consentement signées par les manifestants). Ces tests, réalisés sur neuf individus, ont permis de réaliser que le niveau de cyanure, après exposition au gaz lacrymogène, atteignait des niveaux supérieurs au seuil de dangerosité de 0,5 mg/L de sang (il est considéré comme létal à 1 mg/L).

L’échantillonnage peut paraître faible, mais pour Alexander Samuel il ne s’agit pas d’un problème dans le cas présent :

La force statistique est nécessaire lorsque l’on fait de l’épidémiologie, par exemple si on veut relier un symptôme (cancer) avec un comportement (fumer). Dans le cas précis de la métabolisation en cyanure, il n’est pas nécessaire d’avoir une telle force statistique puisqu’on étudie un mécanisme et non une corrélation. Les “case report” médicaux ne se font que sur des cas uniques, l’étude du décontaminant utilisé massivement par la police, par exemple, se base sur une étude menée sur cinq gendarmes.

Cependant je n’ai rien contre davantage de résultats et de vérifications, si le Parquet de Paris nous indique qu’il classe l’affaire concernant les prises de sang sans suites et qu’on a bien le droit d’en faire sans qu’elles ne soient considérées comme des « violences aggravées » et des « mises en danger de la vie d’autrui », ou si une autorité compétente décide d’enfin mettre à disposition un spectromètre de masse par exemple. A l’heure actuelle, nous sommes totalement bloqués pour les analyses terrain.

Face à ce qu’il juge être un enjeu de santé public, Alexander Samuel espère que le travail mené, qui sera publié d’ici quelques semaines, permettra d’appliquer “un principe de précaution” ou, a minima, “la formation des forces de l’ordre pour que leur discernement soit meilleur sur les risques potentiels (même hors cyanure) lorsqu’ils emploient ces grenades lacrymogènes”. D’autant que les forces de l’ordre sont, souvent, des victimes collatérales des effets des gaz lacrymogènes : 

Chlorobenzylidène malonitrile et TNT ? Des compositions méconnues

Mais à l’exception du gaz CS, que contiennent, au juste, et dans quelles proportions, les grenades lacrymogènes ? Leur « recette » reste un mystère : en France, on ignore leur composition exacte. Deux entreprises françaises fournissent les forces de l’ordre, Nobelsport et Alsetex. Contactées, la première fait savoir que « la direction ne souhaite pas répondre sur ce sujet » et la seconde ne répond pas plus. Il faut se tourner du côté du collectif militant « Désarmons-les » pour trouver un portait assez précis de la composition d’une grenade lacrymogène : 

O-Chlorobenzalmalononitrile (CS) : agent lacrymogène et irritant, il provoque le larmoiement et irrite les muqueuses du nez, de la gorge et de la peau en général.
Charbon : lors de la combustion, il se transforme en carbone pur.
Nitrate de potassium (salpètre) : lors de l’allumage, il dégage de grandes quantités d’oxygène pur qui alimentent la combustion du charbon.
Silicone : lors de la combustion du charbon et du nitrate de potassium, le silicone forme des gouttes de dioxyde de silicone qui vont servir à allumer les autres composants.
Sucre : carburant, il fond à 186°C, chauffe et vaporise le produit chimique sans le détruire. Il entretient également la combustion en s’oxydant.
Chlorate de potassium : oxydant. En chauffant, il libère une forte quantité d’oxygène pur et se transforme en chloride de potassium, qui produit la fumée de la grenade.
Carbonate de magnésium : le chlorate de potassium ne s’entendant pas avec l’acide (le mélange est explosif), le chlorate de magnésium maintient les niveaux de pH légèrement basiques, neutralisant tout contenu acide causé par des impuretés chimiques ou de l’humidité. Lorsqu’il est chauffé, il dégage du CO2, dispersant davantage les gaz lacrymogènes.
Nitrocellulose : explosif fulminant. Lors de la combustion, elle dégage de grandes quantités de gaz et de chaleur. Faible en azote, elle sert aussi de liant collant pour garder tous les autres ingrédients mélangés de manière homogène.

En réalité, parler de « gaz CS » est un écart de langage : le 2-chlorobenzylidène malonitrile n’est pas tant un gaz qu’une poudre blanche qui se volatilise dans l’air lorsque la grenade lacrymogène se déclenche. La plupart des composants d’une grenade lacrymogène ont donc pour but d’assurer la diffusion du gaz CS, responsable des effets irritants et lacrymaux. « Ce ne sont, en général, pas du tout du tout des produits toxiques, précise à ce sujet le chimiste spécialisé en toxicologie André Picot, président de l’Association Toxicologie-Chimie. Les grenades sont à base de gaz CS et le reste, après, c’est pour la propulsion et la stabilisation, car c’est une molécule instable« .

Aux côtés des grenades lacrymogènes « classiques » qu’elles soient à main ou non, on trouve également un modèle de grenade bien particulier, la GLI-F4, une grenade lacrymogène assourdissante à effet de souffle créée par la société Alsetex. Elle utilise quant à elle 26 grammes de TNT pour produire une explosion tout en diffusant le gaz CS. Elle est notoirement connue pour être à l’origine de plusieurs cas de mutilations et des collectifs d’avocats ont demandé, jusqu’ici sans succès, son interdiction pure et simple. Si la grenade n’a pas été interdite, le gouvernement a en revanche fait savoir qu’elle ne serait plus fabriquée. De son côté, le docteur en biologie Alexander Samuel, en l’absence de données fournies par Alsetex et Nobelsport, s’appuie sur l’ouvrage « The Preparatory Manual of Black Powder and Pyrotechnics » de J. Ledgard pour connaître les composants des grenades lacrymogènes dans leur version américaine :

La principale recette connue implique l’utilisation de 45% d’ ortho-chlorobenzylidène malononitrile [ou CS, ndr], 30% de chlorure de potassium, 14% de résine époxy, 7% d’acide maléique anhydre et 3% de 4,7-méthanoisobenzofuran-1,3-dione.

Le chercheur précise que, globalement, ces produits ne sont pas dangereux ou bien ont, a priori, des effets similaires et/ou moindres que ceux déjà provoqués par le gaz CS dans des conditions d’utilisation « normales ». C’est donc bel et bien le 2-chlorobenzylidène malonitrile qui est le principal agent chimique à l’origine des réactions de l’organisme. 

Enfin, les gazeuses à main, utilisées par les forces de l’ordre, permettent d’asperger des manifestants directement au contact. Certains modèles utilisent un gaz créé à partir de la  capsaïcine, un principe actif du piment : là où, sur l’échelle de Scoville, qui mesure la force des piments, la sauce Tabasco rouge se situe entre 1 500 et 2 500 unités, les bombes aérosols des forces de l’ordre montent à plus de 5 millions d’unités… 

En France, on privilégie cependant le gaz CS à la capsaïcine. En 1998, les aérosols utilisés par les forces de l’ordre contenaient ainsi 5 % de gaz CS, quand aux Etats-Unis la dose se situe autour de 1 %. Faute d’informations, il est difficile de connaître aujourd’hui la contenance exacte de 2-chlorobenzylidène malonitrile dans les aérosols mais en 1996, la police britannique, qui s’était munie d’aérosols fournis par l’entreprise Alsetex, a conduit des tests afin de s’assurer que les sprays acquis ne dépassaient pas les 5 %… avant de réaliser que leur concentration en CS se situait entre 5,4 % et 6,8 %. Face aux récriminations, Alsetex a reconnu, dans une note de février 1997, que l’entreprise ne mesurait pas les concentrations de gaz CS, avant de s’engager à durcir les contrôles. Sans qu’il soit possible de vérifier si des protocoles ont été mis en place depuis, faute de réponses. 

Dans un article de Libération, un cadre de la société Alsetex précisait néanmoins que le dosage des grenades lacrymogènes obéit à une réglementation officielle qui veut qu’il n’y ait pas plus de 20 % de CS dans les grenades. Une concentration « 2 600 fois plus faible que la dose létale« , selon le guide toxicologique de l’Institut national de santé publique du Québec. En France, on ignore néanmoins si les autorités vérifient les concentrations de gaz CS émises par les grenades lacrymogènes ou les aérosols. Nos tentatives de contacter la gendarmerie pour être mis en relation avec des spécialistes du sujet sont restées sans réponses. 

Dans un rapport remis en 1999 au Parlement européen intitulé Une évaluation de la technologie de contrôle politique _(« _An Appraisal of the technology of political control »), le Dr Steve Wright, professeur à The School of Applied Global Ethics de l’université de Leeds au Royaume-Uni et ancien directeur de l’Omega Fondation, qui travaillait avec la Commission européenne pour traquer les ventes d’armes technologiques à des régimes autoritaires, retenait toutefois que « la gendarmerie française ne conservait pas de statistiques ou d’enregistrements à propos du CS afin de suggérer que ce dernier est sûr« .

Pierre Ropert

VIOLENCES POLICIÈRES ET GAZ LACRYMOGÈNE : 50 ANS QU’ON PARLE DE L’INTERDIRE

Lien vers l’article

15/07/2019 (MIS À JOUR LE 14/06/2019 À 18:16)Par Chloé Leprince

Le 29 juin, à Paris, le commandant des CRS en charge de l’évacuation de militants écologistes à coups de gaz lacrymogène a carrément perdu connaissance. La controverse sur l’usage de ce gaz remonte à Mai 68, même si l’histoire a conservé une vision édulcorée et un brin folklorique de l’événement.

Le 23 mai 1968, à Paris, du côté du Quartier latin
Le 23 mai 1968, à Paris, du côté du Quartier latin• Crédits : AFP

Le document est à la fois suffisamment rare et suffisamment explicite pour qu’il imprime la rétine : Médiaparts’est procuré le rapport de police qui relate par le menu les événements du 29 juin, sur le Pont de Sully, en plein centre de Paris. Ce jour-là, des militants du mouvement de désobéissance civile « Extinction Rebellion » avaient été délogés du pavé parisien à coups de tirs de gaz lacrimogène dont la violence frappait à la vue de ces images, qui ont beaucoup tourné :

Clément Lanot@ClementLanot

PARIS – Des militants pour le climat bloquent un pont dans la capitale pour alerter sur l’urgence climatique2 02613:39 – 28 juin 20191 150 personnes parlent à ce sujetInformations sur les Publicités Twitter et confidentialité

Grâce au document que les CRS missionnés sur le terrain destinaient à leur hiérarchie, on peut désormais objectiver la charge :

13 h 06 : premières sommations par TI [technicien d’intervention].      
13 h 12 : réitération des sommations.      
13 h 14 : utilisation à quatre reprises de conteneurs lacrymogènes.      
13 h 35 :  malaise avec perte de connaissance par suffocation de gaz lacrymogène d’un container du CDTD [commandant]. 

Ce 29 juin, entre 13 h 14 et 13 h 39, cinq litres de gaz (soit dix conteneurs) ont été pulvérisés en tout. A quelques centimètres des manifestants assis, et au point que le commandant en charge des opérations s’en soit évanoui, à force de suffoquer. Maître Vincent Brengarth et Maître William Bourdon, les deux avocats du mouvement écologiste noyé sous les gaz le 29 juin sur le Pont de Sully, ont saisi le Défenseur des droits afin d’obtenir une enquête. Dans leur recours, ils explicitent le lien entre cet épisode de réplique massive des forces de l’ordre et une demi-année d’escalade dans le maintien de l’ordre en France. Entre la mi-novembre 2018 et début juin 2019, 23 personnes ont ainsi été éborgnées et cinq autres ont par exemple perdu une main lors des manifestations de « gilets jaunes »

Ces chiffres esquissent un premier bilan d’affrontements qui se sont radicalisés sur le bitume. Et sont surtout le résultat d’une équation : l’usage du LBD, la fameuse nouvelle génération de « flashballs », comme celui des grenades de désencerclement, a bondi de 200% en 2018 – et tout particulièrement à partir de la mi-novembre, date des premières mobilisations nationales des « gilets jaunes ».

Le point presse tenu par Brigitte Jullien, la patronne de l’IGPN (« la police des polices ») ce jeudi 13 juin, fournit des chiffres au débat sur les violences policières. Ainsi, on apprend que plus de la moitié des munitions tirées en 2018 (trois à quatre fois plus que l’année précédente) ont été dégoupillées entre le 17 novembre et le 31 décembre – soit 9 500 projectiles LBD et quelque 2 700 grenades. 

Conséquence d’un maintien de l’ordre qui s’est durci, mais aussi de manifestants qui désormais s’équipent et s’organisent pour documenter les affrontements : le nombre de plaintes a explosé. Entre le 17 novembre et le 13 juin, Brigitte Jullien dénombre 265 enquêtes ouvertes par l’IGPN. 40% ont été transmises à la justice et, à ce jour, huit informations judiciaires ont été ouvertes (par exemple le médiatique Jérôme Rodrigues ou encore la scène du 1er décembre dans un Burger King à Paris). De nombreux dossiers restent à traiter, et pour toute la France, l’IGPN ne compte qu’une grosse centaine d’inspecteurs.

Alors que pendant plusieurs mois, le journaliste David Dufresne s’étonnait d’être si isolé à épingler une à une les scènes qui remontaient jusqu’à lui via les réseaux sociaux, les violences policières depuis le début de la mobilisation des “gilets jaunes” sont devenues un sujet de premier plan. Dans les médias, on voit apparaître des décomptes ville par ville sur les procédures en cours, comme l’a fait Le Parisien. Décomptes encore partiels, à mesure que les plaintes officielles pour violences policières sont enregistrées et remontées comme telles.

A l’exception évidente de Zineb Redouane, l’octogénaire marseillaise morte après avoir reçu, chez elle, dans son appartement du quatrième étage, des plots de grenade le 1er décembre, ce sont les blessés eux-mêmes qui portent plainte, en leur nom propre. Ce sera leur témoignage, à charge, qui sera consigné dans les dossiers de la police, puis la justice. C’était moins vrai en mai 68. Aux archives de la Préfecture de Police de Paris, les 36 cartons consacrés à la révolte universitaire puis ouvrière en région parisienne sont accessibles uniquement sur dérogation. Mais des chercheurs ont pu les consulter, pour finalement questionner l’image lisse, presque pittoresque, qui s’était installée sur Mai 68.

Sept morts pour un « carnaval bourgeois »

Car on a commencé par beaucoup répéter qu’il n’y avait eu aucun mort en 1968. Ou encore repris les mots de Raymond Aron, pour qui l’insurrection étudiante tenait surtout d’un “carnaval” bourgeois, d’un “folkore”. En réalité, les travaux sérieux s’accordent pour dire aujourd’hui que les manifestations de mai et juin 1968 ont fait sept morts, et l’historienne Michelle Zancarini-Fournel ne cesse de rappeler combien on a enrubanné le récit des affrontements du printemps 1968.

Si la question des violences policières semble avoir disparu de la photo, c’est parce que ces violences ont été gommées à mesure qu’on édulcorait la haute conflictualité dont les affrontements avaient témoigné. Pourtant épinglées pratiquement en temps réel par les tracts et les affiches qui sortaient des presses de l’Atelier populaire de l’Ecole des Beaux-Arts, la trace de ces violences s’est émoussée à mesure que l’iconographie de mai 68 se glamourisait.À LIRE AUSSI« Interdit d’interdire », « CRS SS »… l’histoire de l’Atelier populaire derrière les affiches de Mai 68

Or il existe un petit livre, quatre-vingt pages en tout, qui témoigne du fait qu’il fut bien, massivement, question de violence au printemps 1968 : c’est Le Livre noir des journées de Mai 68. Son édition originale montre qu’il sera imprimé très vite après les événements (dès le deuxième trimestre de l’année 1968). On peut encore le croiser chez les bouquinistes, même s’il s’en vend actuellement six exemplaires à partir de 2 euros pièce sur Internett. Le livre, publié au Seuil dans la collection “Combats” dirigée par Claude Durand (trois titres seulement avant celui-ci), est signé UNEF / SNE Sup, mais il rassemble aussi bien des extraits des journaux de l’époque que des témoignages anonymisés, parfois très détaillés. 

Au troisième paragraphe d’une introduction anonyme elle aussi, on lit :

Les dépositions spontanées ici rassemblées ont été recueillies par une commission de témoignages avec la participation de l’Union nationale des étudiants de France (U.N.E.F), du Syndicat national de l’enseignement supérieur (S.N.E. Sup.) et d’un comité de secours aux victimes.

Puis :

Par prudence, dans les circonstances actuelles, il a fallu laisser ces témoignages anonymes. L’original et des copies de toutes les déclarations figurant dans ce livre ont été déposés, dûment signés, en lieux sûrs.

La première grande journée de confrontation date du 3 mai 1968. Ce jour-là, l’UNEF a appelé à faire grève et à manifester au départ de Denfert-Rochereau, à Paris. Dans un article sur les perceptions et les pratiques de la police en mai et juin 1968 à Paris, Lyon, Saint-Etienne et Roanne, Julian Mischi cite depuis les archives ce rapport qu’un commissaire manifestement dépassé fait remonter au préfet de police dès le lendemain : 

Violemment prises à partie, les formations, sur lesquelles pleuvent pavés et projectiles les plus divers, maintiennent difficilement à distance les manifestants à l’aide de grenades lacrymogènes et engins lanceurs d’eau. […] La prise de la première barricade a été longue et à certains moments, dramatique. Notre équipement personnel de protection est devenu insuffisant. Notre équipement collectif de protection l’est également pour charger dans de telles conditions. Il eût fallu pouvoir avancer à l’abri de véhicules spéciaux jusqu’au contact et je précise que la tentative qui a été faite avec deux tonnes à eau a échoué. Il est objectif de dire que nous avons dû reculer d’environ 75 mètres sur la contre attaque des manifestants.

« Vrais manifestants » ou violents infiltrés anarchistes ?

Et puis, très vite, les notes qui remontent vers la préfecture de police tentent de trier entre “vrais manifestants” et “groupes organisés pour le combat de rue encadrés par des personnes plus âgées”. Les documents du moment montrent qu’on a cherché à souligner, ici ou là, la présence de “drapeaux noirs anarchistes”, comme certains cherchent à départir “vrais gilets jaunes” et “éléments violents infiltrés” depuis novembre 2018 – une façon de délégitimer la lutte en la dépouillant de sa portée politique et en la criminalisant, décryptait Vanessa Codaccioni dans La Grande table, le 5 avril 2019. En filigrane dans les archives de 1968, on lit des notes qui exonèrent les forces de l’ordre d’un usage illégitime de la force.À ÉCOUTER AUSSIRéécouter Maintien de l’ordre ou criminalisation de la contestation ?33 MINLA GRANDE TABLE (2ÈME PARTIE)Maintien de l’ordre ou criminalisation de la contestation ?

La nuit du 10 au 11 mai 1968 restera comme “la nuit des barricades” – ou plutôt, la première nuit des barricades. Le Livre noir de l’UNEF rapporte, depuis les flancs du Panthéon, des grenades lancées par les forces de l’ordre “sur les fenêtres de la salle D” à l’intérieur-même de l’Ecole nationale supérieure, ce balcon rue Gay-Lussac d’où l’on interpelle des CRS pour leur brutalité, et qui en réponse se fait arroser d’un tir de grenade. Ou encore, ce récit :

J’ai vu, samedi matin vers 5 h 45, un membre des forces de l’ordre attaquer un passant et le matraquer brutalement, à l’angle de la rue Pierre Curie et de la rue d’Ulm. Ce passant se contentait de regarder les dégâts.

Au fil des témoignages dont les journaux se font l’écho à l’époque, on découvre ceux de soignants qui dénoncent l’entrave au soins, comme des street medics ont pu le faire certains samedis de manifestations, depuis l’automne 2018. À LIRE AUSSISAVOIRS »Street medics » : les Black Panthers derrière le sérum physiologique aux « gilets jaunes »

Le témoignage d’un interne en médecine empêché

Plusieurs street medics mobilisés sur le bitume se sont plaints d’avoir eux-mêmes été pris pour cible. Ce ne fut pas le cas de Bernard Pons en 1968. Simple homonyme du ministre RPR du même nom, ce Pons-là est interne en médecine lorsqu’éclate Mai 68 dans Paris. Rapidement, il a témoigné : les coups au ventre, les brimades, l’hyperviolence sur des manifestants mains nues. Et puis aussi, de longues négociations pour obtenir le droit soigner. Tout est consigné sur une bande vidéo, précieuse à cinquante ans de distance. C’est grâce à un documentaire tourné dans le feu de l’action par Jean-Luc Magneron, Mai 68 La Belle ouvrage, qu’on redécouvre aujourd’hui ces descriptions minutieuses. Voici par exemple comment Bernard Pons raconte la deuxième nuit des barricades, le 26 mai, à un jet de pierre de Notre-Dame :

Un car de CRS bloquait l’issue du boulevard Saint Michel vers l’île de la Cité, engagé sur le trottoir. Et le long, six jeunes gens, étudiants ou jeunes ouvriers, alignés face contre le car. Derrière eux, six CRS ou garde mobiles qui les matraquaient à qui mieux mieux dans le dos. Devant nous, un de ces jeunes gens est tombé, la face ensanglantée, la face contre terre. Nous avons à ce moment-là été voir les CRS qui étaient les plus proches pour leur demander d’enlever immédiatement ce jeune homme et le porter le plus vite possible à notre centre de premiers secours. Il nous a été répondu négativement pendant que les CRS continuaient à frapper ce jeune blessé. Nous avons été ensuite contacter le capitaine de la compagnie responsable de ce qu’il se passait sous nos yeux. Nous lui avons demandé instamment de nous faciliter la tâche pour enlever nos seulement ce jeune homme, mais les cinq ou six autres qui commençaient eux aussi à ressentir très durement les sévices dont ils étaient l’objet. Les pourparlers ont duré au moins cinq minutes et ce n’est qu’après cinq minutes que nous avons pu emporter UN corps.

Le cinéaste l’interroge : « Est-ce un cas isolé ? »

Absolument pas.

La Croix rouge stationnée juste à côté des forces de l'ordre dans le Quartier latin, le 6 mai 1968 à Paris
La Croix rouge stationnée juste à côté des forces de l’ordre dans le Quartier latin, le 6 mai 1968 à Paris• Crédits : AFP

Outre les coups de matraque, on découvre énormément d’“yeux brûlés” parmi les témoignages compilés. Page 62, un anonyme : “Je reçus un projectile incandescent dans l’oeil droit, que je crus sur le moment crevé”. Arrivé aux urgences, sa vue “n’atteignait que 1/10e”. Ni débat sur le LBD (qui n’existait pas il y a cinquante ans), ni photos de manifestants à l’œil crevé comme celles qui frappent les esprits depuis six mois et vingt-trois regards borgnes. 

Le gaz mortel des Américains

En 1968, c’est d’un gaz qu’on débattait âprement, comme le montrent de nombreuses coupures de presse consignées dans le Livre noir des journées de mai.
Ce gaz présenté comme “le produit que les Américains lancent contre les Noirs et les Vietnamiens”, apparaît très vite à l’origine de ce qu’on nomme alors couramment “les yeux brûlés”. Un phénomène si peu isolé et tellement préoccupant qu’un médecin de l’hôpital Lariboisière, le Dr Kann, alerte en même temps la presse et le Centre antipoison de l’hôpital Fernand Widal. Il les presse de contacter ce qui s’appelle alors “la Maison de Santé des gardiens de la paix”. Son urgence : connaître (et faire connaître) la dangerosité réelle du gaz. 

L’affaire fait boule de neige, puisque le centre anti-poison lui-même se révèle incapable de traiter de son côté les patients qui lui sont adressés. Le 13 mai, L’Humanité rapporte que la Préfecture de police a fini par indiquer au centre anti-poison “la référence CS”« CS »  comme « 2-chlorobenzylidène malonitrile« . Dans les archives policières, on retrouve aujourd’hui des notes sur l’usage de ce gaz, et son dévoilement dans la presse, qui agace. Ce gaz qui fait pleurer, tousser ou vomir en irritant la peau et les muqueuses a été inventé en 1928 et aura la vie longue : en 2001, c’est lui qu’on utilisera pour disperser les manifestants à Gênes, en Italie. En France, il arrive dans l’arsenal du maintien de l’ordre dans les années 60 et est encore peu connu lorsque, le 13 mai 1968, L’Humanité détaille : il s’agit d’un produit “extrêmement dangereux, sur lequel il n’existe aucune toxicologie connue en France, mais dont le général Rotschild, spécialiste américain de la guerre chimique, a écrit qu’à forte concentration il possède un pouvoir létal”.

Le 6 mai 1968, à Paris, la police projette un gaz toxique sur les manifestants
Le 6 mai 1968, à Paris, la police projette un gaz toxique sur les manifestants• Crédits : AFP

C’est ce mot, “létal”, ainsi que la multiplication des récits alarmants sur des brutalités policières, les coups au ventre, les robes déchirées et le lâcher de grenade à tirs tendus, qui contribueront à propager le mouvement jusque dans le monde du travail, absent des premières journées de soulèvement. Les syndicats enseignants condamnent la “répression sauvage” de la police, le monde ouvrier rejoint le mouvement, les manifestations deviennent unitaires même si ça tiraille entre cortèges cégétistes et étudiants “gauchistes”

Trois morts et des tirs à balles réelles

Quand les forces de l’ordre se mettent à tirer à balles réelles alors que l’essentiel de leur arsenal consistait jusque-là plutôt en matraques et grenades, le conflit franchit un palier. Le 11 juin, alors que les forces de l’ordre s’affrontent aux usines occupées, on compte trois morts dont les affiches de l’époque portent la trace : un lycéen qui participait aux affrontements à l’usine Renault de Flins, dans le Calvados, se noie dans la Seine en voulant échapper aux forces de l’ordre et deux ouvriers de chez Peugeot, à Sochaux. Le lendemain, les manifestations organisées à Paris pour dénoncer ces morts sont interdites.

Une affiche de l'Atelier populaire de l'Ecole des Beaux Arts après les deux morts chez Peugeot à Sochaux-Montbéliard, en juin 1968
Une affiche de l’Atelier populaire de l’Ecole des Beaux Arts après les deux morts chez Peugeot à Sochaux-Montbéliard, en juin 1968

Pour un mémoire de Master 2 sous la direction de l’historien Nicolas Haztfeld, Gareth Bordelais a cherché à remonter dans les archives de la Préfecture de Police la trace de plaintes pour violences policières à l’époque. Il précise que ces documents sont les seuls traces négatives qu’il a pu trouver parmi toutes les boîtes qu’il a pu consulter sur l’épisode insurrectionnel. Il souligne surtout que “le trait commun de tous ces plaignants, c’est qu’ils ne sont jamais des manifestants. Au mieux, ils étaient dans les abords de la manifestation où ils l’observaient de près”. 

Contrairement à ce qu’on observe aujourd’hui, les victimes elles-mêmes n’ont pas porté plainte, qu’elles comptent parmi les manifestants engagés dans l’événement, ou qu’elles n’aient fait que passer, écopant ici d’un tir de grenade, là d’un coup de matraque sans avoir distinctement participé à une manifestation. Gareth Bordelais, qui explique que les civils ont le plus grand mal à identifier les policiers à qui ils ont affaire, poursuit : 

Les suites de ces plaintes ou les sanctions prises contre les fonctionnaires sont totalement absentes des archives. Il y a néanmoins un cas pour lequel le cabinet du Préfet de Police demande des précisions à la Direction Générale de la Police Municipale concernant un incident avec des hommes qui ont roué de coup un journaliste durant une opération de maintien de l’ordre. […] Les seuls éléments que nous pouvons trouver sont un rappel à l’ordre dans les lettres et ordres du jour du Préfet.

Grimaud remplace Papon : balles neuves après Charonne

Le préfet de police de Paris en charge pendant les mois de mai et de juin 1968 s’appelait Maurice Grimaud. Il est encore relativement nouveau, puisque c’est seulement quelques mois plus tôt, en 1967, qu’il a remplacé Maurice Papon, aux manettes par exemple lors de la manifestation du 17 octobre 1961 ou de ce qui restera comme “le massacre de Charonne”.
Maurice Grimaud s’installera dans l’histoire comme l’homme d’un maintien de l’ordre tempéré, plutôt que comme un meneur d’hommes qui dirige sous le sceau de l’impunité. Dans le livre qu’il publiera en 1977, En mai, fais ce qu’il te plaît, le préfet de police racontera que ses principaux outils de commandement consistaient en une grande carte de Paris accrochée aux murs de la Préfecture et une “impressionnante batterie d’écrans de télévision”

Le préfet de police Maurice Grimaud inspecte, le 08 mai 1968, les forces de l'ordre stationnées au Quartier Latin à Paris.
Le préfet de police Maurice Grimaud inspecte, le 08 mai 1968, les forces de l’ordre stationnées au Quartier Latin à Paris. • Crédits : AFP

Mais sur le terrain, les hommes, eux, étaient déjà là du temps de Papon, et des débuts de la guerre d’Algérie. Ils sont souvent empreints d’une autre culture du maintien de l’ordre. Dans Mai 68 et ses vies ultérieures, l’historienne Kristin Ross souligne bien une forme d’héritage entre la répression du temps de la Guerre d’Algérie, et, six ans après les accords d’Evian, la riposte policière au soulèvement étudiant puis ouvrier. Manifestants et témoins ont eux aussi la mémoire fraîche, et Ross cite un témoin qui se remémore : “On regarde, effarés et apeurés, les flics casser de l’étudiant comme ils avaient ‘ratonné’ l’Arabe quelques années plus tôt.”À LIRE AUSSILe mouvement du 22 mars sans les clichés : qui étaient ces militants de 1968 ?

Dans les mouvements libertaires et gauchistes, dès le 22 mars à Nanterre, la référence à la guerre d’Algérie, et même à Vichy, était omniprésente, décuplant parfois l’engagement dans les cortèges. L’histoire collective de la police devient un carburant qui radicalise l’affrontement. Maurice Grimaud semble en avoir eu conscience, si l’on en croit la lettre que le préfet de police décidera d’envoyer à chacun de ses 25 000 hommes. Le courrier daté du 29 mai 1968 fuitera rapidement dans Le Monde. Vous le trouverez en pied de cet article dans sa version intégrale, mais en voici déjà un extrait qui disait ceci : 

Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.

Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je le répéterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu, l’avenir de la préfecture de police.

Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites.

Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s’ils ne le disent pas.

Mémoire sélective à la police 

Cette lettre, au cœur de ce que le sociologue Fabien Jobard décrit comme une doctrine de maintien de l’ordre fondée sur la retenue, est restée emblématique. Elle a ainsi beaucoup fait pour la réputation de Maurice Grimaud, cinquante ans plus tard. A mesure que les plaintes pour violence policière et le débat sur l’usage du LBD et des grenades a enflé ces derniers mois, son courrier a été régulièrement exhumé. Or on a découvert que quelques mois avant que ne démarre la mobilisation des “gilets jaunes” et son cortège d’affrontements un peu partout en France, en mai 2018, le magazine interne de la police avait republié cette lettre. Sauf que la revue Liaisons en avait caviardé un passageVoir l’image sur Twitter

Voir l'image sur Twitter

David Dufresne@davduf

La Lettre du Préfet Grimaud ressurgit aujourd’hui sur Twitter, dans une version tronquée. Celle republiée dans la revue Liaisons (@prefpolice) en mai 2018, où il manque LE passage, situé à l’origine à la fin de la première page, avant le § de la 2e page57009:57 – 24 mai 2019652 personnes parlent à ce sujetInformations sur les Publicités Twitter et confidentialité

Ironiquement, c’est le passage le plus célèbre du fameux courrier qui a été supprimé, celui qui disait : 

Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.

À LIRE AUSSISAVOIRSMaintien de l’ordre : le Shah d’Iran, la bande à Baader et la bavure qui transforma la police allemande

A la page 62 du petit Livre noir que l’UNEF avait fait imprimé quelques semaines après mai et juin 1968, on lit cette question : “Comment en est-on arrivé là ?” Soit, mot pour mot, exactement la même phrase que celle qui court sur les réseaux sociaux depuis des mois, tandis que les images d’yeux crevés, de mains arrachées ou de sexagénaires projetés face contre terre font boule de neige sur les réseaux sociaux.À VOIR AUSSIRéécouter Les policiers sont-ils au-dessus des lois ?ACTUALITÉSLes policiers sont-ils au-dessus des lois ?VIDÉO

Pour aller plus loin, voici la lettre de Maurice Grimaud le 29 mai 1968 :

Je m’adresse aujourd’hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force. 

Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre réputation.

Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d’entre vous, que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.

Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d’outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.Je suis allé toutes les fois que je l’ai pu au chevet de nos blessés, et c’est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu’au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.

C’est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.

Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.

Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je le répèterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu, l’avenir de la préfecture de police.

Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites.

Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s’ils ne le disent pas.

Nous nous souviendrons, pour terminer, qu’être policier n’est pas un métier comme les autres ; quand on l’a choisi, on en a accepté les dures exigences mais aussi la grandeur.Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.

Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l’œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j’entreprends et qui n’a d’autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la nation. 

Maurice Grimaud

Si nous ne nous expliquons pas très clairement et très franchement sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille sur ce point, nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre réputation.

Je sais, pour en avoir parlé avec beaucoup d’entre vous, que, dans votre immense majorité, vous condamnez certaines méthodes. Je sais aussi, et vous le savez avec moi, que des faits se sont produits que personne ne peut accepter.

Bien entendu, il est déplorable que, trop souvent, la presse fasse le procès de la police en citant ces faits séparés de leur contexte et ne dise pas, dans le même temps, tout ce que la même police a subi d’outrages et de coups en gardant son calme et en faisant simplement son devoir.Je suis allé toutes les fois que je l’ai pu au chevet de nos blessés, et c’est en témoin que je pourrais dire la sauvagerie de certaines agressions qui vont du pavé lancé de plein fouet sur une troupe immobile, jusqu’au jet de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement.Tout cela est tristement vrai et chacun de nous en a eu connaissance.

C’est pour cela que je comprends que lorsque des hommes ainsi assaillis pendant de longs moments reçoivent l’ordre de dégager la rue, leur action soit souvent violente. Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute leur maîtrise.

Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez.

Si je parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je le répèterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut que nous soyons également tous solidaires dans l’application des directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis convaincu, l’avenir de la préfecture de police.

Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites.

Dites-vous aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer même s’ils ne le disent pas.

Nous nous souviendrons, pour terminer, qu’être policier n’est pas un métier comme les autres ; quand on l’a choisi, on en a accepté les dures exigences mais aussi la grandeur.Je sais les épreuves que connaissent beaucoup d’entre vous. Je sais votre amertume devant les réflexions désobligeantes ou les brimades qui s’adressent à vous ou à votre famille, mais la seule façon de redresser cet état d’esprit déplorable d’une partie de la population, c’est de vous montrer constamment sous votre vrai visage et de faire une guerre impitoyable à tous ceux, heureusement très peu nombreux, qui par leurs actes inconsidérés accréditeraient précisément cette image déplaisante que l’on cherche à donner de nous.

Je vous redis toute ma confiance et toute mon admiration pour vous avoir vus à l’œuvre pendant vingt-cinq journées exceptionnelles, et je sais que les hommes de cœur que vous êtes me soutiendront totalement dans ce que j’entreprends et qui n’a d’autre but que de défendre la police dans son honneur et devant la nation. 

Maurice Grimau

La Convention sur l’interdiction des armes chimiques interdit-elle le gaz lacrymogène?

Lien vers l’article

Près de 5000 grenades lacrymogènes ont été utilisées samedi à Paris. La Convention de 1993 interdit l’utilisation des gaz lacrymogènes en tant que «moyen de guerre», mais les autorise pour le maintien de l’ordre intérieur.

Question posée par le 25/11/2018

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question initiale : «Une personne a partagé sur Facebook une photo de la célèbre page «Le saviez-vous ?». Cette dernière affirme que l’utilisation de gaz lacrymogène et de toutes autres grenades anti-émeutes est interdite par la Convention de 1993 portant sur l’utilisation des armes chimiques en période de guerre. Est-ce vrai ? Car mes recherches sur la question n’ont rien donné!»

Alors que le préfet de police a affirmé ce matin que 5000 grenades lacrymogènes avaient été utilisées samedi à Paris par les forces de l’ordre, vous souhaitez vérifier l’affirmation suivante: «Le gaz lacrymogène et les autres agents antiémeutes sont considérés comme des armes chimiques et sont interdits dans la guerre par la Convention de 1993», que relaie la page Facebook «Le saviez-vous».

La «Convention de 1993», citée par la page Facebook, correspond à la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction. Elle a été ouverte à la signature à Paris en 1993, est entrée en vigueur en avril 1997, et a été ratifiée jusqu’aujourd’hui par 193 pays.

Les gaz lacrymogènes interdits pour faire la guerre

Cette convention indique dans son article I (5) que «chaque Etat partie s’engage à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre» et définit dans son article II (7) ces agents de lutte antiémeute comme étant «tout produit chimique qui n’est pas inscrit à un tableau et qui peut provoquer rapidement chez les êtres humains une irritation sensorielle ou une incapacité physique disparaissant à bref délai après qu’a cessé l’exposition».

Ce descriptif correspond bien à l’idée qu’on se fait d’une grenade ou d’un spray lacrymogène et c’est aussi ainsi que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OPCW) les catégorise sur son site anglais, lorsqu’elle note que «les agents antiémeutes, comme les gaz lacrymogènes, sont considérés comme des armes chimiques s’ils sont utilisés comme méthode de guerre». On comprend donc que la Convention de 1993 interdit bien l’usage des gaz lacrymogènes lors de conflits entre pays.

Autorisés pour maintenir l’ordre intérieur

Cependant dans le même texte, l’OPCW note également que «les États peuvent légitimement posséder des agents antiémeutes et les utiliser à des fins de maintien de l’ordre, mais les États qui sont membres de la Convention sur les armes chimiques doivent déclarer le type d’agents antiémeutes qu’ils possèdent». Cette exception correspond à l’article II (9.d) qui précise que parmi «les fins non interdites par la présente Convention», on trouve les «fins de maintien de l’ordre public, y compris de lutte antiémeute sur le plan intérieur».

Comment expliquer ce paradoxe, qui interdit ces armes lacrymogènes pour faire la guerre à autrui, mais les autorise pour mater les révoltes intérieures? Interrogé par le magazine de gauche américain Jacobin, Anna Feigenbaum, autrice de «Tear Gas. From the Battlefields of World War I to the Streets of Today», explique cette contradiction par le fait que le gaz lacrymogène était utilisé durant la première guerre mondiale, ou pendant la guerre du Vietnam pour faire sortir les soldats des tranchées ou de leurs bunkers, pour ensuite les attaquer à l’aide d’armes à feu ou d’autres gaz. «Ce genre d’utilisation militaire est la raison pour laquelle cette interdiction existe en temps de guerre».

Parallèlement à cet usage militaire, la chercheuse note qu’on explore à partir des années 1920 et 1930 l’emploi des gaz lacrymogènes «pour réprimer les conflits sociaux et les grèves», ainsi que pour contrer «les soulèvements coloniaux et les mouvements indépendantistes», c’est-à-dire des conflits intérieurs. Anna Feigenbaum conclut: «l’utilisation militaire des gaz lacrymogènes et le développement d’un marché commercial des gaz lacrymogènes pour les forces de l’ordre se sont déroulés parallèlement les uns aux autres et n’étaient pas toujours liés».

Une règle paradoxale

Lors des émeutes de Ferguson (Missouri) en 2014, la question de l’usage des gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre a été soulevée par certains médias américains, dont le Washington Post. Dans un article publié par Politifact, l’organisation de fact-checking est revenue sur le paradoxe de la Convention avec plusieurs experts. Dans son article, le site américain répète que l’interdiction militaire des gaz lacrymogène est liée à la difficulté qu’ont les soldats à distinguer s’ils sont exposés à un gaz mortel ou non. Sur son usage policier, Politifact donne la parole à David Koplow, professeur de droit à l’université de Georgetown, qui considère que pour maîtriser une émeute, «même si le gaz lacrymogène est loin d’être parfait, il continue d’être utilisé à cet effet parce qu’il n’y a rien de mieux».

Hormis les charges physiques de policiers, pour disperser une foule, les forces de l’ordre utilisent des canons à eau (avec parfois des additifs lacrymogènes ou olfactifs), des pistolets à balle en caoutchouc de type flash-ball ou encore des pistoles Pepperball, qui tirent des balles de poivre (ils existent en Allemagne) ou encore des grenades à effet de souffle (une spécialité française). Mais ces armes présentent des risques de blessure physique (perte d’un œil à cause d’une balle ou d’un jet de canontympan perforé) qu’on n’obtient pas avec un spray lacrymogène. 

En résumé: La Convention sur l’Interdiction des Armes Chimiques interdit l’utilisation de gaz lacrymogènes en temps de guerre, mais paradoxalement l’autorise pour maintenir l’ordre intérieur. Cette contradiction semble s’expliquer par le fait que l’interdiction militaire vise à interdire l’usage du gaz afin de faire sortir des soldats pour mieux les abattre, tandis que l’usage policier sert uniquement à disperser des personnes, sans objectif létal.Jacques Pezet

NDDL : POUR LE MAIRE, « IL EST HORS DE QUESTION D’AVOIR DES HABITATS EN ZONE HUMIDE »

Lien vers l’article

 12h33, le 22 avril 2018

L’ultimatum pour se déclarer en préfecture se termine lundi soir. Les zadistes sont divisés sur la marche à suivre. 

Le calme semble revenir du côté de Notre-Dame-des-Landes, à la veille de l’ultimatum des autorités pour déposer un dossier individuel en préfecture. Après le démantèlement de 29 squats la semaine dernière, il reste une soixantaine d’habitats précaires sur les 97 recensés. Les autorités restent déterminées à « mettre un terme à l’occupation illégale » sur le site de 1.650 hectares.

Pour le maire de la ville, Jean-Paul Naud, ceux qui ne rentrent pas dans le cadre de la légalité devront partir. « Je l’ai déjà dit à certains zadistes, il est hors de question d’avoir des habitats en zone humide », souligne l’édile. « Il y a 2% de zone non-humide sur ce territoire et ceux qui resteront devront rester sur ces 2% et cela peut difficilement faire 200 personnes », poursuit-il. 

Division chez les zadistes. Les zadistes sont divisés sur la marche à suivre. Si certains ont décidé de se mettre en conformité, d’autres ont au contraire fait le choix de partir. « La forme légale du territoire que l’on va devoir avoir sur la Zad va nous priver d’un champ de possible qu’on avait encore sous la main il y a quelques jours », estime Camille, un soudeur présent sur la Zad depuis deux ans et qui a décidé de partir.  

Violents affrontements. Depuis le 9 avril et le lancement des opérations de gendarmerie à Notre-Dame-des-Landes, les violents affrontements ont fait 75 blessés chez les forces de l’ordre et plus de 270 du côté des opposants, qui ont saisi le Défenseur des droits. Les heurts avaient gagné en intensité à mesure de l’avancée des démolitions de squats. A chaque coup de pelleteuse, les opposants et leurs soutiens, dont des « black blocs » venus de toute la France et d’Europe, ont répondu par des barricades et le creusement de tranchées. Les forces de l’ordre ont essuyé cocktails Molotov, pierres ou bouteilles en verre, répliquant par le jet de 11.000 grenades, dont 10.000 lacrymogènes, en dix jours, selon une source proche du dossier.

ANGÉLIQUE ET GENEVIÈVE POURSUIVIES POUR AVOIR RAPPORTÉ LES GRENADES LANCÉES À NOTRE-DAME-DES-LANDES L’AN DERNIER

Des centaines de grenades lacrymogènes déposées devant la préfecture de Loire-Atlantique à Nantes, le 19 avril 2018. / © DAMIEN TRIOMPHE / RADIO FRANCE
Des centaines de grenades lacrymogènes déposées devant la préfecture de Loire-Atlantique à Nantes, le 19 avril 2018. / © DAMIEN TRIOMPHE / RADIO FRANCE

Deux militantes comparaissent, ce 3 juin, en appel à Rennes, pour avoir déposé, devant la préfecture de Loire-Atlantique, des grenades utilisées par les forces de l’ordre lors des opérations d’expulsion à Notre-Dame-des-Landes, au printemps 2018. Elles avaient été relaxées en première instance.

Par Myriam ThiébautPublié le 03/06/2019 à 11:32 Mis à jour le 06/06/2019 à 18:10
Auprès des militants de Notre-Dame-des-Landes,  l’affaire a pris le nom de « retour à l’envoyeur ». Le 19 avril 2018, Angélique et Geneviève avaient déposé des centaines de grenades de désencerclement et d’autres types de grenade, devant la préfecture de Loire-Atlantique, à Nantes. A l’époque, la préfète Nicole Klein participait à la direction des opérations d’expulsion des résidents de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Jugées et relaxées par le tribunal de police de Nantes, le 8 janvier 2019, le ministère public avait fait appel. Geneviève et Angélique se sont donc présentées ce lundi 3 juin devant la Cour d’appel, à Rennes. 
View image on Twitter

View image on Twitter

Myriam Thiébaut@mymthiebaut

Nddl : affaire dite du « retour à l’envoyeur ». Angélique et Geneviève poursuivies en appel à #Rennes pour avoir déposé dvt la préfecture de #Nantes les 100aines de grenades ramassées à Notre-Dame-des-Landes lors des expulsions du printemps dernier. Délibéré au 3 sept. @m2rfilms1210:36 AM – Jun 3, 2019See Myriam Thiébaut’s other TweetsTwitter Ads info and privacy
Interrogées, les deux femmes se disent surprises qu’on leur reproche d’avoir rapporté des objets dangereux pour qu’ils soient neutralisés et évacués. La Cour d’appel rendra son arrêt le 3 septembre 2019.

LES BOMBES LACRYMOGÈNES UTILISÉES PAR LES FORCES DE L’ORDRE BURKINABÉ INTERDITES PAR LE PROTOCOLE DE GENÈVE?

Lien vers l’article

226infos 29 octobre 2014 ACTUALITESSociété 3 Commentaires 5,246 Vues

 Des manifestants d’hier ont pu récupérer les restes ou des bombes entières lacrymogènes. Ayant appris sur les réseaux sociaux que ces grenades  lacrymogènes PLMP 7B utilisées par nos forces de l’ordre sont interdites par le protocole de Genève, votre journal 226infos s’est penché la dessus et voici les résultats de nos recherches.

10710970_862712267106485_8367931761254314440_n
Un manifestant posant avec la grenade lacrymogène. On peut bien lire « CS » sur la grenade. (Ph.DR)

Ces  bombes lacrymogènes  PLMP 7B utilisées par les forces de l’ordre seraient  fabriquées  par la société française NOBEL SPORT SECURITE. Elles coûteraient à l’achat environ 2600FCFA.

936_001
La grenade lacrymogène CS PLMP 7C (Ph. DR)

Les grenades de gaz lacrymogène qui ont notamment été employées contre la manifestation de mardi, sont des PLMP 7B, de gaz CS. Elles explosent au sol avec un bruit assourdissant puis crachent de gros volutes de gaz.

Ce gaz provoque haut-le-cœur, souffle coupé, impossibilité de respirer, peau brûlée, envies de vomir, brûlures d’estomac et douleurs au foie. S’il est pulvérisé sur le sol il peut rester actif pendant plusieurs semaines. Les effets caractéristiques sont une conjonctivite instantanée avec des spasmes, des irritations et des douleurs. Ces symptômes sont accentués par un  temps chaud(le cas de Ouaga).

D’après une étude publiée en 1998 au journal de l’American Medical Association, le CS absorbé serait métabolisé dans les tissus périphériques sous la forme de cyanure, substance connue comme étant cancérigène.

Le  même journal  indique à propos de ce gaz : « la possibilité de conséquences médicales à long terme comme la formation de tumeurs, des effets sur le système de reproduction et de maladies pulmonaires est particulièrement préoccupant, considérant l’exposition à laquelle ont été soumis des manifestants ou non manifestants pendant des opérations d’ordre public ».

Que dit le fameux protocole de Genève

Le protocole de Genève de 1925  prohibe l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques. Ce protocole  contient plusieurs lacunes et insuffisances parmi lesquelles  on peut citer:

– le protocole ne fournit ni  une liste des armes chimiques ni une liste des agents chimiques interdits;

– le protocole interdit l’emploi de l’arme chimique en temps de guerre. Par temps de guerre on entend « conflit armé ». Qu’en est-il des manifestations civiles comme celle de mardi?

C’est peut être pour cela  que certains États comme l’Italie ne l’autorisant pas par temps de guerre l’autorisent par temps de paix!

Tout compte fait, la nuisance de ce gaz sur la santé de l’homme est prouvée et on comprendrait mal un État qui dans la recherche du maintient de l’ordre voudrait rendre malade sa population.